Dante Boon - clarinet (& piano)

Quand je pense à Verlaine, irrémédiablement et immédiatement, c'est le mot langueur qui me vient à l'esprit. Ce nom semé à travers de nombreux poèmes de Verlaine, qui caractérise très bien l'atmosphère à moitié romantique propre à la fin du 19e, est aussi le premier auquel je pense en écoutant les trios pièces de Dante Boon présentées sur clarinet (& piano), jouées par Jürg Frey et le compositeur.

Le romantisme et la langueur sont tous les deux présents chez certains compositeurs de wandelweiser, mais tout particulièrement chez Jürg Frey. Et lorsque Dante Boon (également membre du collectif wandelweiser) a composé ces trois pièces pour clarinette, c'était soit écrit pour Jürg Frey directement, soit dédié à ce clarinettiste, ou soit en se demandant comment ce dernier pourrait jouer la pièce en question. Il n'est donc pas étonnant que cette langueur romantique traverse l'ensemble de ce disque, qu'elle traverse ces longues mélodies traînantes à la clarinette et ces accords lumineux disséminés.

O'Hare (2014), 3x (2011), et Wolken/Feld (2011) sont trois pièces composées selon des principes d'indétermination et des structures ouvertes. Elles pourraient éventuellement ressembler à autre chose donc, à des pièces très froides, très silencieuses, mais pas jouées par Dante Boon et Jürg Frey. Chaque ouverture, chaque possibilité offerte par ces compositions est une occasion de glisser une phrase ou une note mélodique, lente, chaleureuse et mélancolique. Le silence est bien présent entre chaque occasion, mais il est absorbé par les résonances mélodiques et l'atmosphère propre à chaque note ou chaque accord. Chaque son apparaît comme un premier bourgeon printannier, ou comme un bourgeonnement hivernal persistant. Il envahit l'espace par sa beauté et absorbe ce qui l'entoure : le silence naturel qui sépare chacune de ces épiphanies mélodiques.

Les deux pièces en duo reposent également sur des jeux d'écoute et de réponse, de réactivité et d'interaction, où la musique progresse en fonction des choix et des propositions de chaque musicien. Et c'est là que l'on se rend compte de la profonde intimité qui lie ces deux musiciens, du respect et de l'admiration mutuels qu'ils se portent lorsqu'ils jouent ensemble. Cette relation n'est pas complètement symétrique, car autant au niveau de la composition que de la réalisation, Jürg Frey semble toujours plus ou moins au premier plan et on ressent assez bien l'influence qu'il peut exercer sur Dante Boon. Mais tout de même, quand ils jouent en duo, aussi dissemblables que puissent être une note de clarinette et un accord de piano, il y a une fusion entre les deux qui fait qu'on finit par ne plus vraiment les distinguer, ils finissent par former une sorte de nuage similaire aux orchestres romantiques, ou tout le monde fait partie d'un tout qui le dépasse (la nature, l'art, le son).

C'est donc cette osmose et cette connexion, cette beauté absorbante et langoureuse, ainsi que cette sensibilité musicale et une virtuosité instrumentale (toute en finesse), qui font de clarinet (& piano) un disque incontournable pour découvrir le travail de Dante Boon d'une part, mais également pour continuer de se plonger dans l'univers magnifique de Jürg Frey.


DANTE BOON - clarinet (& piano) (CD, another timbre, 2016)


Michael Pisaro - the earth and the sky (Reinier van Houdt)

Hormis field have ears pour piano et bande magnétique et Fade pour piano, joués par Phillip Thomas sur un disque publié en 2010, ainsi qu'une récente collaboration avec Christian Wolff, les disques de Michael Pisaro offrent rarement l'occasion d'entendre des pièces pour piano. Il aura fallu attendre 2016 pour que le pianiste Reinier van Houdt et Pisaro se trouvent, enregistrent ensemble et publient the earth and the sky, une coffret qui réunit la majorité des compositions pour piano de Pisaro, des pièces écrites entre 1994 et 2016.

Sur les 11 pièces présentées ici (soit 223 minutes d'enregistrement), on retrouve beaucoup de points communs. Mis à part la présence de silence (Pisaro reste membre de wandelweiser) : l'aspect majestueux du piano est souvent mis en avant, la présence de Pisaro à travers des sinusoïdes, des dispositifs d'enregistrement - parfois  inspirés par Toshiya Tsnuoda et toujours savamment pensés, et des générateurs de bruits reste très discrète, les parties pour piano sont souvent mélodiques ou axées sur les harmoniques naturelles. Mais chaque pièce possède bien évidemment son individualité propre.

Chaque pièce est un univers propre qui explore le son de manière particulière. En terme de durée déjà, les réalisations de ces pièces peuvent durer entre 3 et 73 minutes ( pour C. Wolff et green hour, grey future) aussi bien que 10 ou 35 minutes (pour distance (1) et field have ears (2) par exemple). Mais chacune explore différents systèmes de composition et d'enregistrement : des compositions axées sur des répétitions centrées sur les harmoniques comme sur Fade, ou axées sur des aspects plus mélodiques et qui répondent aux compositions traditionnelles pour piano comme sur field have ears (2), des systèmes d'enregistrements avec des micros placés à des endroits stratégiques qui font entendre le piano d'une autre manière comme sur Akasa, ou à travers des stéthoscopes comme sur half-sleep beings, etc.

Ce n'est pas évident de présenter toutes ces pièces, il faudrait en analyser les particularités et les intérêts de chacune. Ici, je dirais simplement que pour qui s'intéresse à l'œuvre de Michael Pisaro ou même à wandelweiser, ou pour qui s'intéresse à de nouveaux systèmes d'écoute ou aux compositions pour piano, il y a largement matière à trouver de superbes trouvailles dans ce disque. De mon côté, je suis ravi d'avoir découvert green hour, grey future, la longue et fantomatique pièce qui ferme ce coffret, mais aussi la mise en abstraction du piano sur les deux versions de pi, ainsi que deux magnifiques réalisations de Les Jours, Mon Aubépine et field have ears (2). Les mélodies sons superbes, les systèmes électroacoustiques sont ingénieux et frais, les compositions profondes, justes et équilibrées, et les réalisations aussi fines que précises.


MICHAEL PISARO / REINIER VAN HOUDT - the earth and the sky (3CD, erstwhile, 2016)



Essential Listenings #01

Trois compositions de Dante Boon jouées par lui-même au piano, et Jürg Frey à la clarinette.
another timbre
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George Cremaschi : contebasse & électronique ; Irene Kepl : violon & électronique ; Petr Vrba : trompette, clarinette & électronique

Double CD de field recordings bruts réalisés en Afrique du Sud, autoproduit par dp. La nature parle. 

Essential Listenings #52

Premier disque sur le nouveau label de Taku Unami. Du smooth jazz expérimental, avec 10 versions de Skylark, par Orlando Lewis (clarinette), Franz-Ludwig Austenmeiser (claviers), Hayden Pennyfeather (basse), Roland Spindler (batterie). Sobrement kitsch, mais vraiment prenant.
bandcamp

Traditional Music of Notional Species Volume II, deuxième solo du plus acclamé des ingé son.
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Coffret 4 CD de Keith Rowe. Enregistrements intimes de recherches nouvelles et d'expériences passées. Toujours aussi rude et immersif, simplement magique.
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raster noton
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Nouveau solo de Graham Lambkin, plein de field-recordings, textes étranges, enregistrements trouvés, pop music, collages, etc. Edité en un vinyle chez Kye ou en double CD chez Erstwhile.
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