Jérôme Noetinger, Robert Piotrowicz, Anna Zaradny - Crackfinder

En 2016, Jérôme Noetinger rejoignait les deux musiciens polonais Robert Piotrowicz et Anna Zaradny pour un concert à Cracovie. Je ne sais pas s'il y a eu d'autres collaborations avant, ni s'ils ont continué ensuite, mais à l'écoute de ce concert, on ne peut que souhaiter que cette réunion se produise encore. Car si Zaradny et Piotrowicz ont beaucoup joué ensemble, la présence de Noetinger paraît toute aussi naturelle que la collaboration de longue date des deux premiers. Chacun a un langage propre, et les rôles sont distincts dans ce trio, on reconnaît très bien les nappes de synthétiseurs de Piotrowicz, les variations de vitesse sur les bandes de Noetinger et le saxophone de Zaradny, mais le trio forme un ensemble organique et uni, une masse cohérente et riche. Crackfinder, c'est donc ce live d'une intensité, d'une profondeur et d'une puissance rares, le genre de concert auquel on rêve d'assister.
Des oscillateurs profonds forment des masses mouvantes aux sonorités proches de clusters d'orgue d'église. Des bandes sont manipulées de manière abstraite où le son semble couler, courir, sauter comme dans un delay à bandes déconstruit. Un saxophone se mêle à tout ça de manière parfois abstraite, parfois plus "mélodique", et apporte une touche instrumentale, acoustique et free jazz qui donne un relief supplémentaire à ces pièces. Le trio joue sur des basses très profondes et des mediums très riches, sur des résonances et des sons continus. De manière générale, le son est d'une beauté et d'une richesse frappantes, mais ce n'est pas tellement le plus intéressant.

On n'est pas tellement surpris par l'environnement sonore, mais plutôt par la cohésion qui règne dans cette formation. Expérimentations électroniques, manipulations de bandes, synthèses analogiques et improvisations de saxophone ne font qu'un dans ces deux pièces. Toutes les sources sonores semblent circuler en circuit fermé et être manipulées par chacun des musiciens. On dirait que le son est filtré et manipulé par chacun des musiciens, que chaque musicien joue avec le son des autres. Je ne sais pas si c'est vraiment le cas, ou si c'est seulement l'intérêt collectif de faire de la performance elle-même avec ses accidents, son environnement, le processus de création, mais quoiqu'il en soit, cette collaboration est d'une cohésion incroyable. Tout ce mélange en un magma organique où les différents éléments sont bien distincts, mais parfaitement homogènes. Même au niveau de la structure, malgré les nombreuses fractures et la multitude d'évènements, on reste surtout marqué par la continuité des évènements. Tout semble fluide, naturel et organique, au niveau sonore comme au niveau structurel, et c'est cette fluidité, cette cohésion qui font pour moi toute la puissance de ce disque.

Une collaboration unique entre trois grands musiciens où la diversité des instruments fait toute la richesse sonore d'un côté, mais passe quand même au second plan derrière la cohésion de l'ensemble. L'échange et l'écoute entre chacun est incroyable, et produit une niveau d'intensité et de puissance rares. Les évènements sont nombreux mais assemblés de manière à former quelque chose de cohérent et continu, ce qui renforce encore l'intensité de cette performance. Tout ça fait de Crackfinder un disque original, qui marque par sa densité, sa richesse, son intelligence et sa sensibilité. Trois musiciens virtuoses au service d'une musique extrêmement dense et intense, pour une performance électroacoustique d'une précision et d'une profondeur rares.


JEROME NOETINGER, ROBERT PIOTROWICZ, ANNA ZARADNY - Crackfinder (LP, Musica Genera, 2018)