Peter Ablinger - Regenstücke

Si les premiers disques du compositeur et pianiste autrichien Peter Ablinger ont commencé à être édités il y a presque vingt maintenant, et s'il écrit depuis une trentaine d'années environ (je crois que ses premières pièces datent des années 80), il n'en reste pas moins que sa discographie n'est pas très fournie. C'est pourtant un compositeur passionnant, créatif et intelligent, qui évolue sans cesse sur de nouveaux terrains et ne rentre dans aucune case, tout en proposant des compositions très fines, profondes et riches. Il fallait un label comme GOD peut-être pour enfin éditer les Regenstücke, une série de pièces pour piano, percussion, installation sonore ou enregistrement. Car GOD se fout des étiquettes, et propose aussi bien des vinyles de métal que de musique contemporaine. Mais bref, parlons plutôt de ces fameuses Regenstücke proposées sur ces deux LP publiés en 2012 et 2013.

Sur le premier volume, le disque s'ouvre avec une magnifique pièce sans titre pour trois pianos qui ne jouent qu'une note à différentes octaves. Il s'agit d'une sorte de canon qui explore les micro-rythmes et les micro-intervalles entre les pulsations. Les trois musiciens jouent sur trois pulsations différentes, indiquées au quart de seconde près, et explorent un pattern rythmique répétitif. Une seule note, un seul rythme, mais trois pulsations. On pourrait croire qu'il s'agit de musique minimaliste, mais ce n'est pas du tout ce que l'on ressent à l'écoute de ce disque. On attend que les notes se rejoignent, ces notes courtes réduites à une seule attaque simple, mais cela n'arrive jamais. On se laisse seulement bercer par les subtils décalages qui ne cessent de varier et d'évoluer au fil des mesures, et c'est juste superbe.

La deuxième face propose une pièce similaire, en six parties, pour percussion. Les percussions sont ici des pièces aux hauteurs déterminées, proches du registre aigu d'un piano. Et là encore, le percussionniste joue une sorte de canon polyrythmique complexe avec seulement trois notes. Tout se joue là encore sur les micro-intervalles de temps, sur les mini cellules qui séparent chaque note et évoluent à chaque mesure en quelque chose de toujours différent. Il y a peu d'éléments encore, mais la musique reste cependant très riche, elle change constamment, tous les blocs diffèrent les uns des autres et on ne peut jamais prévoir ce qu'il va se passer, surtout pas les peaux très graves et profondes frottées à deux ou trois reprises durant ces vingt minutes, sans avertissement !

Le second volume se termine également avec une pièce qui utilise des matériaux aux couleurs proches, à savoir, huit tubes de verre. Chaque tube ne peut produire qu'une note, et elle est répétée à intervalles réguliers, mais seulement, ce sont ici les pulsations qui fluctuent sans cesse, qui ralentissent, accélèrent, se superposent et se décalent les unes par rapport aux autres. Car là encore, tout est joué sur une pulsation différente, l'intérêt est toujours, au-delà du timbre magique de ces tubes de verre, dans les surprises rythmiques constantes qui ornent cette polyrythmie virtuose et envoutante.

D'après ce que je comprend de l'allemand, on pourrait traduire Regenstücke par "morceaux de pluie". Et toutes ces pièces dont je viens de parler évoquent la pluie d'une certaine manière, elles évoquent la régularité et l'imprévisibilité des précipitations. Mais ce sont surtout les trois pièces de la première face de ce deuxième volume qui évoquent le mieux la pluie. Un orchestre est au loin, des cordes pizzicato sont entendues, quelques attaques cuivrées, régulières, aussi. Mais c'est orchestre est aussi présent que la ville, le trafic, et le son environnant. La pluie est ici évoquée en terme de rythme et de volume, son chaos et sa régularité sont toujours là, ses différentes densités aussi, en fonction du nombre d'instruments, mais elle est surtout évoquée en terme de volume puisqu'elle se fond dans l'environnement, elle le perturbe et le couvre à certains moments, mais sait aussi se faire discrète et à peine entendue lors des précipitations les plus douces.

Avec cette série de compositions, Peter Ablinger a superbement su s'inspirer d'un matériel naturel et bruitiste : la pluie, pour composer une série de pièces musicalement très riches, très finement composées et réalisées. La transposition instrumentale est très juste, les techniques de composition sont créatives, la réalisation est d'une précision ahurissante. Bref, bien sûr, deux disques grandement conseillés.

PETER ABLINGER - Regenstücke volume 1 (LP, God, 2012) : lien
PETER ABLINGER - Regenstücke volume 2 (LP, God, 2013) : lien

Takahiro Kawaguchi, Tim Olive, Makoto Oshiro - Airs

L'artiste canadien Tim Olive est installé au Japon depuis deux ou trois ans maintenant, et depuis, les collaborations avec toutes sortes de musiciens se multiplient sur son label, et la personnalité de Tim Olive, qui jouait de la guitare préparée sur table au début, se révèle de plus en plus, et laisse poindre une personnalité fraîche et originale. Quand je l'ai découvert, je n'étais pas passionné par son travail, mais aujourd'hui, je suis de plus en plus intrigué et curieux par chacune de ses propositions.

Tout récemment, deux disques sont sortis sur 845 audio : Dominion Mills, duo composé de Tim Olive et Anne-F Jacques qui ne m'a pas plus intéressé que ça ; et Airs, une suite de quatre pièces composées par le trio formé par Tim Olive, Takahiro Kawaguchi et Makoto Oshiro. Les trois musiciens utilisent principalement des instruments fabriqués par eux-mêmes à partir d'objets usuels et quotidiens (métronomes, petits moteurs, etc.), des matériaux simples (bois, plastique), et des micro-contacts. Il s'agit de compositions proches de l'improvisation, des compositions qui n'indiquent que certains paramètres (sur les timbres, la densité, la durée) et laissent une grande place au choix, aux prises de positions, à l'écoute et à la spontanéité. Le trio utilise toutes sortes de matériaux sonores : doux, abrasifs, calmes, forts, linéaires, discontinus, pulsés, lisses, longs, courts, etc. La palette exploré par cette formation est large et innovante, une palette composée de "couleurs" mécaniques, instrumentales, motorisées, naturelles, fabriquées, silencieuses, et bruyantes. Si chaque pièce a sa propre cohérence, on ne sait jamais à quoi s'attendre dans leur succession, aucune des quatre ne se ressemble et elles explorent toutes des paramètres et des atmosphères différentes.

Ce trio propose une musique vraiment neuve et fraîche, une musique faite de recyclages et de bidouillages en tous genres, d'exploration d'univers sonores inédits, mais il propose surtout une grande diversité dans les réponses et les réactions, dans la construction d'une forme personnelle en somme. Et qu'elle soit composée, improvisée, ou les deux, n'y changent rien, le plus important reste que cette musique est créative. Très bon travail.

KAWAGUCHI/OLIVE/OSHIRO - Airs (CD, 845 Audio, 2014) : lien

Jean-Luc Guionnet & Eric La Casa - Home: Handover

Potlatch, comparé à d'autres labels, ne sort pas énormément de disques, mais quand ce label en sort un il se fait remarquer tout de suite généralement. Et en cette fin d'année, avec un coffret de quatre CD, composés par deux des plus remarquables musiciens français, Jean-Luc Guionnet et Eric La Casa, une fois encore, cette sortie ne passera pas inaperçue dans le milieu des amateurs de musique expérimentale. D'autant plus qu'à défaut d'être une très bonne initiative éditoriale, Home: Handover est un également un projet musical et conceptuel très surprenant.

