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Jean-Luc Guionnet & Eric La Casa - Home: Handover

Potlatch, comparé à d'autres labels, ne sort pas énormément de disques, mais quand ce label en sort un il se fait remarquer tout de suite généralement. Et en cette fin d'année, avec un coffret de quatre CD, composés par deux des plus remarquables musiciens français, Jean-Luc Guionnet et Eric La Casa, une fois encore, cette sortie ne passera pas inaperçue dans le milieu des amateurs de musique expérimentale. D'autant plus qu'à défaut d'être une très bonne initiative éditoriale, Home: Handover est un également un projet musical et conceptuel très surprenant.

C'est le genre de projet à faire couler beaucoup d'encre, et il en fera couler je pense. C'est toute une méthode de travail, toute une approche du son, de la matière musicale, de la performance et de la perception (de ces éléments, mais aussi de manière générale) qui sont en jeu ici. Autant d'éléments théoriques et philosophiques sur lesquels on peut multiplier les gloses. Et pour dire la vérité, je n'ai pas très envie de rentrer dans ce jeu, et j'aimerais me contenter de parler uniquement de ce qu'il se passe sur ce disque, le plus simplement possible, car je pense que la mise en forme, les indications du livret, et les articles parus ou à paraître orienteront suffisamment la lecture de ce disque. C'est passionnant, perturbant, très perturbant comme projet, mais de quoi s'agit-il finalement.

Chacun des quatre disques est structuré de la même manière. La première piste est un enregistrement d'une personne dans son appartement, cette personne qui change à chaque disque décrit l'endroit idéal pour écouter de la musique, lit son morceau préféré in situ, puis commentent différentes choses sur l'expérience qu'elle vient de vivre, qu'est-ce qu'elle en penserait dans d'autres conditions, etc. La seconde piste est un enregistrement en situation de concert où cinq personnes interprètent à sa manière l'enregistrement précédent. Deux personnes parlent (imitation ou commentaire) et trois musiciens interprètent les mélodies, rythmes et bruits de l'enregistrement (Lucio Capece, Seijiro Murayama et Neil Davidson). La troisième piste est réalisée par un musicien (Keith Beattie sur chaque disque) qui propose une lecture différente des enregistrements en appartement. Il se situe dans une maison, joue un morceau de musique, parle librement et se déplace en intérieur comme en extérieur en accordant beaucoup plus de place à l'acoustique du lieu où il se trouve et à l'environnement sonore global. Quant à la dernière piste, qui ne fait pas partie de la commande originelle d'Arika, c'est une édition et un mixage des trois précédentes pistes qui ressemble beaucoup à ce qu'on peut attendre d'une pièce de musique concrète, avec ses rythmes et ses mélodies bruitistes et environnementaux.

Voilà. Il y aurait beaucoup à dire, mais je n'y tiens pas. Je pense que rien ne vaut l'expérience vraiment singulière de l'écoute de ce disque. Une expérience qui pose question sur l'écoute, sur la matière musical, sur la perception générale et musicale, sur l'audition dans un environnement intime ou public, sur l'interprétation et plein d'autres choses. Et c'est cette remise en question ainsi que le fait que les questions soient la matière musicale elle-même qui font que Home: Handover est une oeuvre si perturbante, une suite de pièces qui nous plonge dans la confusion  la plus totale en faisant perdre tous les repères possibles. C'est pour cette raison que je trouve ce disque admirable, profond, et unique. Je n'ai pas envie de le commenter plus que ça, car je ne me sens pas de le faire, je me sens trop dépassé par cet univers qui s'ouvre, et c'est pour cette raison que je l'aime, car il ouvre réellement de nouvelles perspectives.

JEAN-LUC GUIONNET/ERIC LA CASA - Home: Handover (4CD, Potlatch, 2014) : lien

Seijiro Murayama & Eric La Casa - Paris : public spaces



Je ne crois pas que les lecteurs de ce blog auront besoin d’une présentation d’Eric La Casa, un des plus remarquables artistes sonores français à utiliser les enregistrements comme un instrumentiste. Quant à Seijiro Murayama, ce musicien japonais qui a résidé en France de nombreuses années avant de retourner au Japon, ce sont surtout ses soli de caisse claire - qui sont vraiment géniaux soit dit en passant - qui l’ont fait connaître, mais parallèlement, Murayama utilise également la voix et les enregistrements (peut-être même exclusivement à l’heure qu’il est), comme dans cette nouvelle collaboration avec Eric La Casa.

Un disque intitulé Paris : public spaces, pour voix et enregistrements plus field-recordings. Voyant ceci et connaissant les précédents travaux de ces artistes, c’est assez facile de se faire une idée plutôt claire de ce qui va sortir de cette collaboration, et même si je m’attendais à peu près à ce que j’ai entendu, chaque écoute n’a cessé de me surprendre. Murayama et La Casa ont composé douze pièces pas très longues (de une à sept minutes) éditées selon des thématiques : évènements, parcs de loisirs, chantiers de construction, espaces vides, couloirs, jardins. Il s’agit d’enregistrements à deux en temps réels réalisés de janvier à juin 2012 sans mixage. Des enregistrements bruts du quotidien parisien en somme, avec ses moments de loisirs, de travaux manuels ou intellectuels, de calme, de vide, de plein et de saturation, de fête, de détente ou de repos. La Casa et Murayama semblent ne pas toujours vraiment s’intéresser aux prises de son pour leurs caractéristiques « musicales », il s’agit plutôt de capter des atmosphères, des ambiances, et surtout le dialogue qui s’instaure entre les deux musiciens et cet environnement sonore.

