derniers d'incise

d'incise/hennig/kocher/sciss - sans titre (Insubordinations, 2012)

Quartet étrange publié en téléchargement libre sur Insubordinations et en CDR, ce nouvel opus de d'incise (ordinateur et objets) réunit deux autres créateurs de textures sonores numériques, Ludger Hennig et Sciss (Hanns Holger Rutz de son vrai nom), ainsi que l'accordéoniste Jonas Kocher.

Étrange formation électroacoustique car on peut se demander ce qu'un accordéon vient faire au beau milieu de ces trois ordinateurs. Mais en fait, la distinction entre les sources informatiques et les sources acoustiques est la plupart du temps difficile à faire durant ces quarante minutes. Quelques objets (souvent percussifs, comme des cloches) sont triturés de mille manières par d'incise, l'accordéon joue principalement sur la dynamique des différentes textures possibles, et les différents traitements informatiques jouent des contrastes et des ruptures entre les couleurs. Le souffle des basses de l'accordéon, accords profonds et caverneux, s'opposent à des ondes sinusoïdales proches du larsens, tandis que des boucles surgissent et disparaissent. L'ambiance est étrange, souvent calme et linéaire, mais de nombreuses ruptures et fractures sont également là, le calme peut facilement être rompu par une boucle agressive, par un puissant accord d'accordéon ou par un traitement sonore virulent. Tout est affaire d'ambiance, d'opposition et de contrastes entre les textures et les dynamiques, affaire de narration et de fracture, d'interaction entre l'informatique et l'acoustique.

Une interaction et un dialogue surprenants entre les différentes sources sonores, pas toujours passionnant, mais qui parvient bien un créer une ambiance et un univers originaux, et à explorer des territoires escarpés et frais.

Album disponible sur le site d'Insubordinations à cette adresse: http://www.insubordinations.net/releasescdr11.html

 Diatribes/Abdul Moimême/Eduardo Chagas/Ernesto Rodrigues/Nuno Torres - Brume (Creative Sources, 2011)

Autre disque de d'incise sous le nom de Diatribes cette fois, c'est-à-dire lui-même à l'ordinateur et aux objets avec son camarade Cyril Bondi, à la grosse caisse, aux objets et aux cymbales. Sur Brume, on trouve également en compagnie du duo quelques musiciens portugais habitués du label CS, Abdul Moimême à la guitare préparée, Eduardo Chagas au trombone, Ernesto Rodrigues au violon alto et Nuno Torres au saxophone alto.

Cinq improvisations sans titres et sans surprises où les textures se multiplient et s'agencent avec calme et quiétude. Une grande sensibilité aux couleurs, à l'interaction et aux mélanges des sons, mélanges indistincts de techniques étendues variées et multiples. Sans surprises par rapport à l'ambiance assez commune aux productions portugaises, mais tout de même, Brume est composé d'agencements de couleurs toujours surprenantes et particulières. Un album qui porte bien son nom, tant l'univers est justement brumeux, avec cette multitude de bruits qui fusionnent en une masse informe de sons. Une architecture sonore un peu vaporeuse où la source importe peu par rapport au son collectif, une musique de groupe, collective avant tout, qui joue énormément sur l'interaction et l'étirement du temps, car on ne trouve évidemment aucune pulsation, aucun rythme, ni aucune mélodie ou note. Le son du groupe est assez prenant et nous emmène sur des territoires connus de ces musiciens, mais tout de même peu communs, entre les micropolyphonies de Ligeti et la scène réductionniste. Les fans seront ravis, les néophytes déroutés, et les amateurs pourront naviguer entre le scepticisme et l'admiration. Quant à moi, je ne sais pas où me placer, je me balance entre ces sentiments et ces pensées contradictoires... A vous de voir.

Eli Keszler + John Wiese

Eli Keszler - Cold Pin (Pan, 2011)

A la base, Cold Pin est une installation à l'intérieur du Cyclorama de Boston: quatorze cordes de différentes longueurs activées par des moteurs et contrôlées, filtrées et modulées par des micro-contacts, des câbles rca et des micro-controlleurs. Pour ces deux pièces basées sur cette installation et publiées en vinyle par le label allemand PAN, Keszler a également fait appel à plusieurs musiciens: Geoff Mullen à la guitare, Ashley Paul à la clarinette et guitare, Greg Kelley à la trompette, Reuben Son au basson, et Benjamin Nelson au violoncelle. En plus de contrôler l'installation, Keszler joue également de la batterie et un peu de guitare.

Deux improvisations (à moins que ce ne soit composé, difficile à savoir dans ce contexte) extrêmement denses, deux improvisations où la batterie, même si elle est légère, tourne dans tous les sens, frappe ou tapote de nombreux objets, de nombreuses peaux et bols. Et pendant ce temps, les cordes activées forment des clusters inquiétants et sombres, imposants, surprenants. On ne les attend jamais, mais elles arrivent toujours, en masse, denses, puissantes, viscérales. Tandis qu'à leurs côtés, chaque instrumentiste joue de longues notes, la plupart du temps dans un registre grave. Des nappes souterraines sur lesquelles l'installation peut pousser ses cris caverneux. Musique géologique de décomposition, cluster acoustique agité et hystérique: un peu comme si la catastrophe était dorénavant imminente, l'urgence est de mise durant cette demi-heure qui fait bien de ne pas durer plus. Cette urgence, on la ressent aussi dans ces guitares triturées uniquement dans les aigus, contrastant avec les graves des soufflants. Deux pièces aussi denses qu'intenses, très sombres et tendues, à la limite de l'oppression sonore et de l'anxiété rythmique.

