Dharma Quintet - End Starting

Voilà quelques années maintenant que le disquaire parisien Souffle continu a créée son propre label principalement axé sur la réédition en vinyle des trésors oubliés, méconnus ou simplement épuisés de la musique alternative française, notamment en matière de krautrock, free jazz, progressif, RIO : enfin toutes ces musiques qui tentent avant tout d'échapper aux étiquettes. Il y a beaucoup de découvertes à  faire sur ce label, beaucoup de perles rares j'imagine, mais je n'ai pas eu le temps d'en écouter tellement, et je n'en avais pas tellement envie avant de tomber sur la réédition de la totalité (?) des albums de Dharma. Si je me suis arrêté sur eux, c'est que je n'avais jamais entendu parler de cette formation plutôt free jazz des années 70 qui a joué en trio et en quintet surtout.
Dès les premières notes d'End Starting (paru en 1971), je pense avoir été convaincu. Il y a l'énergie, l'intensité, les différents phrasés, un superbe équilibre entre l'improvisation et la composition, une rythmique (enfin plusieurs souvent) surpuissante et qui claque menée par Jacques Mahieux à la batterie et Michel Gladieux à la basse, des vents qui dansent et qui crient menés par Jef Sicard. Dès le début je me suis senti plutôt happé par cette flûte et ces saxs lyriques et swinguants, déjantés et précis en même temps. Je me disais, tiens voilà du bon vieux free comme on l'aime, de l'authentique, nerveux, sans concession, tendu, et puissant. Mais ça c'est seulement le début. Là où je me suis vraiment dit que ce disque était fantastique c'est en entendant plus précisément la guitare de Gérard Marais et l'orgue électrique de Patricio Villarroel. Ce ne sont pas tellement eux en tant qu'individus, en tant qu'instrumentistes qu'ils détonnent, tout le monde joue bien mais sans tellement de surprise dans cette formation. C'est la touche électrique et très prog, voire jazz rock (sans connotation péjorative, toutes mes excuses à ceux qui prennent ça pour une insulte) que ces derniers apportent au son de la formation, un son très électrique, grinçant, un son qui rend chaque improvisation et chaque composition encore plus tendue et intense.

Mais au-delà de ce son unique, le Dharma Quintet est aussi surprenant est jouissif car il n'a pas tout misé sur le son, mais également sur la composition, et le "style". Dharma n'est pas une formation free jazz classique, et encore moins une formation de musique improvisée européenne (au sens esthétique de l'appellation). On est très loin de l'improvisation libre anglaise telle qu'elle se pratiquait à cette époque, mais également des grands orchestres d'improvisations collectives allemands et hollandais. Mais on est aussi loin des grands classiques américains souvent calqués. En fait, le Dharma mise plutôt sur une esthétique et une écriture, mais aussi sur des phrasés puisés dans le jazz pur, aussi bien que dans le rock, avec ses breaks incisifs et ses solos qui swinguent. Mais il s'agit d'une sorte de jazz-rock libéré, un jazz-rock très personnel et créatif qui donnera naissance à de nombreux projets RIO ou kraut, mais également à des ensembles de musique improvisée. Mais pour l'instant ce ne sont, et c'est ce que je trouve génial, que des idiomes éclatés ou asservis à des propos uniques et à une esthétique personnelle.

Le Dharma lorgne sur le jazz et le rock pour inventer une musique qui danse, une musique qui prend aux tripes, qui gueule mais qui sait aussi être douce et voluptueuse. Avec des compositions incisives et des improvisations tendues, ce quintet nous plonge dans un univers de danse, de libération, d'explosions, dans une musique de rêve qui est un parfait prolongement des idéaux du free jazz.


DHARMA QUINTET - End Starting (LP, Souffle Continu, 2018)