Murayama et La Casa captent et interviennent dans des environnements calmes, drôles, anxiogènes, durs, reposants, sales, propres, etc. Des environnements parisiens. Certains sont très riches (les chantiers, les stations de métro), d’autres sont monotones ou risibles, certains sont populaires, d’autres élitistes. Il s’agit de composer avec ces espaces publiques, de les capter, et de dialoguer avec. Et Murayama et La Casa semblent saisir quelque chose d’essentiel aux environnements avec lesquels ils jouent. Ils en saisissent quelque chose d’essentiel parce qu’ils se placent comme des acteurs de cet environnement, ils ne sont pas en retrait comme des documentaristes mais en plein cœur comme des acteurs de cet environnement.

Car en plus d’enregistrer ces espaces publics, de les capter et de les modeler selon les enregistrements (choix de l’emplacement, du micro, du volume, etc.), Murayama joue in situ. En fonction de l’atmosphère des espaces, Murayama fait des bruits discrets qui se fondent dans l’univers sonore, il produit des bruits incongrus qui rendent la situation encore plus risible, il parasite les situations souvent, où se fond dedans, en bref il joue avec. Il suffit souvent de pas grand-chose, un souffle retenu entre les dents et les lèvres, un petit claquement de langue, mais ces interventions renforcent l’action des musiciens dans l’environnement avec lequel il joue. 

Un disque étonnant où les deux musiciens jouent avec leur quotidien. Ils ne témoignent pas vraiment de ce qu’ils vivent, mais dialoguent avec leur environnement, ils dialoguent de manière concrète et réelle, avec des micros et de la voix, peut-être pour renforcer ou mettre en avant les processus de stimulation de l’environnement sur la création.

SEIJIRO MURAYAMA + ERIC LA CASA - Paris : public spaces (CD, Ftarri, 2014) : lien

Eric La Casa & Cédric Peyronnet - Zones Portuaires

ERIC LA CASA & CEDRIC PEYRONNET - Zones Portuaires (Herbal International, 2013)
Cinq ans après la publication de La Creuse sur le même label (Herbal International), Eric La Casa et Cédric Peyronnet reviennent avec un nouveau disque duo, entre le split et la collaboration. Sur ce double disque, chaque musicien propose sur un disque chacun une suite de pièces composées en solo, à partir de matériaux enregistrés à deux sur les zones portuaires du Havre et de Liège. 

A plusieurs reprises, j'ai chroniqué sur ce site des mini-disques publiés par Peyronnet, des compositions d'une multitudes de musiciens à partir de matériaux enregistrés par Peyronnet, publiées (si ma mémoire est bonne) au rythme d'un disque/proposition par trimestre environ. Cette intiative éditoriale met en avant une ambition artistique forte : pour Peyronnet, comme pour la plupart des acteurs du field-recordings, la pratique de l'enregistrement d'éléments concrets est une pratique musicale et esthétique avant tout. Quelque soit le matériel sonore utilisé (je parle en tout cas du "sujet" des field-recordings), de la musique peut en surgir - et ce n'est pas le sujet de l'enregistrement qui détermine réellement la composition. 

Avec ces Zones Portuaires, ce principe est encore une fois mis en évidence. Eric La Casa et Cédric Peyronnet ont collaboré à l'enregistrement de sons extraits des ports du Havre et de Liège, puis ils ont chacun composé des pièces bien distinctes. Les ambiances sont différentes, les procédés d'écriture aussi, même si les sons se correspondent. Sur chacun des disques, on entend des sirènes, des avertisseurs de camion, quelques mouettes, beaucoup de travaux, mais peu importe. Chaque enregistrement est considéré par La Casa comme par Peyronnet pour sa valeur en terme de fréquence, d'amplitude, pour son caractère sonore, pour sa durée, etc. Peu importe le sujet - même si les zones portuaires ont leurs caractéristiques sonores propres - il ne s'agit pas d'un documentaire. Le choix des lieux semble être effectué comme si un compositeur choisissait entre telle ou telle formation, tel ou tel orchestre ou instrument, voire comme s'il choisissait entre telle ou telle tonalité. 

A partir de ces matériaux - déjà exemplaires pour la qualité des prises de son - La Casa et Peyronnet montent et assemblent plusieurs pièces où chacun travaille à sa manière le montage à partir des ruptures et des fractures de dynamiques, à partir de continuums sonores progressifs, à partir d'une multitude de couleurs et de textures sonores ; bref ils composent de véritables symphonies concrètes, très riches et profondes en tant que matériaux, mais surtout agencées et composées de manière très attentive, sensible, et intelligente. Car si les enregistrements nous surprennent et nous émerveillent, ce n'est pas que pour leur qualité, c'est surtout par le talent avec lequel ils ont été montés et arrangés. Le field-recording est de la musique, une pratique musicale complexe et dure, les "recorders" sont des musiciens, bien plus que des techniciens, et actuellement, Eric La Casa comme Cédric Peyronnet sont certainement les plus pertinents et les plus créatifs de ces musiciens, les plus à même de (dé)montrer les qualités musicales et esthétiques du field-recording.