Assez difficile d'accès, du fait de sa densité et de son déploiement magistral de couleurs qui se brouillent en une nuée sonore aux confins de l'irrationnel, Cold Pin est tout de même un LP puissant, très bien enregistré, et plutôt original. Sans parler de la magnifique pochette digne de PAN et de Bill Kouligas... A écouter.


John Wiese - Seven of Wands (PAN, 2011)

Je viens de me rendre compte que je n'avais encore jamais chroniqué JW ici: figure majeur de la harsh noise et un des trois maîtres des murs de sons blancs les plus virulents et les plus agressifs. Du moins jusqu'à Seven of Wands... La harsh dès les années 90 et jusqu'à aujourd'hui a toujours eu quelque chose d'alarmiste, chaque performance semble signer à chaque fois la fin du monde. Les assauts sonores où une infinité de fréquences se multiplient ne sont jamais sans évoquer une planète en flamme, où tous les êtres vivants se consument dans un immense incendie déclenché par la marche autonomisée d'une technologie inhumaine. Avec Seven of Wands, on pourrait penser que JW veut maintenant évoquer l'après-catastrophe, car elle est maintenant inéluctable, et ce malgré (peut-être même grâce) les multiples réformes écolos visant à gérer le désastre sans toucher à ses fondements.

Voyage post-apocalyptique inquiétant et long travelling à travers un univers dévasté par les aberrations technologiques et industrielles. JW nous plonge dans ici dans une musique imagée, cinématographique: mais ce n'est plus une cellule familiale (dernier refuge atomique de l'humanité) qui survit, comme dans les films catastrophes, ce sont plutôt des nuées d'insectes mécanisés, monstres hybrides aux allures plutôt hostiles, des meutes d'araignées bioniques de quatre mètres qui tentent de survivre à des hordes de rapaces génétiquement modifiés. On ne sait plus où on est, ni où on va (mais le sait-on dans la réalité?); chaque paysage est inconnu, et ne semble pas prêt à nous accueillir - soit nous sommes étrangers, soit la planète nous est devenue étrangère.

Lu musique de JW se fait ici beaucoup plus calme, plus aérée, mais en même temps, elle devient mille fois plus sombre, stressante et inquiétante: ce qui la rend d'autant plus envoûtante. De nombreuses nappes synthétiques, des sons parfois instrumentaux (gongs notamment), il ne s'agit plus de fréquences démultipliées et saturées, les murs de sons ont laissé place à des nappes beaucoup plus lisses au service d'un univers narratif et pictural pessimiste et inquiétant. Recommandé!

Tracklist: 1-The new dark ages / 2-Scorpion immobilization sleeve / 3-Alligator born in slow motion / 4-Burn out / 5-Corpse solo / 6-Don't move your finger / 7-Don't stop now you're killing me

Erb/Lonberg-Holm/Roebke/Rosaly - Sack (Veto, 2011)

Après un trio et un solo sur ce nouveau sous-label de Veto dédié à la musique improvisée chicagoanne: Christoph Erb (clarinette basse et saxophone ténor) revient avec un quartet composé par le violoncelliste et guitariste Fred Lonberg-Holm, Jason Roebke à la contrebasse et Frank Rosaly à la batterie (et quelque fois à l'électronique).

Enregistrées lors de la résidence de Christoph Erb à Chicago, ces quatre improvisations sont à tendance très fortes, libres et collectives. Du gros free jazz en somme. Sauf qu'il ne suffit pas toujours de jouer fort et en crescendo pour que ça marche, ce qui semble être le seul but de ces improvisations. Même s'il y a quelques moments plus calmes, et quelques duos plus espacés, ces parties sont toujours tendues vers une improvisation collective bordélique et forte (comme on peut parfois les aimer). J'avoue que j'ai vraiment eu du mal à m'immerger dans ces quatre pièces, à part quelques passages en formation réduite (notamment un duo sax/batterie où le ténor joue des multiphoniques en mode lyrique) où l'écoute marche très bien, le reste du disque se compose d'improvisations collectives souvent intenses mais où le dialogue ne prend pas réellement. Quatre improvisations où chacun fait preuve de virtuosité avec son lot de techniques étendues et de jeux très rapides (tel l'infatigable Rosaly, et le "guitariste" Lonberg-Holm fraichement émerveillé par quelques effets sommaires), mais cette virtuosité semble n'avoir qu'un seul but: une densité et une intensité maximales.

C'est pas mauvais, mais juste trop dense, trop fort, trop free ai-je envie de dire. Beaucoup de déjà-entendu d'une part, mais surtout un manque d'écoute et de dialogue véritables extérieurs à quelques clichés du free jazz.