C'est le genre de projet à faire couler beaucoup d'encre, et il en fera couler je pense. C'est toute une méthode de travail, toute une approche du son, de la matière musicale, de la performance et de la perception (de ces éléments, mais aussi de manière générale) qui sont en jeu ici. Autant d'éléments théoriques et philosophiques sur lesquels on peut multiplier les gloses. Et pour dire la vérité, je n'ai pas très envie de rentrer dans ce jeu, et j'aimerais me contenter de parler uniquement de ce qu'il se passe sur ce disque, le plus simplement possible, car je pense que la mise en forme, les indications du livret, et les articles parus ou à paraître orienteront suffisamment la lecture de ce disque. C'est passionnant, perturbant, très perturbant comme projet, mais de quoi s'agit-il finalement.

Chacun des quatre disques est structuré de la même manière. La première piste est un enregistrement d'une personne dans son appartement, cette personne qui change à chaque disque décrit l'endroit idéal pour écouter de la musique, lit son morceau préféré in situ, puis commentent différentes choses sur l'expérience qu'elle vient de vivre, qu'est-ce qu'elle en penserait dans d'autres conditions, etc. La seconde piste est un enregistrement en situation de concert où cinq personnes interprètent à sa manière l'enregistrement précédent. Deux personnes parlent (imitation ou commentaire) et trois musiciens interprètent les mélodies, rythmes et bruits de l'enregistrement (Lucio Capece, Seijiro Murayama et Neil Davidson). La troisième piste est réalisée par un musicien (Keith Beattie sur chaque disque) qui propose une lecture différente des enregistrements en appartement. Il se situe dans une maison, joue un morceau de musique, parle librement et se déplace en intérieur comme en extérieur en accordant beaucoup plus de place à l'acoustique du lieu où il se trouve et à l'environnement sonore global. Quant à la dernière piste, qui ne fait pas partie de la commande originelle d'Arika, c'est une édition et un mixage des trois précédentes pistes qui ressemble beaucoup à ce qu'on peut attendre d'une pièce de musique concrète, avec ses rythmes et ses mélodies bruitistes et environnementaux.

Voilà. Il y aurait beaucoup à dire, mais je n'y tiens pas. Je pense que rien ne vaut l'expérience vraiment singulière de l'écoute de ce disque. Une expérience qui pose question sur l'écoute, sur la matière musical, sur la perception générale et musicale, sur l'audition dans un environnement intime ou public, sur l'interprétation et plein d'autres choses. Et c'est cette remise en question ainsi que le fait que les questions soient la matière musicale elle-même qui font que Home: Handover est une oeuvre si perturbante, une suite de pièces qui nous plonge dans la confusion  la plus totale en faisant perdre tous les repères possibles. C'est pour cette raison que je trouve ce disque admirable, profond, et unique. Je n'ai pas envie de le commenter plus que ça, car je ne me sens pas de le faire, je me sens trop dépassé par cet univers qui s'ouvre, et c'est pour cette raison que je l'aime, car il ouvre réellement de nouvelles perspectives.

JEAN-LUC GUIONNET/ERIC LA CASA - Home: Handover (4CD, Potlatch, 2014) : lien

Jake Meginsky - L'appel du vide

Paru en 300 exemplaires sur open mouth, le label du guitariste Bill Nace et déjà épuisé, L'appel du vide est le premier solo du percussionniste Jake Meginsky. Un seul disque a été publié avec ce musicien, c'était une collaboration avec le duo Nmperign, et c'est tout (ce qui est déjà pas mal!), mais je ne l'ai pas écouté. En tout cas, à écouter ce premier solo de musique électronique et non de percussions, je suis plus que curieux d'entendre les prochaines travaux de Meginsky.

Il s'agit d'une suite de beats défragmentés, déphasés et déstructurés. Des beats profonds, ronds, lourds, qui forment des patterns carrés ? et bien non, des patterns qui ne sont pas linéaires, des patterns qui évoluent par ruptures, par évolutions constantes, des patterns sinueux ou triangulaires plutôt. D'une certaine manière, la musique de Meginsky se rapproche de celle d'Evol, pour son approche minimaliste et hypnotisante. Mais c'est pas tout à fait ça. Déjà, il n'y a pas de référence à la techno et aux raves (ni à la BO de rencontre du troisième type...), ça sonne moins analogique. Meginsky aborde un territoire plus abstrait, plus parasitaire, plus noise en somme. Et ses beats sont régulièrement en interaction avec des fréquences de toutes sortes, des sinusoïdes simples mises en action par les beats, des sinusoïdes hachées, découpées et arrondies par les pulsations et les battements graves irréguliers.

Un disque vraiment surprenant qui ne ressemble à aucun autre et s'écoute facilement. Composées et découpées finement, ces pièces forment des territoires électroniques nouveaux, qui renouent avec le rythme et la mélodie d'une certaine manière, mais des rythmes et des mélodies mises en pièces. Recommandé.

JAKE MEGINSKY - L'appel du vide (LP, open mouth, 2014) : lien

Margarida Garcia - The Leaden Echo

Bassiste, contrebassiste et guitariste qui œuvre principalement dans les musiques improvisées depuis plus de dix ans maintenant, Margarida Garcia est une musicienne que je connais peu et dont on ne parle pas beaucoup malgré ses collaborations avec des artistes de renom (Mattin, ALfredo Costa Monteiro, Andrew Lafkas, Ernesto Rodrigues, Ferran Fages et même Thurston Moore tout récement). C'est Manuel Mota, sur son label Headlights, qui publiait le premier solo de cette musicienne en 2012, une seule face d'un LP intitulé The Leaden Echo.

Pour cette suite de deux pièces d'environ dix minutes chacune, Margarida Garcia utilise une contrebasse électrique seule, sans effets ni techniques étendues. Il pourrait s'agir de réductionnisme, mais ce serait réducteur d'en parler ainsi. Margarida Garcia a développé ici un langage simple, mélodieux, lancinant, et mélancolique. A l'archet sur la première pièce ou en pizzicato sur la seconde, Garcia développe un chant d'une beauté ensorcelante. Des notes simples, espacées, distantes, et surtout intenses se suivent les unes les autres dans un timbre proche de ce que beaucoup d'entre nous imaginent en pensant au chant d'une baleine. De longues notes résonantes, graves, profondes, des cris doux qui envoutent, bercent, émerveillent. Margarida Garcia propose une suite de deux pièces où la contrebasse se fait le médium d'un chant unique, un chant primitif et animal 'une certaine manière, mais également subtilement poétique et raffiné.

Solo de longues notes qui se répondent, d'harmoniques qui résonnent et forment un espace imaginaire et poétique, d'une femme et d'un instrument qui chantent la poésie du monde, d'un espace, et d'une espèce. Le chant lancinant d'une femme qui fait de la poésie subtile avec son instrument. Le chant d'une artiste qui veut chanter le monde, la contrebasse, et soi-même. Un travail très original sur la contrebasse, un travail voluptueux et poétique, subtil et profond, mais surtout beau et envoutant. Vivement conseillé.