Jean-Luc Guionnet/Eric La Casa/Philip Samartzis - Stray shafts of sunlight

GUIONNET/LA CASA/SAMARTZIS - stray shafts of sunlight (Swarming, 2013)
stray shafts of sunlight est la deuxième publication du trio Guionnet/La Casa/Samartzis, après Soleil d'artifice édité sur le même label. Cette formation explore un champs musical particulier, celui de la confrontation entre différents supports, gestes et outils musicaux. Une confrontation où ces différents éléments finissent par se réunir en une musique organique où chaque élément fait partie d'un tout dont il est fonction. Durant la tournée que documente ce disque, la base de chaque pièce semble semble être les prises de son d'Eric La Casa. Des sons préenregistrés, immuables, fixes et stables, qui servent, avec l'environnement de chaque lieu, de fondements aux gestes sonores et instrumentaux de Jean-Luc Guionnet au saxophone et de Philip Samartzis à l'électronique.

Confrontation entre l'électronique live, les prises de son ou field-recordings, et l'instrument, mais aussi entre la composition et l'improvisation. Car le trio semble investir un espace interstitiel en quelque sorte entre l'improvisation et la composition, un espace où le lieu et les prises de son servent de partition et de grille aux interventions électroniques et instrumentales. Ces dernières sont souvent simples et minimales, un souffle, un slap, une note, une sinusoïde. Mais la simplicité n'enlève rien à l'intensité, car les deux musiciens, en prenant bien note de l'espace sonore dans lequel ils s'inscrivent, font également attention à n'intervenir qu'au moment opportun. Par rupture ou par continuité, les éléments instrumentaux et électroniques s'insèrent brusquement ou subrepticement dans l'espace sculpté par Eric La Casa et les lieux d'enregistrements. On ne sait jamais trop qui remplit quelle fonction, si les interventions prochaines se feront par continuité ou rupture, si on a affaire à du son live ou préenregistré, ce qui est établi et fixe et ce qui relève de la performance et de l'improvisation, ce qui relève des conditions objectives de représentations et de la volonté des trois musiciens. Les trois musiciens semblent explorer en somme les limites de la subjectivité et de la volonté dans un environnement qui détermine en grande partie le geste musical.

Et le plus intéressant, c'est qu'ils ne se situent pas dans une recherche qui fétichise l'objectivité et le déterminisme, ou la subjectivité et la spontanéité, mais dans une recherche sur les limites de ce dualisme présent dans toutes formes de musique, mais dont la plupart des musiciens oublient souvent les limites. Un superbe dialogue entre le matérialisme et le subjectivisme, où les deux parties se construisent l'une l'autre, où les interventions musicales sculptent le matériel préenregistré et où ce dernier détermine les éléments instrumentaux et électroniques. Recommandé.

v-p v-f is v-n (winds measure, 2012)

 
Un titre énigmatique pour une compilation qui l’est tout autant. Durant deux heures et vingt minutes, c’est toute une multitude de pièces phonographiques et de field-recordings par de nombreux musiciens et artistes sonores internationaux.  Les durées de chaque pièce sont très variables, entre une et quinze minutes... Entre autres, on peut trouver sur cette compilation les artistes Daniel Blinkhorn, Ben Owen, Jason Kahn, Jez Riley French, Éric La Casa, Sally McIntyre, Simon Whetham, Patrick Farmer, Michael J. Schumacher, Lasse-Marc Riek. Pour une description détaillée de chaque pièce, je vous conseillerais plutôt de vous reporter à la chronique (en anglais) de Brian sur le blog Just Outside, car ici, je ne m’arrêterais que sur quelques pièces.

Une des pièces les plus marquantes de cette compilation a tout d’abord été pour moi gate de Martin Clarke. Malheureusement, 4 minutes et 51 secondes c’est un peu court. Il semblerait qu’une installation à base de tuyaux métalliques ait été préparée au bord d’un océan. On entend donc ici le ressac (l’eau est un élément récurrent sur toute la compilation), quelques oiseaux, et surtout le vent, le vent en lui-même et celui qui s’engouffre dans les tuyaux en produisant de magnifiques harmoniques. Toujours sur le premier CD, on trouvera aussi aqve de Renato Rinaldi. Je pense qu’il s’agit également d’une installation sonore, en intérieur cette fois, car les outils et machines aux sonorités industrielles déploient de vastes résonances dans l’espace sonore. Une merveilleuse construction technique qui permet à un univers sonore déroutant, onirique et surnaturel d’émerger. Des boucles mécaniques et métalliques pour une pièce envoutante et absorbante. Ce premier disque est conclu par Jez Riley French avec le suprenant bathroom then barn estonia. Une pièce d'un quart d'heure qui commence par un son aigu faible et léger, comme le discret bruit d'une prise électrique, avant de pénétrer dans une grange bruyante, pleine de vent avant tout, un vent sourd et omniprésent qui fait vibrer certains objets, mais aussi pleine de pigeons qui roucoulent et s'envolent, de coqs et d'oiseaux. Très riche.