Tracklist: 1-Karung / 2-Kott / 3-Kadhananlo / 4-Meshok

Myelin - Axon (Intonema, 2011)


Je ne sais pas si Heddy Boubaker et Birgit Ulher conçoivent leur musique comme un système ou un ensemble neuronal, mais en tout cas, le nom du projet ainsi que le nom de cette deuxième publication se rapportent explicitement à deux termes neurologiques en rapport avec la constitution de la fibre nerveuse. Quoiqu'il en soit, j'éviterai la comparaison car la neurobiologie est une discipline complètement inconnue pour moi.

Si chacun des deux musiciens utilise avant tout son instrument de prédilection: le saxophone pour Heddy et la trompette pour Birgit, ils l'utilisent néanmoins de la même manière que les différentes sources présentes sur ces sept pièces, comme la radio, les haut-parleurs, la sourdine, etc. Et s'il est souvent dur de différencier les deux instrumentistes, on peut même avoir parfois du mal à différencier les instruments des autres objets. Myelin oscille entre une tendance à faire du bruit à partir des instruments grâce à l'utilisation d'une multitude de techniques étendues comme les slaps, souffles, crépitements, flatterzunge, etc. (et les deux soufflants sont connus pour leur virtuosité et leur créativité dans ce domaine); le duo oscille donc entre cette tendance et celle  qui consiste à faire de la musique à partir d'objets non-musicaux.

Ce qui est surprenant et réjouissant avec Axon, c'est que malgré une abstraction évidente et constante (car même le peu de notes jouées surgissent comme des phénomènes bruitistes), cette suite d'improvisations n'apparaît pas du tout comme une suite froide ou austère. La complicité et la proximité entre les deux musiciens diffusent une chaleur pas évidente à trouver et à produire dans ce genre de musique: l'écoute semble très sensible et l'interaction très intime à tel point qu'on différencie difficilement les deux musiciens comme je le disais plus haut déjà. Et c'est cette interaction qui fait d'Axon une suite empreinte de chaleur et d'humanité, deux caractéristiques qui rendent l'écoute beaucoup plus facile et les techniques étendues  beaucoup plus intéressantes.

Une suite pleine de virtuosité, pas forcément très innovante, mais plutôt jouissive grâce à cette interaction chaleureuse et intime entre les deux membres de Myelin. Bon boulot!

Daunik Lazro/Jean-François Pauvros/Roger Turner + Peeping Tom

Daunik Lazro/Jean-François Pauvros/Roger Turner - Curare (NoBusiness, 2011)

Inutile je pense de présenter Daunik Lazro et Roger Turner, figures légendaires du free jazz depuis plusieurs décennies. Aux côtés du saxophoniste français et du percussionniste anglais, on peut entendre sur Curare un des membres fondateurs du groupe Marteau Rouge: le guitariste Jean-François Pauvros.

Techniques étendues, longs crescendo, phases d'accalmies très tendues, improvisations collectives, refus des thèmes, dynamique presque cathartique: aucun doute, nous sommes en plein territoire free et ce trio n'apporte rien de bien neuf ni de très innovateur. Ceci-dit, je n'arrive pas à me lasser de l'énergie organique et indomptable de DL (qui fait ici quelques remarquables retours au saxophone alto ainsi que quelques digressions animales avec son bec), ni de la puissance et de la profusion de RT. Mon seul bémol serait peut-être pour JFP, qui dilate un peu trop la tension avec ses longues résonances filtrées et modulées par des pédales. Mais au sein de ces codes déjà entendus, chacun de ces trois musiciens parvient à exprimer son énergie avec liberté, spontanéité et créativité, le trio ne reculant pas devant de longues nappes lisses et légères, ni devant des phrases rythmiques et mélodiques, sans oublier les inévitables climax formant des phases de chaos et de fureur généralement propres au free jazz.

Si les phases de repos sont nécessaires pour équilibrer ces climax, elles forment ici la partie la moins intéressante et la plus froide de ces quatre pièces et font de ce disque une suite inégale d'improvisations. Heureusement, les parties les plus énergiques rééquilibrent la dynamique générale et rendent cette suite plus chaleureuse et intense. Car ce sont bien ces actes de fureur composés de cris qui me paraissent les plus "authentiques", c'est du moins plus proche de mes attentes concernant DL et RT. Inégal, mais pas mal.

Tracklist: 1-Morsure / 2-White Dirt / 3-En Nage / 4-The Eye

 Peeping Tom - Boperation (Umlaut, 2011)

Peeping Tom est un groupe de free jazz composé de quatre musiciens: Pierre-Antoine Badaroux au saxophone alto, Joel Grip à la contrebasse, Antonin Gerbal à la batterie, et enfin, Axel Dörner à la trompette. Pour ce deuxième album, le quartet a choisi d'interpréter des compositions de pianistes pour la plupart issus du bop: soit Fats Navarro, Herbie Nichols, Bud Powell, pour ne citer que les plus connus. Beaucoup de contraintes, dont la première est la question de savoir comment interpréter les compositions de pianistes sans utiliser de piano, sans parler des contraintes propres aux structures des compositions choisies. Malgré tout, Peeping Tom parvient à naviguer avec facilité, fidélité et liberté parmi ces œuvres exhumées.