MARGARIDA GARCIA - The Leaden Echo (LP, Headlights, 2012) : lien

Tetuzi Akiyama, Jason Kahn, Toshimaru Nakamura - ihj / ftarri

Sur ihj / ftarri (références aux deux lieux qui ont accueilli les performances présentées sur ce disque), on se retrouve face à trois figures dorénavant légendaires des musiques électroniques et improvisées : Tetuzi Akiyama (guitare), Jason Kahn (synthétiseur analogique), et Toshimaru Nakamura (table de mixage bouclée sur elle-même). Donc, il n'est certainement pas besoin de présenter ces monstres des musiques réductionnistes et électroniques, je pense que tous les lecteurs de cette page les connaissent.

En 2012, Jason Kahn faisait une tournée au Japon, durant laquelle il en a profité pour rencontrer de nombreux musiciens, ou rejouer avec de nombreux autres, collaborations qui sont présentées sur plusieurs disques récents (Yugue, Two Sunrises). Ainsi, durant cette résidence au Japon, c'était l'occasion pour l'artiste suisse d'origine américaine de retrouver deux collaborateurs avec qui il avait déjà joué, Akiyama et Nakamura, deux des principales figures du mouvement onkyo. Et c'est avec plaisir que j'ai découvert cette rencontre très fertile.

Akiyama, avec une simple guitare folk, produit des notes et des accords disséminés, espacés et distants, Jason Kahn, au synthé analogique, fabrique régulièrement des nappes ou des formes de bourdons en mouvement, du bruit de fond hautement imprégné de vie, de motifs aléatoires et de filtrages constants, et Nakamura agite sa table de mixage pour produire des interventions hachurées, découpées, soudaines et brusques, des interventions corrosives et dures. Trois langages personnels et créatifs s'entremêlent pour former des mélodies, des boucles, des échantillonnages, des interruptions ; en langage plastique, on parlerait peut-être de formes circulaires, linéaires, longilignes et de points. Et si on continue dans ce sens, on pensera toujours à Kandisky et une sorte une sorte d'entrelacement très équilibré de formes et de couleurs.

La musique de ce trio n'est pas réductionniste, ni électroacoustique au sens académique. Bien sûr, ça ressemble à de l'improvisation électroacoustique, c'est d'ailleurs de l'eai, mais de l'improvisation régie pour une écoute très attentive et qui prend pleinement en compte les personnalités de chacun, et surtout de l'improvisation régie par des idées musicales fortes, des langages bien ancrés, dirigée par une virtuosité incontestable et un sens de l'à-propos indéniable. Bref, deux excellentes improvisations électroacoustiques, riches, denses, intenses et créatives. Conseillé.

TETUZI AKIYAMA, JASON KAHN, TOSHIMARU NAKAMURA - ihj / ftarri (CD, winds measure, 2014) : lien

Rudolf Eb.er - Brainnectar

Rudolf Eb.er est un artiste éminent du field recording, des installations sonores, et des performances psychoacoustiques, au même titre que Dave Philips certainement. Ce dernier, d'ailleurs, a été publié en double CD il y a très peu de temps sur le label de ces deux artistes : schimpfluch associates. C'était homo animalis, une sublime collection de field recordings activistes, réfléchis, et ultra intenses. Et très peu de temps après, voire en même temps, Rudolf Eb.er publiait également Brainnectar, un double CD regroupant de nombreux enregistrements de lui-même, avec la compagnie de la chanteuse/hurleuse membre de Hijokaidan Junko par moments (9 titres sur 42 pour être précis).

Brainnectar compile une série de miniatures soniques étranges. Un mélange d'enregistrements naturels et quotidiens, d'insectes et de machines industriels, d'animaux, d'éléments naturels (feu, eau) et de bruits banals associés à des instruments de traditions chamaniques, des voix ou des vieux enregistrements instrumentaux ralentis, ou à des bruits électroniques primitifs et forts (comme des buzzs par exemple). Eb.er ne joue pas sur l'aspect angoissant ou inquiétant des sons, il ne joue pas sur leurs effets les plus forts, mais plutôt sur le collage et l'assemblage d'éléments disparates. Les différentes pièces présentées sur ce disque, courtes et nombreuses, peuvent s'apparenter à une sorte d'art sonore proche du lettrisme ou du situationnisme. Rudolf Eb.er juxtapose des éléments mondains pour les perturber, mais aussi pour perturber l'expérience des auditeurs. Il propose ainsi une expérience et une perception déroutantes du monde, flippantes et agressives en présence des hurlements de Junko, possessives et contemplatives dans les pièces qui utilisent les éléments les plus banals, intrigantes aussi quand on n'arrive pas à reconnaître les sources, mais toujours décalées.

Une expérience et une perception décalées du monde car les sources et les éléments utilisés ne sont pas faits pour aller ensemble. Et pourtant, Rudolf Eb.er parvient à composer avec et à les assembler en maintenant une cohérence totale, il compose avec ces éléments de manière à ce qu'ils conservent toujours un intérêt, même pour les éléments les plus fins et les plus imperceptibles, et surtout de manière à ce qu'ils agissent toujours sur la conscience de l'auditeur, sur sa perception du monde, et sur l'expérimentation nouvelle de l'environnement sonore que propose cette suite de miniatures psychoacoustiques. Très bon travail.

RUDOLF EB.ER - Brainnectar (2CD, schimpfluch associates, 2014)

maxi 45 tours

Retour du duo Fujako, deux musiciens belge et portugais qui officient dans une sorte de dub/hip hop expérimental depuis quelques années. Et pour ce nouvel EP, ils s'adjoignent les services d'un rapeur nommé MC Black Saturn, laconique et virulent. La formule n'a pas changé, mais reste toujours aussi efficace. Fujako mélange le dub et le hip hop à l'indus et au noise. Un mélange détonant qui redonne toute la puissance et l'intensité initiales de ces genres qui peuvent paraître galvaudés aujourd'hui.

Avec Fujako, les beats lourds et gras sont soutenus pour des larsens stridents, par des résonances métalliques, par des basses caverneuses et organiques, mais aussi par des samples de voix mis en boucles et réverbérés un maximum. C'est laconique comme du dub, lancinant et rituel comme de l'indus, intense comme du noise et puissant comme du rap. Fujako a trouvé la formule parfaite pour ne pas faire danser, mais pour mettre par terre ses auditeurs non avertis. Le duo explore des territoires sombres, durs, crades, il explore les bas fonds, et avec génie s'il vous plaît.

Et quand on parle d'EP, je pense tout de suite au label autrichien Dry Lungs, qui s'est spécialisé dans l'édition d'EP noise et grind après un premier vinyle de Merzbow. Le second était donc un court EP d'une face à lire en 33 tours. Un disque sans titre du duo belge Bruital Orgasme, coproduit avec Hirntrust Grnid Media.

Pour ceux qui aiment le harsh noise, mais à petite dose, ce disque est parfait. Une dizaine de minutes de bruits déconstruits, de murs de larsens psychoacoustiques, où l'électricité devient une suite ininterrompue de sensations extrêmes : peur, panique, orgasme, illumination, obsession, angoisse et autres s'entremêlent dans le flux incessants de signaux sonores : du bruit, des voix, des samples.