S'il y a bien un artiste incontournable dans les champs du field-recording et de l'art sonore, c'est à mon sens Éric La Casa, qui ouvre ce second disque avec night train in montlouis. Un magnifique voyage, statique semble-t-il, à l'intérieur d'un train. Heureusement que le titre l'indique, car je ne suis pas sûr d'avoir réussi à le déterminer sinon, le son est étrange, fantomatique et spectral, on ne sait d'ailleurs pas toujours si l'on est à l'intérieur du train ou sur les rails aux côtés de rapaces nocturnes [correction par Eric: "je ne suis pas dans le train... mais à des kilomètres... je suis de l'autre côté de la vallée, et de la Loire, dans lequel ce train passe... d'où le lointain fantomatique, ce bruit de fond en mouvement... et les mouettes"]. Juste après vient Sally McIntyre (alias Radio Cegeste) qui nous emmène sur une étrange plage calme avec waiorua rotations. On entend bien évidemment un léger ressac, ainsi que des oiseaux marins (ou non), mais aussi et surtout, ce qui fait toute la puissance de cette pièce, une plaque de fer frappée avec un objet métallique de manière irrégulière. Nature et culture se confronte et se mélange dans une pièce aux allures aléatoires et incantatrices. Magnifique (et en plus elle dure près d'un quart d'heure!). Daniel Blinkhorn revient ici pour la troisième fois avec un étrange enregistrement intitulé small glacier from shoreline où sont diffusés des crépitements étonnants et singuliers, entre le grésillement d'un feu, des bois qui se roulent les uns sur les autres, et du plastique rempli d'eau secoué. Autre enregistrement étonnant, direct et intense, estonian swamp de Simon Whetham. Ce dernier a mixé ici de nombreux enregistrements pris sur un marais estonien avec ses insectes, son coucou, et autres oiseaux. Une grande puissance évocatrice pour une pièce très figurative et pleine de mélodies animales géniales. La pièce qui m'a certainement le plus marqué aux côtés de celles de Sally McIntyre et de Martin Clarke est air conditionner duct de Michael J. Schumacher. Amplification d'un système d'air conditionné qui vire à la noise, des fois à la harsh noise. Des timbres et des textures riches, puissantes, abstraites, abrasives, industrielles et métalliques. Une pièce très dense et intense.

Je n'ai pas parlé des pièces assez courtes (genre moins de cinq minutes) mais certaines valent aussi vraiment le coup. coed-y-dinas de Patrick Farmer avec ses cris et ses hurlements d'oiseaux pris sur une aire d'autoroute ou proche d'un quelconque axe routier assez fréquenté. Ou thames gate de Ben Owen avec ses "mystérieuses" mélodies concrètes sont autant de pièces qui mériteraient certainement d'être plus développées.

De même je n'ai pas encore parlé de Jason Kahn. Avec l'extrait tiré de in place: panorama weg, zurich, JK nous propose une alternative radicale à la phonographie. L'enregistrement ici est celui d'une voix qui nous parle des sons qu'elle perçoit. Qu'est-ce que j'entends, qu'est-ce que je ressens au moment de l'écoute? Pourquoi? Comment? Qu'est-ce que signifie tel ou tel son et à quoi renvoie-t-il dans mon système de perception? Autant de question évoquée directement par Jason Kahn qui m'a directement fait penser avec ce dispositif à Marguerite Duras. Une pièce qu'on pourrait appeler de la "musique indirecte libre". L'évocation poétique d'une perception ou d'une idée, mise en discours censé retranscrire la musique. S'agit-il encore de musique? La question reste ouverte. En tout cas, le dispositif musical mis en marche par Jason Kahn a le don de susciter de nombreuses ouvertures et de véritablement remettre en question l'art sonore et la phonographie.

Voilà, je finis juste par énumérer ceux dont je n'ai pas encore parlé ou que je n'ai pas cité: Hideki Umezawa et Alan Courtis. Bon voyage.

[informations, texte de Jason Kahn sur sa pièce, extraits: http://windsmeasurerecordings.net/catalog/wm30/index.html
compilation parallèle gratuite (.wav et .mp3) avec Michael Northam, Patrick Farmer, Martin Clarke, Stefan Thut, Greg Dixon, Lasse-Marc Riek, Janek Schaefer: http://windsmeasurerecordings.net/catalog/wm30m/]

david chiesa / jean-luc guionnet / emmanuel petit / éric la casa - belvédère dans l'étendue (creative sources, 2006)

Pour commencer, qu'est-ce qu'un belvédère? en architecture c'est une sorte de terrasse panoramique établie pour admirer le paysage selon une certaine orientation. On comprendra vite le lien entre l'architecture et la musique proposée par ce quartet en regardant le dispositif d’enregistrement et de prise de son. A l'intérieur (et à l'extérieur) de la Villa Adriana, Eric La Casa a disposé plusieurs types de microphones (micro d'ambiance et instrumentaux) qui captent aussi bien les sons environnants que l'improvisation des trois musiciens. Le tout relié à une table où enregistrement et mixage se font en direct. Les musiciens - Jean-Luc Guionnet (saxophone alto), Emmanuel Petit (guitare) et David Chiesa (contrebasse) - peuvent ainsi se déplacer à l'intérieur d'une étendue plus vaste que d'habitude, le lieu d'enregistrement devient lieu de vie mobile.