Avant tout, remarquons simplement que malgré la déstructuration de certaines pièces, Boperation ne réunit surtout pas des interprétations froides, abstraites et trop savamment arrangées à la manière de Braxton parfois. Au contraire, cette suite d'improvisations est exceptionnellement chaleureuse et énergique, tout le swing propre aux compositions originales est conservé au service d'une joie et d'une énergie jamais calmées et toujours maximales. Une énergie rare tellement elle est pure et puissante! Une énergie comme on pouvait seulement en trouver dans des caves américaines durant les années 50 et 60, lorsque la musique était soit une arme au service de la révolution panafricaine, soit un exutoire face aux répressions (législatives, physiques, artistiques et économiques) et aux persécutions incessantes du pouvoir dominant (fin de cette parenthèse aux relents nostalgiques...).

 Musicalement, chaque thème est interprété avec une fidélité à l'esprit surtout, mais aussi avec une précision renversante, et toujours cette énergie franchement jouissive et réjouissante. Et dès ces thèmes, on peut percevoir si l'interprétation se concentrera plutôt sur l'aspect mélodique, rythmique, ou harmonique, de la composition initiale. Puis lors des improvisations, des soli, car il n'y a pas vraiment d'improvisations collectives, la liberté et les choix de chacun s'affirment de plus en plus nettement: le phrasé saccadé et les attaques puissantes de Badaroux, l'influence réductionniste de Dörner qui donne à ces interprétations un ton très original, etc. Les accompagnements sont toujours d'une précision, d'une clarté, et d'une présence rarement entendues.

Interprétations fidèles au swing surtout et à l'esprit des compositions initiales, ces dix pièces sont d'une énergie et d'une créativité rares. Un album puissant et jouissif!

Tracklist: 01-Boperation (Fats Navarro) / 02-Cromagnon Nights (Herbie Nichols) / 03-Escalating (George Wallington) / 04-Fantasy in Blue (Bud Powell) / 05-The Gig (Herbie Nichols) / 06-House Party Dancing (Herbie Nichols) / 07-Mo Is On (Elmo Hope) / 08-Pile Driver/Dodo's Dance ((Eddie Costa/Dodo Marmarosa) / 09-Snakes (Jackie McLean) / 10-Up Jumped The Devil (George Wallington)

Tomek Chołoniewski + Michel Doneda/Jonas Kocher/Tomaž Grom/Tao G. Vrhovec Sambolec

Tomek Chołoniewski - Un (Mathka, 2012)

Premier album solo du percussionniste polonais Tomek Chołoniewski, Un est un enregistrement assez court, riche et plutôt énergique. Une batterie, des cloches, des gongs, un gamelan, TC navigue entre les différents idiophones durant cinq pièces assez diverses. Et même si l'on entend de nombreux instruments d'origine javanaise ou sundanaise, il ne s'agit surtout pas de world ou de quoique ce soit de folklorique, TC manie le gamelan comme une batterie, mais une batterie étendue. Cloches et gongs augmentent seulement les possibilités dynamiques et timbrales de ces polyphonies complexes et belles mais aussi très intenses. Intensité redoublée sur la deuxième piste par les déclamations incompréhensibles de TC, sortes de psalmodies spontanées qui ne sont pas sans rappeler certaines des performances de Diego Chamy. Une belle profusion de timbres (peaux percutées et frottées, cloches, archets sur cymbales et gongs), d'idées, de rythmiques éclatées et enchevêtrées, et surtout: une énorme profusion d'énergie.

Une sorte de free gamelan solo, Un est aussi et surtout une belle suite d'improvisations pour percussions, improvisations inspirées, riches, complexes et bien structurées, où TC parvient à gérer les différentes couleurs possibles des percussions sans jamais oublier leur aspect rythmique. Très bon boulot, juste un poil trop court.


Michel Doneda/Jonas Kocher/Tomaž Grom/Tao G. Vrhovec Sambolec - Udarnik (Zavod Sploh/L'innomable, 2011)


Coproduit par deux labels slovènes, Udarnik est une suite de quatre improvisations électroacoustiques. On y retrouve le célèbre Doneda au soprano, certainement un des saxophonistes qui a le plus contribué à l'extension des techniques et des couleurs propres au soprano et au sopranino, notamment dans les années 90. A ses côtés sont présents l'accordéoniste suisse Jonas Kocher, collaborateur régulier de Doneda, ainsi que deux musiciens slovènes: Tao G. Vrhovec Sambolec à l'ordinateur et Tomaž Grom à la contrebasse. 