Les accalmies sont rares, Bruital Orgasme joue surtout sur les climax, avec toujours plus de densité, de puissance, et d'intensité. C'est mouvementé, extrêmement mouvementé, et violent. J'adore, mais heureusement que c'est court.

Egalement coproduit par Dry Lungs, cette fois avec trois autres labels, A comprehensive guide to dismantling the weapons of mass destruction est un EP dont la singularité est qu'il faut plus de temps pour lire le titre que pour l'écouter.

Mais c'est aussi un disque de Raven, un artiste/activiste serbe qui propose ici deux pièces de cinq minutes chacune. Il s'agit de noise toujours, dans une version plus ambient, dark-ambient que harsh. Raven utilise à souhait de longues basses continues, sur lesquelles s'ajoutent progressivement des strates de bruit blanc.

Un disque sombre, abrasif, glauque et moite, qui ravira les amateurs de noise underground, de noise du fond de l'Europe, là où les musiciens ont connu le bruit ar le biais de la guerre, et non au conservatoire. C'est plus intime, personnel, plus morbide aussi, mais plus créatif que de nombreux disque de noise.

FUJAKO - Soul Buzz (EP/téléchargement, Angstrom, 2014) : lien / bandcamp
BRUITAL ORGASME - sans titre (EP, Dry Lungs/Hintrust Grind Media, 2011) : lien
RAVEN - A comprehensive guide to dismantling the weapons of mass destruction (EP, Dry Lungs/Underground Pollution/Rauha Turva/NHDIYSTREC) : lien

Joke Lanz - Live at Thee Elephant

Publié il y a tout juste cinq mois (en mai 2014) sur Attenuation Circuit en seulement vingt exemplaires, le Live at Thee Elephant de Joke Lanz (alias Sudden Infant) est déjà épuisé, mais il reste encore la possibilité du bandcamp pour ceux qui n'ont pas eu le temps de se procurer la version CDR (illustrée par une peinture de Joke Lanz lui-même!).

Enregistré en mars 2014 en Allemagne, ce live est conçu à partir d'enregistreurs cassettes et de pédales d'effets. Un set-up simple, pour une musique simple, mais unique. Joke Lanz construit des beats saturés et réverbérés avec du larsen durant près d'une demi-heure. Il s'agit d'une seule pièce continue, qui est structurée mais qui a l'air assez spontanée en même temps. Joke Lanz construit sa performance autour de sonorités indus et power electronics. Des beats gras et lourds, des larsens métalliques, quelques cris par moments, tous les ingrédients sont là pour faire un tube PE. Mais ce n'est pas tout à fait ça non plus. Joke Lanz ne veut pas faire un tube, mais semble plutôt vouloir exploiter les effets psychoacoustiques du son : la saturation, les basses, la surcharge, les sons corrosifs, etc. Il exploite les effets mentaux de ces matériaux sonores et propose ainsi une suite continue de paysages à l'image de la peinture qui orne la pochette. Des portraits durs, hachés, fracturés, et directs.

Une superbe performance qui allie les subtilités des recherches psychoacoustiques à la puissance du noise et de l'indus les plus radicaux. Joke Lanz propose ici une performance extrême, sombre, intense (en émotions), simple mais qui sait où aller, et qui y va sans se retourner. C'est brut, puissant, direct, et très bon.

JOKE LANZ - Live at Thee Elephant (CDR/téléchargement, Attenuation Circuit, 2014) : lien

Birgit Ulher & Gregory Büttner - Araripepipra

Au début des années, les improvisateurs dits réductionnistes, ou pas, ont multipliés les improvisations mixtes pour instruments et électronique, c'était l'apogée des sine waves et des nouvelles formations d'eai (improvisation électroacoustique) qui ont fleuri sur tous les continents. Une dizaine d'années plus tard, l'aventure continue avec certains musiciens qui explorent toujours ce riche filon où instruments et outils électroniques ou non instrumentaux (musicaux) sont sur un pied d'égalité.

Ainsi, Birgit Ulher et Gregory Bütnner publient aujourd'hui leur deuxième duo, intitulé Araripepipra, après un mini-CD édité il y a quelques années. On trouve la première à la trompette, radio, haut-parleurs et objets, et le second à l'ordinateur, objets, ventilateurs, et haut-parleurs. Le duo pratique de l'improvisation libre non-idiomatique fortement concentré sur le timbre. Il s'aventure sur des territoires sonores toujours surprenants, des territoires abstraits et bruitistes, ni forts ni faibles, ni lisses ni abrasifs. Il s'aventure dans des sons juste nouveaux. Ulher et Büttner fabriquent une musique qui craque, qui bipe, qui résonne longuement ou claque sèchement. Des souffles, des percussions, des longues tonalités très aiguës et des bruits indistincts se mélangent pour former un dialogue riche de sons frais. L'écoute est attentive, l'attention au son et l'inventivité sont de la partie, c'est fin, précis, et beau. Oui, il s'agit d'eai, ou de post-eai comme on dit maintenant, ou même de réductionnisme comme on dit toujours, bref de l'improvisation libre électroacoustique, ni noise, ni intense et volubile, de l'improvisation pas si spontanée mais réfléchie, de l'improvisation créative avec des textures toujours neuves et une faculté de dialoguer soniquement bien établie.

BIRGIT ULHER & GREGORY BÜTTNER - Araripepipra (CD, Hideous Replica, 2014) : lien

Kevin Drumm & Jason Lescalleet

Bon, ce n'est une surprise pour personne je pense, tous les fans de Kevin Drumm comme de Jason Lescalleet, à l'heure qu'il est, doivent être au courant de la sortie de The Abyss, un double CD publié par le label américain erstwhile. Pour moi, ce sont deux des figures les plus importantes des musiques électroniques actuelles, deux figures essentielles et uniques. Deux figures qui ne cessent de surprendre au fil des années, et comme on pouvait s'y attendre, ont proposé sur The Abyss une suite de pièces comme personne n'aurait pu l'imaginer.

Enfin, d'un côté, quand on écoute les six premières pièces du premier disque, on sait qui on écoute. Kevin Drumm et Jason Lescalleet font se succéder des boucles de bandes, des field-recordings, du bruit blanc, le tout manipulé et sculpté au scalpel, de manière chirurgicale, glaciale, dure. Tout commence par des chants d'oiseaux, rapidement coupés par du larsen de table et du bruit numérique, avant que n'entrent en scènes des fragments de musique populaire ralenties. Le côté incisif de Kevin Drumm est là, sa puissance aussi, et les textures abrasives côtoient alors des bandes ralenties, des chansons déstructurées. Oui, ce sont bien là les marques de fabrique de Kevin Drumm et de Jason Lescalleet : des atmosphères sombres, froides, abrasives et dures.

Et puis, au bout de quarante minutes, le duo plonge ses auditeurs dans une autre aventure, une aventure de 30 minutes qui se poursuivra également au fil du second disque, durant près d'une heure. A partir de ce moment, c'en est fini de nos repères et de nos attentes. C'est à partir de là que Kevin Drumm et Jason Lescalleet créent tout autre chose, une surprise comme on en a rarement. Car ces derniers temps, ces deux musiciens s'orientent dans des directions parallèles : dans des directions très calmes, sombres, minimales, proches de l'ambient et du drone, mais qui n'en sont pas vraiment. Et c'est la voie également empruntée durant la plus longue partie de ce disque épique.