Un dispositif qui permet le déplacement des musiciens d'un côté, mais aussi le déplacement de l'enregistrement, car ce sont aussi les microphones qui peuvent s'éloigner de la musique (via la table de mixage) pour mieux capter les sons environnants - oiseaux, voitures, insectes, etc. J'en oublierais presque la musique elle-même. Pour faire bref, il s'agit d'une seule improvisation de 70 minutes, une longue et lente improvisation, très espacée et aérée, constituée de sons aux bords de l'abstraction. Légers larsens à la guitare, cordes frottées longuement à la contrebasse, notes étirées au saxophone, quelques techniques étendues par moments (multiphoniques, acier dans les cordes) et des interventions brèves et brusques ponctuent et donnent un relief très intense à cette improvisation minimaliste et contemplative. Mais ici, forme et contenu sont inséparables et la musique elle-même n'est pas forcément plus intéressante que le dispositif d'enregistrement. Ce qui est envoutant, c'est avant tout la mise en espace du son, l'étroite collaboration et interaction entre le lieu, l'enregistrement et les musiciens. Une mise en espace qui parvient à considérablement modifier la perception de l'auditeur et à produire de nouvelles sensations inhabituelles pour les oreilles. Un travail riche où l'attention à l'espace et à la durée nous plonge dans des contrées perceptives nouvelles, où les techniques d'enregistrement et de mixage font enfin partie intégrante du processus musical.

Axel Dörner & cie.

Cool Quartet with Lina Nyberg featuring Éric La Casa - Dancing in Tomelilla (Hibari, 2012)

Le Cool Quartet est un projet jazz de reprises de standards plutôt old-school. Genre jazz vocal de la première moitié du vingtième et années 50. On y retrouve Axel Dörner (trompette), Zoran Terzic (piano), Jan Roder (contrebasse) et Sven-Åke Johansson (batterie). Deux invités pour ce live enregistré dans le hall d'un hotel suédois, Lina Nyberg (chant) et Éric La Casa (prise de son, mixage). On pourrait s'attendre - étant donné les musiciens présents - à des reprises très libres, façon Peeping Tom. Mais il n'en est rien. Ou presque... Les interprétations sont propres, faites dans les règles du jazz, avec beaucoup de joie et d'énergie. Le quartet augmenté est ici pour rendre hommages à ses premières inspirations. Au jazz de la première moitié du vingtième siècle et des années 50, qu'il interprète très bien. Ce qu'on entend notamment à partir de la quatrième piste. Et j'en viens donc au plus marquant dans ce disque: les trois premières pistes, qui sont une composition d'Éric La Casa intitulée "September in Tomelilla". Une composition qui mérite de s'y arrêter, une pièce qu'on ne peut que respecter ou déclamer, tant le parti pris est radical.

Une composition où le preneur de son Éric La Casa assume un parti pris extrême, une position radicale qui en détruirait presque le concert capté, mais qui en même temps participe à la création d'une musique autre, à côté, étrangère. Alors oui, les fans de Dörner ou de SAJ pourront être déçus en entendant la manière dont Éric La Casa traite leur musique! Car durant ces trois pistes, on n'entend non plus le concert, mais la prise de son. Éric La Casa prend le son dans une chambre au-dessus de la salle de concert, il se place sur le trottoir, dans un ascenseur, ou dans la cuisine. Même dans la salle de concert, il peut tout aussi bien se coller à la batterie, ou ne laissait transparaître plus qu'un ou deux musiciens lors du mixage. Parfois on dirait une ode au technicien, un éloge à  la prise de son, un hymne à la gloire des techniciens souvent cachés sous une illusoire neutralité (qui cache elle aussi un parti pris stylistique). Mais en même temps, il s'agit aussi de rendre compte du lieu de captation, d'en mesurer l'étendue, l'ambiance, l'extérieur, l'environnement sonore et humain, les contours et l'espace. Après, il est fortement possible, d'après les derniers textes d'Éric La Casa que j'ai pu lire (même si ce n'était pas à propos de ce disque), qu'il ne s'agisse pour lui que d'improviser avec les musiciens, de créer un espace sonore à partir de pièces musicales. Car Éric La Casa traite le concert capté ici comme une matière sonore récoltée lors de sessions de field-recordings. Ni plus ni moins. Il s'agit seulement de construire une pièce musicale avec un matériau autre et particulier: un concert de jazz - qui devient ici une pièce d'art sonore. Et il y arrive. Ces trois pièces - qui occupent plus de la moitié du disque - sont vraiment prenantes, captivantes et même parfois amusantes. On se plaît à chercher où est placé le micro et où il va se retrouver. On s'imagine à écouter un concert, tordu, à l'intérieur de la grosse caisse. Trois pièces très bien construites, où s'enchainent des morceaux d'enregistrements, des monceaux d'un concert en lambeau. Recommandé - y compris pour les cinq dernières pièces, standards dansants qui peuvent s'avérer soulageant après ce voyage au pays du microphone, enregistrées plus "normalement", même si on entend quelques interludes qui ne "devraient" pas être là, ainsi que des conversations et autres bruits "parasites"!