Pour ceux qui ont entendu le duo Grom/Murayama ainsi que le solo de Kocher, vous vous douterez bien que la notion d'espace et le jeu sur les différentes dynamiques possibles sont primordiales durant cette session. Quelques passages sont d'une puissance surprenante, chacun joue fort dans des registres très intenses; mais à ces passages peuvent succéder des sortes de nappes très étirées, calmes et silencieuses où chacun joue de manière très retenue (souffle, soufflets, crépitements discrets). Moments de contemplations et d'attention/tension extrêmes, avec des interventions très espacées sur une nappe très lisse et fine. Et ce sont ces moments qui requièrent le plus d'attention, les yeux fermés et les oreilles dans le casque, le quartet nous amène dans des territoires plats aux couleurs insoupçonnées. Parties pleines de tension, mais aussi reposantes par rapport aux parties fortes, vis-à-vis des climax où la contrebasse devient percussion en explosant chaque corde sur le manche, tandis que Doneda explore des registres suraigus à peine concevables. Dynamique accentuée par les interventions fracturées de Kocher et par la discrétion de Sambolec, l'ordinateur que l'on cherche toujours mais que l'on trouve pleinement que dans les moments d'accalmie.

La cinquième et dernière pièce est un remix que l'on doit à Giuseppe Ielasi, basé sur les enregistrements de cette session qu'il a lui-même mastérisé. Pas ou peu de transformations des sources sonores, Ielasi manipule ces fragments par collage, bouclage, déconstruction/reconstruction: un remix fidèle et plutôt réussi qui joue cependant beaucoup moins sur les dynamiques que sur les couleurs.

Véritable jeu de dynamiques où la violence la plus extrême et la plus saisissante succède aux accalmies les plus contemplatives, où la présence la plus entière ne laisse que rarement préfigurer ces nappes fantomatiques, Udarnik est aussi un sommet d'écoute et de liberté, chaque musicien pouvant régulièrement jouer en petites formations (duo & trio) sans être happer par le son collectif.

Helmut Schäfer - Thought Provoking III (23five, 2012)

Avant que Will ne me parle de ce projet, j'avoue n'avoir jamais entendu parler de Schäfer: musicien qui s'est principalement concentré sur les musiques concrètes et électroacoustiques, qui a beaucoup collaboré avec Karkowski, pape des assauts sonores. Sa musique était apparemment dense et puissante, à l'image de son ami polonais peut-être, et un tournant a du être pris avec cette composition, puisqu'il s'agit là d'une pièce assez minimaliste et aérée, ouverte et délicate.

Thought Provoking III fut tout d'abord joué en solo par Helmut lui-même à l'orgue et à l'électronique, et lors d'une deuxième et d'une troisième performance, Elisabeth Gmeiner et Will Guthrie se sont adjoints à ce projet, au violon et aux percussions. Will a ensuite assemblé ("construit") et mixé ces performances datant de 2007 en hommage à ce musicien décédé depuis peu. Proche d'un drone de par son aspect très linéaire, cette pièce est tout de même trop riche pour en être un, mais le temps est tellement lisse et étiré que l’ambiguïté persiste tout du long. Une pièce pleine de tensions où les réponses à chaque intervention surgissent avec vivacité sans qu'aucune pulsation n'apparaisse ni aucune sensation de rupture. Une pièce toute en continuité et en tension, où chacun semble avoir peur de couvrir l'autre, où chaque son prend une importance démesurée tout en étant parfaitement intégré au son d'ensemble. Il est même parfois franchement difficile de distinguer l'étrange orgue du bourdon rocailleux (proche de la vielle) de Gmeiner ou des bols tibétains de Will. Interventions et réponses attentionnées et délicates, toutes en retenues, comme si chacun avait peur d'oppresser l'auditeur par la densité du son, mais sans laisser aucun silence concret. La musique écrite par Helmut est minimale et la plupart du temps pas très forte, mais parvient tout de même à être puissante et riche, sans parler de l'aspect envoutant de la temporalité lisse et étendue.

Une musique envoutante de par son aspect continu et linéaire, mais aussi de par son aspect cyclique: des éléments musicaux apparaissent en réponse instantanée à d'autres (comme cette puissante note grave qui met fin à une boucle mélodique et mélancolique d'Elisabeth Gmeiner), puis ressurgissent dans un tout autre contexte au fil de la pièce (tel le bol de Will Guthrie et certaines notes d'orgue). On était déjà perdu par l'absence de pulsation, mais ces répétitions et ces rappels nous perdent encore plus en sortant de leur contexte certains éléments qui semblaient intervenir selon une logique propre, logique qui disparaît lors de la répétition-décontextualisation. Répétition et continuité, linéarité et étirement du temps, tous ces aspects font de cette pièce une musique qui procure un sentiment d'éternité cyclique, d'une temporalité infinie extérieure à toute perception domestiquée.

Puisque ce disque se veut un hommage à Helmut Schäfer, il semble normal qu'on y trouve aussi Zbigniew Karkowski, ami et collaborateur de longue date du compositeur autrichien. Le disque se conclut donc sur un remix électronique de Karkowski, plus agressif et violent, mais aussi plus fracturée, et donc beaucoup moins linéaire. En soi, le remix n'est pas mauvais, c'est même une pièce plutôt pas mal, mais qui n'a tellement rien à voir avec l'originale, au niveau de la dynamique surtout, qu'elle me semble plus gâcher l'écoute de Thought Provoking III qu'autre chose, dans la mesure où la pièce principale réclame plus, pour finir, le silence, plutôt qu'un assaut sonore...