The Abyss. Oui, avec ces deux longues pièces, on comprend mieux le titre. Car durant près de 80 minutes, Kevin Drumm et Jason Lescalleet nous plongent dans une univers liquide, sombre, inquiétant, et fantastique. Le duo évolue sur des textures liquides, étouffées, organiques, mouvantes, et surtout discrètes. Le volume est faible, voire très faible, hormis à quelques rares moments où certaines fréquences ressortent. On distingue parfois deux voix, celle de Drumm ou celle de Lescalleet, mais elles se correspondent, se noient allègrement l'une dans l'autre, les bandes bouclées se fondent dans les nappes souterraines, les enregistrements de terrain sur cassette se mélangent indistinctement, les parasites et les manipulations analogiques forment des nappes homogènes et mouvantes. Kevin Drumm et Jason Lescalleet, jamais j'aurais cru dire ça un jour, mais oui, on dirait la bande son d'un documentaire sur les monstres sous-marins, sur le bestiaire abyssale. Le duo américain propose ici une sorte de plongée dans un monde sonore unique, une immersion totale dans les recoins minimaux des parasites sonores, du monde extérieur, des bandes analogiques, et des sons créés de toutes pièces.

Je ne suis pas sûr de franchement aimer cette tournure. Je suis admiratif devant ce tournant, car c'est radical, inattendu, mais parfois aussi c'est ennuyeux. J'ai du mal à critiquer ces deux artistes, car je les admire beaucoup. Et je les admire parce qu'ils savent toujours surprendre, ils savent produire de l'inattendu. Et là encore, c'est inattendu, je ne suis pas sûr d'aimer, pas pour l'instant en tout cas, mais le duo continue d'explorer de nouvelles voies, et il l'explore avec minutie, avec précision, finesse et créativité. Il y a un côté ambient monotone que je n'apprécie que moyennement, mais en même temps, le duo va plus loin et compose seulement avec des textures moins abrasives et moins fortes que d'habitude. Et le duo compose avec ces sons de manière tout de même bien personnelle, qui n'a rien à voir avec l'ambient. Kevin Drumm et Jason Lescalleet travaillent toujours de la même manière en fait, mais avec d'autres matières sonores. Ils continuent d'explorer des phénomènes sonores uniques dans les bandes par le biais de manipulations simples, de sculpter ces matières de manière chirurgicale, et de nous plonger dans un monde musical unique, singulier et hautement créatif.

Avant de parler des dernières nouveautés de ces deux musiciens, juste pour le plaisir, j'aimerais écrire quelques lignes sur un disque qui m'a énormément marqué, et qui a marqué toute une génération de musiciens et de mélomanes je pense : Sheer Hellish Miasma de Kevin Drumm. Album culte qui a déjà fait l'objet de deux rééditions depuis sa première en 2002, l'une en CD cinq ans plus tard, et l'autre en version élégante double LP en 2010 ; toutes chez les éditions Mego.

Jusqu'à ce moment, Kevin Drumm était reconnu comme un nouveau maître de la guitare préparée, il s'était illustré en solo, ou en duo avec Sugimoto ou Axel Dörner par exemple, comme une sorte de génie de la guitare, avec une approche bruitiste et minimale très rude et austère, mais très créative aussi, les premiers pas du réductionnisme en somme. Pour ce premier solo chez Mego, Kevin Drumm s'orientait alors vers une nouvelle forme très fructueuse, une sorte de harsh drone qui mélange la guitare, les effets numériques et analogiques, l'électronique et l'ordinateur, une démarche à l'opposé du réductionnisme. Ici, la guitare, les bandes magnétiques, les synthétiseurs analogiques et une "assistance par ordinateur" se superposent, les boucles se collent les unes sur les autres pour former une masse sonore très riche, dense, et puissante. Kevin Drumm aime l'improvisation, comme ses précédentes excursions en guitare le montraient, mais aussi le noise le plus virulent comme le métal, ainsi que le montre cette profusion de sons saturés, comme cette pochette hommage à Merbow.

Le premier morceau comporte surtout du larsen, du larsen de guitare lent et corrosif, accompagné de nappes de synthés mises en boucles et saturées. Une pièce linéaire et massive, qui annonce le début d'une période dévastatrice et intense pour ce génie des manipulations bruitistes. Puis avec Inferno débute une nouvelle forme haute en couleurs où les bandes sont triturées, comme les micro contacts de la guitare, avec l'appui considérable de bruits blancs filtrés ou non au synthé, ainsi que de Greg Kelley à la trompette. Kevin Drumm investit alors des territoires très denses, abrasifs, des territoires toujours composés avec de longues couches rêches qui s'accumulent pour former un nuage bruitiste intense et puissant. Un collage très fort, très intense, harsh, où se mélangent indistinctement les sources : instrumentales, électroniques, analogiques, numériques, magnétiques, etc. Et à la fin, Kevin Drumm revient vers une forme plus linéaire, plus proche du drone avec des matériaux similaires mais des textures plus douces, plus fines.

Sheer Hellish Miasma m'a appris que le but de la noise n'était pas forcément de coller les sons les plus forts possibles ensemble. Il faut encore savoir les assembler, et pour cela, Kevin Drumm est le roi. Il utilise des matériaux qu'on connaît certes, mais les assemble avec un talent hors du commun, il les assemble de manière à ce qu'ils conservent tous une intensité maximale, de manière à ce que sa musique ne s'essouffle jamais, et c'est réussi. Car à ce jour encore, Sheer Hellish Miasma reste un des disques les plus aboutis, les plus intenses, les plus puissants et les plus intelligents que j'ai pu entendre en matière de noise.

Et depuis quelques temps, un nouveau départ s'annonce encore avec Kevin Drumm, après ses incursions très marquantes dans les musiques improvisées et dans la noise. Je n'ai pas eu le temps d'écouter toutes ses dernières sorties publiées par lui-même, sur bandcamp et ses cd-r très artisanaux, mais je me rappelle avoir été très surpris par Blast of Silence, un triple CD où Kevin Drumm semblait déjà s'intéresser aux volumes très faibles.

Et très récemment, comme pour officialiser ce nouvel intérêt, les éditions Mego publiaent Trouble, certainement le disque le plus calme de Kevin Drumm à ce jour. Il n'est pas question de guitares préparées ici, ni de bandes, ni de superposer des couches. Kevin Drumm n'utilise qu'une nappe de sons synthétiques qui tournent en boucle. Une nappe atmosphérique à un volume très, très faible, proche de l'inaudible en fait. Il s'agit d'une boucle continue de 54 minutes, avec une petite pause au bout d'une demi-heure, comme pour vérifier si on a bien suivi. Parfois j'ai envie de me plonger dans ce disque et de m'immerger dans le son, mais il faut bien trop augmenter le volume et je me dis que ça n'a pas forcément du sens. Et d'autres fois, je le laisse tourner à volume moyen, et j'entends un son atmosphérique léger, une ambiance troublante effectivement qui parait être seulement là pour perturber notre perception de l'environnement sonore. Trouble agit un peu comme une sorte de filtre à notre perception, ce n'est pas une pièce composée pour sa forme, ni pour sa texture, mais elle semble plutôt composée pour agir sur la perception, pour créer un léger décalage dans notre environnement sonore.