Axel Dörner/Ernesto Rodrigues/Abdul Moimême/Ricardo Guerreiro - Fabula (Creatives Sources, 2012)

fabula est un enregistrement live certainement un peu plus représentatif de Dörner que le Cool Quartet, notamment de sa facette "réductionniste". Aux côtés du célèbre trompettiste, trois fidèles du label CS: Ernesto Rodrigues (violon alto), Abdul Moimême (guitare électrique préparée) et Ricardo Guerreiro (ordinateur).

Il s'agit ici d'une longue improvisation électroacoustique. Une pièce minimale où toutes les textures se mélangent et se confondent. En 45 minutes, le quartet propose une succession de nappes sonores qui évoluent par micro-modulations. C'est intrigant et envoûtant, on est plongé dans une masse sonore calme et contemplative. Les évolutions sont lentes et linéaires, microscopiques la plupart du temps. De nombreuses techniques étendues sont utilisées pour créer ces agencements de textures souvent incroyables, mais surtout pour confondre les sources. Car il s'agit ici d'une musique collective, "holiste" pourrait-on dire tant les individualités disparaissent au profit d'un son global et collectif. Une exploration profonde de masses sonores variées et virtuoses, un très bon exemple de l'état actuel de la musique improvisée dans sa tendance minimale et réductionniste. Des dynamiques variées, des textures recherchées, un cohésion de groupe surprenante et absorbante pour une improvisation libre minimale et contemplative certes, mais intense et envoûtante! Une réussite.

Ernesto Rodrigues/Christine Abdelnour/Axel Dörner - nie (Creative Sources, 2012)

Je ne suis pas un inconditionnel d'AD, mais placé entre de bonnes mains, sa musique peut vraiment se révéler ahurissante et digne de l'engouement qu'il suscite. Le placer par exemple entre les altistes Ernesto Rodrigues (violon) et Christine Abdelnour (saxophone) lui permet de produire une musique extrêmement puissante et créative.

Un trio exceptionnellement virtuose et un des meilleurs disques du label CS depuis longtemps. La rencontre est rêvée entre une exploratrice sonore intransigeante et deux musiciens très à l'aise dans le minimalisme et la recherche de textures. La surprise de nie, c'est que contrairement à ce qu'on pourrait attendre, ces trois improvisations sont très vivantes et réactives, parfois même violentes, fortes et agressives. Il s'agit de mettre en place différentes strates, d'assembler différentes couleurs et plusieurs timbres, mais de manière plutôt rapide et énergique. Les aplats sont en constant mouvement, l'intensité bouge sans cesse et les reliefs sont surprenants, autant que l'étendue des couleurs présentées. Trois musiciens qui semblent s'amuser tout en étant à l'aise sur de multiples terrains, des terrains souvent escarpés, fracturés, mais qui peuvent aussi durer et se plonger dans une calme contemplation du son. Chacun fait preuve d'une virtuosité monstrueuse, d'une recherche sonore aboutie sur un seul et même instrument. Et chacun sait écouter l'autre et réagir de la manière qui semble la plus naturelle et adéquate possible. Un grand moment d'improvisation libre, vivant, puissant, tendu et organique! Recommandé.

Pascal Battus/Bertrand Gauguet/Éric La Casa - Chantier 1 (Another Timbre, 2012)

Voici un disque qui fera date je l'espère. Car si on est plus ou moins habitué à entendre des artistes qui tentent d'interagir avec l'environnement sonore, des artistes qui choisissent des sites très spécifiques comme lieux d'enregistrements (grotte, usines désaffectée, gare, forêt, etc.), ces artistes se contentent seulement d'une relation avec le site lui-même, mais rarement avec un site habité. Il n'y a pas de relation entre la musique et l'homme, à moins que ce ne soit un public... La grandeur du trio Battus/Gauguet/La Casa, c'est de surpasser cette démarche qui tend à devenir une mode en créant une relation spécifique entre deux musiciens (Pascal Battus aux surfaces rotatives et objets trouvés, Bertrand Gauguet aux saxophones acoustiques et amplifiés plus effets), un site spécifique (un immeuble parisien en construction), et ceux qui l'habitent (les travailleurs).