En tout cas, la pièce principale est vraiment superbe et puissante, extrêmement bien interprétée, avec rigueur et sensibilité, avec émotion et intensité. Tension, richesse, délicatesse, attention au temps et à l'espace, une œuvre vraiment intelligente et bien structurée, oui: hautement recommandée.

Nouvelles de Grèce: Chris Heenan & Dimitra Lazaridou-Chatzigoga + Yannis Tsirikoglou

Avant d'entendre parler de la Grèce dans les médias français, il faut soit attendre la mort inattendue et accidentelle d'un des plus grands cinéastes vivants, soit voir la mise en application de nouveaux dispositifs sécuritaires et répressifs (assassinat d'Alexis) accompagnés de leur corrélat économique nécessaire ("plan d'austérité). D'un autre côté, en marge des groupes de désinformations et de communications mensongères, quelques musiciens et labels continuent de produire des musiques avant-gardistes, radicales et extrêmes. Plusieurs chroniques ont déjà été faites ici-même à propos du musicien Thanos Chrysakis ainsi qu'à propos du label Organized Music from Thessaloniki, mais je ne m'intéresserai ici qu'aux deux derniers mini CD-R du label grec moremars, destiné à la promotion des jeunes artistes grecs.
Yannis Tsirikoglou - Dust (moremars, 2011)

On pourrait voir dans Dust une sorte d'écho à Lacunae de mpld, dans la mesure où il s'agit encore d'une étroite interaction entre vidéo et musique. En effet, le principe de ce très court CD (une dizaine de minutes) est une collaboration entre le musicien Tsirikoglou et la vidéaste Mariska de Groot. Captation sonore directe de la lumière projetée par la vidéaste, Dust est une suite de miniatures à tendance narrative où le son provient d'une synthèse des phénomènes optiques. Contre toute attente, les couleurs n'ont rien de très nouveau, mais l'ambiance est assez originale, entre SF et schizophrénie (parfaite pour accompagner la lecture d'un Philip K. Dick). A mon avis, le gros problème de ce disque est la durée de ces miniatures, beaucoup trop courtes pour qu'on ait le temps d'intégrer l'atmosphère et de s'immerger dans ces univers pourtant évocateurs, riches et originaux. Un peu décevant à cause de la durée, Tsirikoglou reste quand même prometteur, et j'attendrais plutôt la sortie d'un disque plus long.

Chris Heenan/Dimitra Lazaridou-Chatzigoga - Der Schlaue Fuchs (moremars, 2011)

Duo instrumental cette fois-ci avec Chris Heenan à la clarinette contrebasse et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga à la cithare préparée. Dans la mesure où le support est un mini CD-R, cette pièce n'est pas très longue encore (quinze minutes), mais étant unique, le développement est nettement plus conséquent... Une très belle collaboration et une puissante interaction entre cordes et vents: superposition de longues notes extirpées des registres extrêmes et souvent multiphoniques à la clarinette, par-dessus un bourdon magique et ininterrompu à la cithare. D'autres éléments surgissent parfois de la cithare par-dessus l'imperturbable bourdon, des éléments sonores souvent inouïs dus à une préparation savante et un choix d'objets ingénieux pour une utilisation étendue et hors du commun de cet instrument rare. De son côté, le son de Chris Heenan est souvent caverneux, primitif et extrêmement puissant, une sorte de cri originaire puisé dans les émotions les plus profondément enfouies du musicien, ou dans l'inconscient de l'espèce humaine. 

Un duo exceptionnel qui nous ramène aux fondements de la musique, aux origines de l'espèce, avec ce cri primal accompagné d'un bourdon chamanique. Très belle pièce extrêmement puissante et intense, une musique saisissante et originale. Recommandé!

Scott Smallwood/Sawako/Seth Cluett/Ben Owen/Civyiu Kkliu + MPLD

scott smallwood, sawako, seth cluett, ben owen and civyiu kkliu - phonography meeting 070823 (winds measure, 2011)

Comme d'habitude sur le label winds measure, la pochette (signée Ben Owen) est magnifique et la musique est littéralement hors du commun. Pour phonography meeting 070823, il s'agit d'une suite de field-recordings, quoique qu'une suite évoque peut-être un peu trop la musique, il faudrait peut-être mieux dire qu'il s'agit d'une fresque en cinq tableaux, ou d'un poème en cinq strophes je ne sais pas. Plus précisément, il s'agit de cinq tableaux sonores composés de field-recordings uniquement, cinq propositions de cinq musiciens qui se succèdent. Dans les notes, on peut lire que la "phonographie" n'est rien d'autre que l'écriture des sons, l'écriture sonore; et effectivement, chaque musicien propose ici, avec son propre langage sonore, un univers à faire vaciller l'imaginaire, un univers construit à partir d'un langage composé de sons divers, et non de notes. Smallwood commence avec des gouttes d'eaux qui tombent mécaniquement dans du liquide, gouttes accompagnées d'une sorte de métronome, tandis que des voitures circulent ponctuellement; et parfois, cet univers sonore est interrompu par une mélodie mécanique elle-aussi. D'un autre côté, Civyiu Kkliu clôture cette fresque avec un drone puissant, brutalement interrompu par des bruits blancs, qui finiront eux-mêmes par fusionner avec le bourdon, dans un finale brutale et intense. Entre-temps, on peut entendre des enregistrements citadins, des fêtes d'anniversaires enfantines, inquiétantes et fantomatiques, des bruissements de feuilles, du vent, des micros ultrasensibles, etc.