Avec Trouble, Kevin Drumm compose une pièce très calme, très apaisante, une boucle synthétique et ambient qui passe inaperçue, mais c'est grâce à cet aspect très discret qu'elle peut agir sur notre perception de l'environnement et donc aussi sur notre conscience. Ce disque agit tout en douceur, subrepticement certes, mais réellement, plus que beaucoup de musiques fortes. Le changement de direction est radical, mais je pense que Kevin Drumm se sentait trop attendu au tournant pour continuer à explorer les mêmes horizons, et il fallait changer de direction à un moment donné. Ce qu'il a ici accompli de manière extrême, radicale et inattendue.

Je parle beaucoup de nouvel horizon, de changement de direction, mais je ne me base que sur quelques enregistrements (son duo avec Lescalleet, Blast of Silence et Trouble), et peut-être que Kevin Drumm continuera aussi à composer et jouer des musiques plus proches de Sheer Hellish Miasma, ou peut-être qu'il fera des installations sonores, mais pour l'instant, il a l'air bien parti pour explorer des territoires ambient sombres, inquiétants, extrêmement calmes et surprenants. On verra bien.

Quant à Jason Lescalleet, on ne peut pas dire qu'il change radicalement de cap, mais il y a quelque chose de nouveau par exemple dans Il Turista, une cassette parue l'année dernière sur le label américain Chondritic Sound, enfin par rapport à Songs about nothing édité au même moment.

Sur cette excellente cassette, Lescalleet favorise les formes linéaires, continues, et les dynamiques régulières. Ce n'est pas aussi calme que Trouble, c'est sûr, mais il y a un quelque chose de plus apaisé : moins de ruptures fortes, moins de coupures et de sur des dé sources. Par rapport à certaines performances et à certains disques de Lescalleet, je le trouve ici plus épuré. Quand il explore une bande (puisqu'il s'agit des principales sources ici), il l'explore pendant plusieurs minutes, il prend le temps de la ralentir, de la saturer, etc. Et tout ceci, sans jamais aller dans les extrêmes (enfin rarement en tout cas), en restant sur des volumes et des sonorités assez douces. Lescalleet utilise ici des chants simples, mélodieux, des enregistrements d'eau, et quelques dialogues, rien de plus. Il les ralentit, surtout, joue aussi parfois sur la saturation, mais se concentre surtout sur des détails parasitaires et magnétiques qui peuvent prendre de l'ampleur.

Lescalleet réduit le matériel utilisé pour mieux explorer les détails infimes et microscopiques que contiennent les bandes manipulées. Le souffle d'une cassette, un certain grain propre à une bande ou à un enregistrement, tout est bon pour produire des atmosphères décalées et uniques, pour faire une musique électroacoustique nouvelle qui révèle les détails fantomatiques des vieilles bandes populaires. C'est épuré, plus simple, mais encore plus beau. Vivement recommandé.

Par rapport au premier duo Greg Kelley/Jason Lescalleet paru en 2011 chez erstwhile, le CD Conversations, édité il y a quelques mois chez Glistening Examples, paraît quelque peu plus épuré. Le trompettiste de Nmperign a toujours eu une tendance à la discrétion, discrétion autant instrumentale que discographique, il ne publie pas beaucoup de disques, et quand il joue, on est jamais sûr de l'entendre. 

Pour ces Conversations, Greg Kelley augmente son instrumentarium de multiples effets (notamment d'écho), mais pas réellement pour enrichir sa palette, plutôt pour se fondre de manière encore plus subtile dans ce duo. Ici, il n'y a pas tellement d'éclats de trompettes, ni trop de techniques étendues, les formes de ces six pièces ne comportent pas trop de ruptures de dynamiques ou d'intensité d'ailleurs. Il ne s'agit pas de jouer sur des volumes très forts ou sur le silence. Il s'agit de composer une sorte de masse sonore vivante et indistincte, une sorte de nuage sonore à la Phill Niblock, sans l'intérêt pour la microtonalité.

Jason Lescalleet & Greg Kelley ont composé ici une suite hallucinante de textures pâteuses et saturées, réverbérées et saturées, une masse océanique de son en mouvement, d'une nappe en progression constante vers un horizon nouveau. Ils jouent sur des formes linéaires et continues, bien plus que sur Forlorn Green, leur premier duo, en tout cas. Lescalleet & Kelley avancent sur un territoire sombre et sableux, liquide et vaporeux, qui lors de la dernière pièce, deviendra une tempête de larsens extrêmes durant une dizaine de minutes.

Ce duo joue sur la subtilité de textures parasitaires toujours, Greg Kelley enrichit les étranges nappes de Lescalleet, composées de bandes et de platines manipulées aussi bien que d'objets amplifiés, avec des nuages de trompette sombres, opaques, indistincts et subtils. Une musique fine, intense, nouvelle et inventive. Conseillé.

KEVIN DRUMM / JASON LESCALLEET - The Abyss (2CD, erstwhile, 2014) : lien
KEVIN DRUMM - Sheer Hellish Miasma (CD/2LP/téléchargement, Mego, 2002/2010) : lien
KEVIN DRUMM - Trouble (CD/téléchargement, Mego, 2014) : lien 
JASON LESCALLEET - Il Turista (cassette, Chondritic Sound, 2013) : lien 
GREG KELLEY & JASON LESCALLEET - Conversations (CD/téléchargement, Glistening Examples, 2014) : lien

Jürg Frey / Radu Malfatti - II

II est un disque certainement très attendu par beaucoup des visiteurs de ce blog. Après un duo qui rassemblait les deux figures les plus éminentes de Wandelweiser (Pisaro & Beuger), le label erstwhile publie un nouveau duo, sur un double CD cette fois, avec les deux secondes figures les plus éminentes de ce collectif certainement : le clarinettiste suisse Jürg Frey et le tromboniste autrichien Radu Malfatti.

Le premier disque est une longue composition de Malfatti intitulée shoguu, une composition divisée en cinq parties, mais peut-être seulement pour le disque, en tout cas, les cinq parties ne se différencient pas vraiment les unes des autres. Une longue pièce de plus d'une heure qui ressemble à beaucoup des dernières réalisations de pièces de Malfatti que j'ai pu entendre récemment, sauf qu'il s'agit là d'une réalisation plus intime, en petit comité, avec seulement Malfatti et Frey, contrairement aux autres pièces de Malfatti généralement réalisées par de petits ensembles d'instrumentistes. Mais la différence numérale ne fait pas la différence qualitative. En effet, trombone et clarinette jouent ici des notes plutôt longues, parfois en décalées,  parfois à l'unisson, sur des registres différents. Il s'agit toujours de notes seulement, et d'instruments acoustiques. Malfatti semble ne s'intéresser et ne composer qu'avec ce matériau "primitif", des notes et des instruments, avec du silence. Un matériau réduit à une attaque pure, toujours identique, à un souffle continu et propre, à des notes exemptes de défauts, de personnalité, de traces humaines, des notes qui en plus semblent assemblée de manière aléatoire. Malfatti compose avec des notes qui se succèdent se juxtaposent et s'espacent pour former une sorte de nuage sonore, un nuage épuré qui laisse place au silence, aux différences entre chaque note et instrument. C'est simple et attendu (hormis deux ou trois piquées très surprenantes), mais la magie est toujours là. Malfatti compose des pièces minimalistes et simples mais remplies de poésie. La poésie d'une note pure, d'un instrument vierge, et d'un silence qui remplit la musique.