Je suis un peu ennuyé de séparer Éric La Casa des deux instrumentistes, mais j'aimerais quand même justifier son accréditation peut-être surprenante mais pleinement justifiée. Car en effet, Éric La Casa ne joue pas d'instrument au sens classique du terme, il n'est peut-être crédité qu'aux microphones, mais cela ne doit certainement pas l'exclure du trio. Bien au contraire, il est plutôt le personnage central de ce trio dans la mesure où c'est bien lui qui joue le plus sur les relations possibles entre le site et les musiciens. Dans ce trio, même s'il ne produit pas de son, il assure la continuité matérielle entre la musique et l'environnement, et avec brio. Pour l'anecdote, j'ai écouté une fois ce disque un matin au beau milieu des Causses du Larzac, dans une vallée aride et désertée. J'écoutais ce disque au casque, et plusieurs fois, je me suis surpris à me demander d'où venaient les sons, je retirais plusieurs fois mon casque pour m'assurer qu'il n'y avait pas un camion-benne où une scie à métaux plus haut dans la vallée. Car l'attention extrêmement sensible de La Casa aux divers sons présents sur le site lui permet de leur rendre toute leur profondeur, tout leur espace. La vie des travailleurs et du chantier peut parfois être au centre de l'environnement, parfois lointaine, et c'est cette gestion incroyable de l'espace sonore, cette gestion beaucoup plus musicale que technique, qui permet d'intégrer le preneur de son aux artistes. Car il ne fait belle et bien rien d'autre qu'improviser avec le site et les musiciens, qu'improviser avec un talent hors du commun.

Plus concrètement, qu'est-ce qu'on peut entendre sur ce disque? Le disque est divisé en deux parties: la première a été enregistré en studio, quelques mois après l'expérience du Chantier. On y entend Pascal Battus et Bertrand Gauguet improviser deux pièces en tachant de se remémorer la situation d'enregistrement initiale, sans prendre en compte leurs expériences précédentes - car le duo existe depuis 2006. Feuilles de papiers, plastiques et autres surfaces sont mises en vibration, sont frottés par des mécanismes circulaires et rudimentaires. Des textures abrasives et granuleuses auxquelles Gauguet répond par une multiplicité de techniques étendues. Les deux strates se mêlent, se mélangent et se confondent dans un jeu d'imitation alchimique. Une interaction plutôt incroyable entre l'acoustique, les préparations et l'électronique qui s'entremêlent indistinctement. Une absence totale de hiérarchie entre les sources, ce qu'on retrouve également dans les cinq merveilleuses pièces suivantes. Car pour l'enregistrement in situ, le principe est le même. Il s'agit de confondre les sources, d'y répondre avec le même respect que s'il s'agissait d'une partition - quand bien même il s'agit d'une production électroacoustique, d'un son des travailleurs, d'une note de saxophone, de l'architecture du lieu, jusqu'au discours des travailleurs eux-mêmes. De l'eau qui coule, un camion-benne, des scies à métaux, des marteaux, se mêlent à des sons de surfaces rotatives et de saxophones, sans hiérarchie ni mise en avant de l'un comme de l'autre. L'écoute des musiciens est précise, attentive, sensible, chacun réagit à l'autre et à l'environnement sonore et humain avec une musicalité, un profond respect, une humilité, une discrétion et une sensibilité hors du commun.

Mais toute la force de ce Chantier réside peut-être dans les réactions qu'a su susciter cette expérience - réactions qui sont pleinement acceptées et intégrées à la performance, le but étant même de les solliciter et d'y répondre. Je pense par exemple à la dernière pièce, où la musique s’interrompt lorsqu'un turc d'origine kurde parle de sa vision de la musique aux musiciens et leur fait écouter un air traditionnel de flûte qawal. Voilà pour la réaction la plus forte, mais c'est également l'aspect documentaire qui est remarquable, car l'enregistrement saisit d'une part la multiplicité des travaux sur le lieu de construction à travers les sons des engins utilisés (maçonnerie, plomberie, métallerie, etc.), mais également la multiplicité ethnique des travailleurs (africains, arabes, kurdes) - reflet flagrant de l'exploitation salariale (ou non) des flux migratoires des masses sous-prolétarisées.

Un disque extrêmement marquant et bien sûr hautement recommandé. Avec Richard Pinnel, je ne peux qu'espérer une suite à cette expérience remarquable qui parvient à surpasser ce qui tend parfois à devenir une démarche formelle (je parle de l'intégration de l'environnement sonore). En ce sens, c'est à dire en tant qu'il surpasse et dépasse une certaine esthétique ou une certaine logique artistique, on pourrait presque dire que Chantier 1 est un disque transcendant, en tout cas, il marque une nouvelle étape dans l'histoire toujours en cours des musiques.

Informations, extraits, interviews (Pascal Battus & Éric La Casa): http://www.anothertimbre.com/page137.html

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Pascal Battus / Lionel Marchetti / Emmanuel Petit - La vie dans les bois (Herbal International, 2012)

La vie dans les bois est une étrange pièce de 40 minutes enregistrée il y a presque dix ans à l'intérieur d'une forêt, pendant une performance butô de Yôko Higashi. Outre ces quelques spécificités circonstancielles, il y a également cette surprenante accréditation de Marchetti à l'électricité. Et étant donné que les des autres musiciens jouent de la guitare électrique comme d'une source de larsens, on a du mal à distinguer si Marchetti joue vraiment de l'électronique avec eux ou s'il s'est simplement occupé du groupe électrogène... Ce que j'ai du mal à croire.