La force de cette suite poétique vient de la diversité esthétique des matériaux: des matériaux parfois très abstraits que l'on peine à reconnaître, d'autres d'une limpidité envoutante, on est toujours balancé entre la musique (mélodies, rythmes) et le bruit (souffles), entre l'abstrait et le concret, entre le déterminé et l'indéterminé. Cette diversité produit des univers multiples qui demandent une attention et une activité importante de la part de l'auditeur, si jamais il veut s'y retrouver. Les différentes strophes de ce poème (ré-)activent la puissance et les possibilités de l'imagination, de la sensibilité auditive, autant chez les musiciens (lors des enregistrements et lors de la création) que chez les auditeurs. Musique pour le corps et l'esprit, qui peuvent enfin se réunir (alors qu'ils étaient faussement séparés par une idéologie scientiste) dans cette musique poétique, aventureuse, sensible, nouvelle, charmante et envoûtante.


 
mpld - lacunae (winds measure, 2011)

mpld est le nom de scène d'un projet de l'artiste sonore Gill Arnò, projet basé sur l'amplification d'un projecteur de diapositives. Après de nombreux CD en éditions limités, le label winds measure a pris pour la première fois l'excellente initiative de publier une performance en DVD-R, afin que l'on puisse contempler le son aussi bien que l'image. Des extraits sont d'ailleurs disponibles sur le site du label ainsi que sur le site de Gill Arnò, qui explique également le dispositif qu'il utilise la plupart du temps (à noter d'ailleurs que le DVD est livré avec une carte postale où le dispositif est également représenté par un dessin exhaustif).

Si Gill Arnò avait utilisé des projecteurs 16mm ou 35 mm par exemple, on aurait pu parler d'une entreprise de déconstruction systématique, mais ici, bien au contraire, ce vidéaste/musicien sculpte des images et des sons à partir de photogrammes, les diapositives se fondent les unes dans les autres et construisent une autre image, mouvante, épileptique. En utilisant deux projecteurs, chaque image est perturbée par une autre qui tente de la pénétrer, et cette perturbation prend un rythme lancinant, tout en s'inscrivant de manière autonome, extérieure aux images. Ce rythme perturbateur est saisi par des micros installés directement dans les projecteurs (tandis qu'un larsen est produit par des retours placés entre les projecteurs et l'écran); et pour Gill Arnò, il ne reste plus qu'à modifier (ordinateur et table de mixage) les sons générés par le dispositif de projecteurs pour également produire du son, du son directement issu de l'image produite par les superpositions. On peut le voir, l'interaction entre l'image et le son est on ne peut plus intime, aucun élément n'est subordonné à l'autre, et sans connaître le dispositif utilisé, il me paraitrait difficile de savoir si c'est l'image qui génère la musique, ou si la musique produit l'image... Généralement, les images sont des paysages (quelques personnages apparaissent à la fin de la performance), paysages au grain vieux et épais, aux contrastes ternes, et rythmés par des perturbations épileptiques et hypnotiques. Quant à la musique, il s'agit de boucles mécaniques aussi épileptiques que l'image, boucles générées par le mécanisme même des projecteurs. Mais contrairement aux images, la musique est plus narrative, du moins plus linéaire, et la modification des sons suit une logique de densification et d'intensification. Long crescendo qui atteindra un climax saisissant de violences, brutalement interrompu par une coda sensible et poétique de quelques minutes. Plus les minutes passent, plus le son devient dense, fort, et saturé; mais plus qu'il n'agresse, ce son hypnotise avant tout, Gill Arnò possède un charme hors du commun et parvient à saisir organiquement l'auditeur/spectateur de ce voyage sonore et visuel exceptionnel.

Une performance intense, puissante et absolument envoutante malgré la violence qu'elle recèle: au-delà de l'image et au-delà du son, lacunae nous amène dans un territoire organique et émotif sensationnel. Hautement recommandé!

Lee NOYES (solo & duo)

and/also - like also and any (idealstate, 2012)

and/also est un duo totalement acoustique, une forme instrumentale mille fois entendue déjà dans le free jazz: un duo saxophone/percussions, avec respectivement Stuart Porter à l'alto et Lee Noyes. Je parle de free car and/also adopte certaines caractéristiques de ce mouvement, l'instrumentation d'une part, et surtout le phrasé serré à la Ornette (qui semble même cité à la fin de la première piste), lyrique et mélancolique comme Ayler, de l'alto de Porter. Cependant, le duo va plus loin en intégrant d'autres éléments aussi importants durant ces quatre pièces et en éliminant certaines propriétés essentielles et/ou omniprésentes dans ce courant musical. On peut très vite se perdre dans ce paysage sonore qui n'évoque pourtant que des éléments déjà connus de beaucoup: Porter répète certains riffs parfois très swinguant, mais Noyes reste systématiquement à l'écart, joue à contretemps  ou réduit la rythmique à une seule grosse caisse frappant les deux premiers temps de manière monotone et neutre, sans parler de l'absence notable de crescendo et d'énergie furieuse pourtant propres au free. Et d'un autre côté, on ne peut pas non plus réellement parler de réductionnisme à cause des éléments rythmiques et mélodiques déjà évoqués malgré l'utilisation constante du silence, d’interactions décalées et de techniques étendues (archet sur cymbales, multiphoniques, etc.).