Mais ce double disque, si je devais le conseiller, ce serait avant tout pour le CD consacré à instruments, field recordings, counterpoints de Jürg Frey. Le titre et la renommée des deux musiciens en disent long. On se doute qu'il s'agit d'une succession de notes simples, et de field recordings environnementaux et minimalistes. Le contrepoint, on s'imagine très bien qu'il est seulement la simple juxtaposition d'une ligne instrumentale, et d'une ligne préenregistrée. Et bien sûr, quand on s'imagine tout ceci, on est en plein dans le mille. Mais ce qui n'est pas dit dans le titre, c'est la beauté et la finesse de cette réalisation. Les field recordings, on se demande s'il s'agit vraiment d'une diffusion ou s'il ne s'agit pas seulement de l'environnement dans lequel la pièce a été enregistrée. Ici, les notes sont encore plus douces, elles répondent à certaines tonalités présentes dans les field recordings, elles sont plus courtes aussi, et se distinguent parfois difficilement les unes des autres. Une mélodie se forme petit à petit, très progressivement, une mélodie fantomatique, la mélodie d'un espace inhabité, la mélodie d'un environnement quotidien et simple. Il s'agit là encore d'une pièce très poétique je trouve. Malfatti et Frey semblent répondent à une sorte de basse fantomatique en mode mineur qui sort des field recordings et forment une longue mélodie espacée, éthérée, une mélodie qui s'efface derrière elle-même, qui réapparaît à certains moments, mais qui est toujours en réponse directe au field recordings. Il ne s'agit pas ici de créer une forme harmonique à partir d’enregistrements et de bruits comme chez Pisaro par exemple, il s'agit de répondre harmonieusement à la mélodie d'un field recording. Et le duo y répond avec finesse, précision, délicatesse, attention et sensibilité. Et à partir de là, au fil des minutes, un long poème minimaliste se déroule très progressivement, un poème en filigrane, un poème où les instruments déchiffrent la mélodie du monde et de l'environnement, un poème magnifique.

D'un côté, j'ai toujours admiré Malfatti, et en même temps, je ne trouve jamais ses pièces si mémorables, mais quand même, je suis toujours enchanté de les entendre. De l'autre côté, Jürg Frey est un musicien que j'apprécie énormément, je ne l'admire pas, j'ai même tendance à l'oublier souvent, et pourtant, dès que j'entends une nouvelle composition de lui, il m'épate à chaque fois, et je la trouve toujours mémorable. Bref, il s'agit en tout cas de deux artistes extrêmement importants pour ces dernières décennies, presque des incontournables, et je ne peux que recommander ces deux compositions très belles réalisées par eux-mêmes - surtout la magnifique instruments, field recordings, counterpoints. Toute la beauté du nouveau minimalisme européen dans une de ses formes les plus radicales réunie sur un seul disque !

JÜRG FREY / RADU MALFATTI - II (2CD, erstwhile, 2014) : lien

D.O.R. feat. Crys Cole - Hestekur

Le trio D.O.R., soit Jamie Drouin, Lance Austin Olsen et Mathieu Ruhlmann, propose sur Hestekur, une suite de six pièces, improvisées je pense, dont deux en compagnie de Crys Cole. Il s'agit ici de pièces électroacoustiques, bruitistes et minimalistes, avec de nombreuses sources do it yourself ou apparentées (radios, objets amplifiés, micro contacts, etc.).

En trio ou en quartet, cette petite formation explore les phénomènes physiques et électriques dans leur dimension sonore. Des phénomènes granuleux, lisses, graves aigus, sombres, lumineux, etc. Ils explorent l'aspect sonore des objets, mais ce sont des phénomènes parfaitement maîtrisés et connus des musiciens, car la mise en forme de ces phénomènes ne paraît pas aléatoire du tout. Ici, chaque musicien sait ce qu'il fait, et pourquoi il le fait. C'est pourquoi les pièces présentées sur Hestekur ne paraissent jamais chaotiques, mais toujours cohérentes et réfléchies. Les textures peuvent être disparates, les sources hétérogènes, mais il y a une cohérence dans leur assemblage. DOR et crys cole jouent sur des textures qui ne bougent pas ou peu, sur des lignes sonores qui se déroulent progressivement, et qui se superposent en strates diverses mais unifiées. Il y a plusieurs couches, pas forcément faites pour aller les unes avec les autres, mais qui au final s'assemblent très bien. Un fonds radiophonique, un micro-contact qui frotte un objet, un moteur qui tourne, un autre objet frotté par le diamant d'une platine, autant d'éléments qui ne ressemblent pas mais qui ont tout de même des points communs, ne serait-ce que leur présence sonore.

La mise en forme et la superposition de ces strates forment une musique nouvelle, riche, belle et créative. Une musique bruitiste, calme, réfléchie et maîtrisée. Très bon travail et un excellent exemple des nouvelles musiques électroacoustiques improvisées.

D.O.R. FEATURING CRYS COLE - Hesketur (CD, caduc, 2014) : lien

Catherine Lamb - in/gradient



Sacred Realism est un jeune label géré par Bryan Eubanks et Catherine Lamb qui semble surtout se consacrer aux nouvelles musiques américaines minimalistes pour l’instant. Toute une génération marquée par les musiques électroacoustiques, Wandelweiser et Michael Pisaro, le minimalisme américain, le drone, et les musiques improvisées, se forme petit à petit, et offre quelques unes des plus belles pièces que j’ai entendues.

Cette année, c’est au tour de Catherine Lamb de publier la réalisation d’une de ses pièces composée et réalisée en 2012 qui s’intitule in/gradient. Pour cette version, les interprètes sont Catherine Lamb elle-même à l’alto et aux oscillateurs, accompagnée de proches collaborateurs : Andrew Lafkas à la basse, Tucker Dulin au trombone, et Jason Brogan à la guitare électrique. In/gradient est à mon avis une superbe pièce de 55 minutes, une pièce très minimale, austère et monotone, mais qui raconte une histoire passionnante. Quelle histoire ? L’histoire d’un instrument qui joue une fondamentale, d’un groupe qui joue dans le registre sombre du médium-basse, d’instruments qui évoluent dans la droite ligne de la fondamentale pour la renforcer et lui donner plus d’éclat, et d’autres (surtout l’alto) qui se désaccordent progressivement et perturbent la linéarité de ces longues notes tenues. Les accords et les désaccords forment des reliefs et des couleurs, de la même manière que les entrées.

Car c’est surtout le système d’entrée et de sortie qui forme la structure de cette pièce. Un instrument joue une note, seul, avant d’être progressivement rejoint par les autres, qui s’arrêtent également progressivement. Et au bout d’un moment, c’est un autre musicien qui prend la relève et assure la fondamentale, et le groupe répète cette structure. Les notes jouées sont toujours dans le même registre (médium-grave), elles sont attaquées de la même manière, au même volume (piano) et ont des durées similaires (une longue respiration). La musique ressemble ici à une sorte de rivière, au mouvement de l’eau avec ses flux et ses reflux, à l’harmonie de la nature qui n’est pas exempte de chaos (les microtons).