En tout cas, cette pièce a quelque chose de très absorbant, figuratif, et de très concret. On y entend tout d'abord les sons de la forêt, principalement ses oiseaux mais quelque fois aussi le bruissement des arbres et le vent. Puis le trio Battus/Marchetti/Petit commence à produire de longues nappes sonores, à jouer avec les sons de la forêt dans une forme de questions-réponses où les larsens peuvent prendre la forme d'un chant d'oiseau. Une musique très axée sur l'ambiance et l'atmosphère, mais également sur la figuration, toute variation de la nappe servant surtout des buts imitatifs et imagés, ou servant de réponse au chant de la forêt; mais ne servant que rarement un but musical ou formel.

Une musique calme et contemplative, où les sons électriques dialoguent et communient avec les sons naturels. L'osmose n'a pas seulement lieu entre les musiciens (et la danseuse), mais également avec la forêt elle-même, qui tend à revivre sur ce disque par la réponse que le trio propose à sa vie sonore. Une longue piste progressive, qui ne suit pas une montée linéaire, mais qui suit invariablement le cours de l'environnement, qui suit La vie dans les bois. Une progression calme et envoutante, poétique et sensible, minimale, patiente, et surtout, charmante. Un bel exemple d'improvisation et d'interaction entre la musique et l'environnement.

Informations: http://herbalinternational.blogspot.fr/2012/04/1201-bathus-marchetti-petit-la-vie-dans.html

Roel Meelkop - Oude Koeien (Herbal International, 2010)

Collection de huit pièces enregistrées et pour la plupart déjà éditées entre 1998 et 2010, Oude Koeien compile une drôle de série de pièces plutôt courtes interprétées par l'un des noyaux durs de la musique électroacoustique hollandaise. Une grande partie de ces pièces est faite pour synthétiseur analogique et ondes sinusoïdales apparemment, mais le vocabulaire et la forme esthétique de ces pièces se rapprochent plus de la musique électroacoustique avec ses manipulations de bandes magnétiques ou vinyles. Musique électroacoustique à forte tendance glitch, avec ses courtes imperfections, ses sauts de tension (électrique aussi bien que musicale), ses disques rayés qui sautent et qui craquent, ses étranges enregistrements sonores un peu crades et méconnaissables.

Des pièces souvent assez courtes, calmes, avec de nombreux silences. En fait, une musique assez étrange, imprévue, qui oscille entre le bruit, le silence, le minimalisme, le réductionnisme, entre les répétitions, les ruptures de ton et les fractures. Roel Meelkop joue sur les textures avec de nombreuses nappes analogiques, mais aussi sur différentes intensités et atmosphères, univers composés parfois de bruits, parfois d'accords, de rythmes, ou de nappes. Une musique complexe, variée, tour à tour sérieuse et sans prétention, qui peut aussi bien ennuyer qu'absorber l'auditeur selon son état et sa disponibilité. En tout cas, la compilation en tant que telle forme une belle présentation des travaux de Roel Meelkop, artiste que l'on peut ainsi découvrir dans toute sa diversité, mais aussi dans sa radicalité.

Informations : http://herbalinternational.blogspot.fr/2009/10/xxxx-roel-meelkop-old-cows-from-ditch.html 

Éric La Casa / Cédric Peyronnet - La Creuse (Herbal International, 2008)

Été 2006, au beau milieu de la France, dans un département qui fait rarement parler de lui (la Creuse), deux amoureux du son dressent une carte dans le but de produire une cartographie sonore de ce territoire. Pendant plusieurs jours, La Casa et Peyronnet se baladent à travers trois points géographiques, contemplent les paysages, et prennent des relevés sonores qui constitueront bientôt une banque de sons. Ressac, confluence de deux rivières, chants d'oiseaux, cris d'insectes, bruits de lignes électriques sous haute tension, moulin, barque, clapotis, cloches d'église. Si ce territoire est réputé pour être vide, les deux cartographes sonores reviennent tout de même avec des données sonores vastes et riches. D'un côté, Éric La Casa a envoyé un montage des enregistrements, montage qui donne son interprétation du lieu choisi. Puis Cédric Peyronnet a collé son interprétation sonique. Et inversement sur certaines pièces. Double interprétation sonore d'un environnement particulier. Une musique interactive, où l'imaginaire prend le dessus sur la restitution sonore documentaire. Car cette suite de field-recordings n'est pas figurative, et si elle peint quelque chose, c'est surtout les impressions et les sensations des enregistreurs-capteurs. Une peinture mentale plus que documentaire. A travers les données brutes des field-recordings, puis à travers le choix, le montage, et l'assemblage de ces sons enregistrées avec patience, délicatesse et précision, c'est surtout l'état émotif des musiciens qui ressort plus que les données sonores de l'environnement. Mais également, il ressort de cette suite l'état d'intimité entre les deux artistes qui confondent leurs enregistrements, ainsi que l'état d'intimité entre ces derniers et l'environnement dont ils ont su tirer toute la magie et la poésie sonore.

Neuf pièces enregistrées et montées de manière très sensible et poétique, où l'imaginaire et les sens ont su prendre le dessus sur la froideur de la raison et de la science. Un tableau intime de la relation triadique entre deux musiciens et une région géographique.