Du free jazz réductionniste? Peu importent les étiquettes, la musique proposée sur ce fantastique like also and any nous offre de vastes étendues sonores puissantes et originales, des espaces très aérés et poétiques, et une large palette de timbres et de formes d'interactivité utilisés avec parcimonie, sensibilité, et attention. Un duo simple et accessible, au-delà des genres et des étiquettes, très intense; en bref, un beau rafraîchissement et renouvellement de certaines musiques. Vraiment réjouissant, voire plutôt jouissif!

Tracklist: 1-also and any like / 2-and any like also / 3-any like also and / 4-like also and any

 Lee Noyes - Xiàzhì (idealstate, 2012)

Premier enregistrement solo aux larsens, Xiàzhì rassemble deux pièces enregistrées en studio plus une longue pièce live d'une demi-heure. Les deux premières jouent sur une succession de fréquences uniques qui varient selon les hauteurs, intensités, textures, volumes. Des fréquences autonomes et invariables en elles-mêmes, séparées par des silences ou des souffles numériques qui s'enchaînent sans logique apparente, car chaque son surgit de manière autonomisée sans ordre logique. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ces deux morceaux ne m'ont pas vraiment enchanté, on dirait une analyse abstraite des sons, une analyse froide où chaque bruit surgit de manière inattendue certes, mais aussi irrationnellement et dépourvue de tout sentiment comme de toute intention. Un peu comme si on avait extériorisée la création sonore dans un programme numérique produisant des larsens aléatoirement et chaotiquement.

Reste ce live qui prend tout de même la moitié du temps de ce disque. Un live beaucoup moins froid, abstrait et minimaliste que les deux enregistrements studio, où on peut agréablement entendre les textures se superposer de temps à autre, mais également les entendre moduler à l'inverse des fréquences générées au début. Une demi-heure plus vivante et moins austère, peut-être minimaliste, mais plus proche de Toshimaru que d'une copie médiocre de Sachiko. Xiàzhì génère des sons minimaux, réduits à presque rien, de manière austère. Un album dur, radical et extrême qui conviendra peut-être aux férus d'avant-garde et d'expérimentations électroniques mais qui, personnellement, m'a laissé aussi froid qu'une expérimentation creuse.

Lee Noyes & Radio Cegeste - to orient themselves with coastlines (idealstate, 2012)

Sans aucun doute, to orient themselves with coastlines est le plus réussi de cette nouvelle fournée néo-zélandaise. Aux côtés de Lee Noyes à l'électronique et à quelques percussions très légères et extrêmement sporadiques, on trouve l'artiste sonore Sally Ann McIntyre (alias Radio Cegeste), qui travaille principalement ici, comme à son habitude, sur des fréquences radios et l'électromagnétisme. Sur cet album, on trouve quatre pièces qui ont en commun de toutes être basées sur une trame tissée par les fréquences radios, AM et FM forment une sorte de bourdon et de ligne directrice sur lesquelles se greffent de multiples sources sonores toujours bienvenues, comme par exemple des percussions discrètes, des vieux vinyles, des enregistrements d'accordéon défectueux et de chants d'oiseaux, ou encore un thérémine. Il y a une profusion de sonorités et de textures qui s'emmêlent, se superposent, s'enchevêtrent et se structurent, mais cette profusion est organisée avec parcimonie et attention, jamais rien de chaotique malgré la richesse des matériaux. Les couleurs se superposent sans se mélanger, une grande attention est portée au déploiement de chaque texture et de chaque couleur durant cette espèce de collage au rythme contemplatif plutôt qu'épileptique. LN et RG développent chacun une texture globale pleine d'aspérités, ils déploient des paysages granuleux aux reliefs profonds et aux couleurs multiples, mais toujours à partir de fonds sonores corrosifs. En soi, les sons ont quelque chose d'agressif, du fait de leur grain, mais la délicatesse apportée à leur déploiement et la finesse de leur tissage font de ces broderies électroniques une musique délicate et poétique, sensible et envoûtante, belle et précieuse - ce que je ne mettrai pas sur le compte de la présence d'une artiste féminine... 

En bref, quatre pièces évocatrices et poétiques, aux couleurs claires et multiples. Modulations de fréquences et collages sonores granuleux, parasites technologiques et détournements médiatiques forment une suite sonore et narrative riche en textures. Des photos magnifiques, des notes intéressantes, quatre pièces magnifiques: Recommandé!