En bref, Catherine Lamb a composé ici une longue pièce toute linéaire, une pièce qui évolue sur des terrains harmoniques et microtonaux, une sorte de composition minimaliste qui fourmillent de détails vivants et colorés. Du très bon travail.

CATHERINE LAMB - in/gradient (CD, Sacred Realism, 2014) : lien

Radio Cegeste - three inclements (the ocean does not mean to be listened to)

Après deux superbes collaborations avec Lee Noyes, l'artiste néozélandaise Sally Ann McIntyre, alias Radio Cegeste, propose son premier disque solo sur le label anglais Consumer Waste, un disque poétiquement intitulé three inclements (the ocean does not mean to be listened to). Trois pièces d'environ dix minutes enregistrées lors d'une résidence sur une petite île proche de la Nouvelle-Zélande.

Radio Cegeste a utilisé pour ces pièces différentes radios qui captent plusieurs rangs de fréquences, ainsi qu'un violon cassé. Au bord de la plage et dans des réserves naturelles, Radio Cegeste improvise et manipule des fréquences courtes, moyennes et très basses. La radio est un outil largement utilisé dans les musiques expérimentales depuis plusieurs décennies maintenant. Mais ce n'est qu'avec Radio Cegeste que j'ai eu l'impression de découvrir tous ses potentiels. Sally Ann McIntyre utilise la radio comme un instrument complexe, elle l'utilise comme un outil à deux facettes, une première abstraite et bruitiste, et une seconde chaleureuse, humaine et mélodique. La radio forme la voix de l'homme, de la technologie, de la communication. C'est aussi un instrument de diffusion musicale. C'est humain et organisé, et en même temps, quelque chose de chaotique et d'aléatoire, quelque chose d'une vie souterraine, est présent dans toutes les fréquences en stand-by, toutes les fréquences inutilisées où les courants électriques ne diffusent que des bruits blancs de toutes sortes.

Radio Cegeste utilise ainsi ces informations sonores qui donnent des indications géographiques, sociales et historiques pour dialoguer avec une terre naturelle, neutre, vierge. La technologie et les médias font irruptions dans un environnement étranger, et Radio Cegeste utilise principalement les données les plus chaotiques de cette technologie pour dialoguer avec l'île où elle réside. Une réserve naturelle, une femme munie de radios et d'un vieux violon. Les éléments clés pour un dialogue artistique entre la nature, la technologie, l'espace vierge d'une réserve naturelle et l'espace saturé de la communication. Les fréquences radios reflètent l'activité humaine et se trouvent en contraste avec l'activité naturelle riche et chaotique, en contraste et en parallèle, car à travers le filtre des fréquences radios, les activités humaines (technologies et communications) semblent aussi riches et chaotiques, aussi saturées que les activités naturelles (vents, marées, chants d'oiseaux, etc.).

La dernière chose que je voudrais noter à propos de l'utilisation des radios chez Sally Ann McIntyre, c'est l'approche musicale et mélodique qu'elle travaille depuis plusieurs années. Les fréquences radios semblent autant d'éléments mélodiques que les cordes de son violon, elle les aborde avec finesse, chaleur, poésie, et musicalité. Elle joue sur les timbres et sur les hauteurs de la même manière qu'avec les harmoniques de son violon, et c'est ce qui fait toute la beauté des installations radiophoniques de Radio Cegeste. Très beau travail encore.

RADIO CEGESTE - three inclements (the ocean does not mean to be listened to) (CDr, Consumer Waste, 2014) : lien

Seijiro Murayama & Eric La Casa - Paris : public spaces



Je ne crois pas que les lecteurs de ce blog auront besoin d’une présentation d’Eric La Casa, un des plus remarquables artistes sonores français à utiliser les enregistrements comme un instrumentiste. Quant à Seijiro Murayama, ce musicien japonais qui a résidé en France de nombreuses années avant de retourner au Japon, ce sont surtout ses soli de caisse claire - qui sont vraiment géniaux soit dit en passant - qui l’ont fait connaître, mais parallèlement, Murayama utilise également la voix et les enregistrements (peut-être même exclusivement à l’heure qu’il est), comme dans cette nouvelle collaboration avec Eric La Casa.

Un disque intitulé Paris : public spaces, pour voix et enregistrements plus field-recordings. Voyant ceci et connaissant les précédents travaux de ces artistes, c’est assez facile de se faire une idée plutôt claire de ce qui va sortir de cette collaboration, et même si je m’attendais à peu près à ce que j’ai entendu, chaque écoute n’a cessé de me surprendre. Murayama et La Casa ont composé douze pièces pas très longues (de une à sept minutes) éditées selon des thématiques : évènements, parcs de loisirs, chantiers de construction, espaces vides, couloirs, jardins. Il s’agit d’enregistrements à deux en temps réels réalisés de janvier à juin 2012 sans mixage. Des enregistrements bruts du quotidien parisien en somme, avec ses moments de loisirs, de travaux manuels ou intellectuels, de calme, de vide, de plein et de saturation, de fête, de détente ou de repos. La Casa et Murayama semblent ne pas toujours vraiment s’intéresser aux prises de son pour leurs caractéristiques « musicales », il s’agit plutôt de capter des atmosphères, des ambiances, et surtout le dialogue qui s’instaure entre les deux musiciens et cet environnement sonore.

Murayama et La Casa captent et interviennent dans des environnements calmes, drôles, anxiogènes, durs, reposants, sales, propres, etc. Des environnements parisiens. Certains sont très riches (les chantiers, les stations de métro), d’autres sont monotones ou risibles, certains sont populaires, d’autres élitistes. Il s’agit de composer avec ces espaces publiques, de les capter, et de dialoguer avec. Et Murayama et La Casa semblent saisir quelque chose d’essentiel aux environnements avec lesquels ils jouent. Ils en saisissent quelque chose d’essentiel parce qu’ils se placent comme des acteurs de cet environnement, ils ne sont pas en retrait comme des documentaristes mais en plein cœur comme des acteurs de cet environnement.

Car en plus d’enregistrer ces espaces publics, de les capter et de les modeler selon les enregistrements (choix de l’emplacement, du micro, du volume, etc.), Murayama joue in situ. En fonction de l’atmosphère des espaces, Murayama fait des bruits discrets qui se fondent dans l’univers sonore, il produit des bruits incongrus qui rendent la situation encore plus risible, il parasite les situations souvent, où se fond dedans, en bref il joue avec. Il suffit souvent de pas grand-chose, un souffle retenu entre les dents et les lèvres, un petit claquement de langue, mais ces interventions renforcent l’action des musiciens dans l’environnement avec lequel il joue. 

Un disque étonnant où les deux musiciens jouent avec leur quotidien. Ils ne témoignent pas vraiment de ce qu’ils vivent, mais dialoguent avec leur environnement, ils dialoguent de manière concrète et réelle, avec des micros et de la voix, peut-être pour renforcer ou mettre en avant les processus de stimulation de l’environnement sur la création.

SEIJIRO MURAYAMA + ERIC LA CASA - Paris : public spaces (CD, Ftarri, 2014) : lien