Eli Keszler + John Wiese

Eli Keszler - Cold Pin (Pan, 2011)

A la base, Cold Pin est une installation à l'intérieur du Cyclorama de Boston: quatorze cordes de différentes longueurs activées par des moteurs et contrôlées, filtrées et modulées par des micro-contacts, des câbles rca et des micro-controlleurs. Pour ces deux pièces basées sur cette installation et publiées en vinyle par le label allemand PAN, Keszler a également fait appel à plusieurs musiciens: Geoff Mullen à la guitare, Ashley Paul à la clarinette et guitare, Greg Kelley à la trompette, Reuben Son au basson, et Benjamin Nelson au violoncelle. En plus de contrôler l'installation, Keszler joue également de la batterie et un peu de guitare.

Deux improvisations (à moins que ce ne soit composé, difficile à savoir dans ce contexte) extrêmement denses, deux improvisations où la batterie, même si elle est légère, tourne dans tous les sens, frappe ou tapote de nombreux objets, de nombreuses peaux et bols. Et pendant ce temps, les cordes activées forment des clusters inquiétants et sombres, imposants, surprenants. On ne les attend jamais, mais elles arrivent toujours, en masse, denses, puissantes, viscérales. Tandis qu'à leurs côtés, chaque instrumentiste joue de longues notes, la plupart du temps dans un registre grave. Des nappes souterraines sur lesquelles l'installation peut pousser ses cris caverneux. Musique géologique de décomposition, cluster acoustique agité et hystérique: un peu comme si la catastrophe était dorénavant imminente, l'urgence est de mise durant cette demi-heure qui fait bien de ne pas durer plus. Cette urgence, on la ressent aussi dans ces guitares triturées uniquement dans les aigus, contrastant avec les graves des soufflants. Deux pièces aussi denses qu'intenses, très sombres et tendues, à la limite de l'oppression sonore et de l'anxiété rythmique.

Assez difficile d'accès, du fait de sa densité et de son déploiement magistral de couleurs qui se brouillent en une nuée sonore aux confins de l'irrationnel, Cold Pin est tout de même un LP puissant, très bien enregistré, et plutôt original. Sans parler de la magnifique pochette digne de PAN et de Bill Kouligas... A écouter.


John Wiese - Seven of Wands (PAN, 2011)

Je viens de me rendre compte que je n'avais encore jamais chroniqué JW ici: figure majeur de la harsh noise et un des trois maîtres des murs de sons blancs les plus virulents et les plus agressifs. Du moins jusqu'à Seven of Wands... La harsh dès les années 90 et jusqu'à aujourd'hui a toujours eu quelque chose d'alarmiste, chaque performance semble signer à chaque fois la fin du monde. Les assauts sonores où une infinité de fréquences se multiplient ne sont jamais sans évoquer une planète en flamme, où tous les êtres vivants se consument dans un immense incendie déclenché par la marche autonomisée d'une technologie inhumaine. Avec Seven of Wands, on pourrait penser que JW veut maintenant évoquer l'après-catastrophe, car elle est maintenant inéluctable, et ce malgré (peut-être même grâce) les multiples réformes écolos visant à gérer le désastre sans toucher à ses fondements.

Voyage post-apocalyptique inquiétant et long travelling à travers un univers dévasté par les aberrations technologiques et industrielles. JW nous plonge dans ici dans une musique imagée, cinématographique: mais ce n'est plus une cellule familiale (dernier refuge atomique de l'humanité) qui survit, comme dans les films catastrophes, ce sont plutôt des nuées d'insectes mécanisés, monstres hybrides aux allures plutôt hostiles, des meutes d'araignées bioniques de quatre mètres qui tentent de survivre à des hordes de rapaces génétiquement modifiés. On ne sait plus où on est, ni où on va (mais le sait-on dans la réalité?); chaque paysage est inconnu, et ne semble pas prêt à nous accueillir - soit nous sommes étrangers, soit la planète nous est devenue étrangère.

Lu musique de JW se fait ici beaucoup plus calme, plus aérée, mais en même temps, elle devient mille fois plus sombre, stressante et inquiétante: ce qui la rend d'autant plus envoûtante. De nombreuses nappes synthétiques, des sons parfois instrumentaux (gongs notamment), il ne s'agit plus de fréquences démultipliées et saturées, les murs de sons ont laissé place à des nappes beaucoup plus lisses au service d'un univers narratif et pictural pessimiste et inquiétant. Recommandé!

Tracklist: 1-The new dark ages / 2-Scorpion immobilization sleeve / 3-Alligator born in slow motion / 4-Burn out / 5-Corpse solo / 6-Don't move your finger / 7-Don't stop now you're killing me