Junko & Thomas Tilly - Wild Protest

Le lyrisme sauvage de Junko d'un côté, la finesse d'écoute et d'enregistrement de Thomas Tilly de l'autre côté : voilà bien une rencontre que je n'aurais pas prévu et que j'ai découvert avec plaisir. Aussi improbable et étonnante qu'elle paraisse néanmoins, cette collaboration marche, et même très bien. 
Junko Hiroshige, qu'on a pu entendre aux côtés de Dustbreeders, Masayoshi Urabe, Mattin et Michel Henritzi entre autres, n'est pas là pour nous épargner. Sa voix est bien l'actrice principale de cette collaboration inouïe, sauvage et poétique. Cette voix qui hurle je ne sais quoi, du plus haut possible de ses cordes vocales, ce cri incessant et toujours plus fort et intense qui ne se fatigue jamais, cette blessure sonore béante qui ne cesse de s'élargir, oui cette voix envahit tout le disque, elle est là, elle se pose au milieu d'une forêt et absorbe tout l'environnement, pour le concentrer en un cri unique et inépuisable.

De son côté, Thomas Tilly ne fait que capter cette présence vocale, ce cri au milieu de la forêt. Je m'attendais à quelques montages fins et savants dont il a le secret, à une accumulation de matière sonore bruitiste, ou à une composition électroacoustique magistrale. Mais non, Thomas Tilly ne fait que se poser, choisir l'emplacement idéal, et capter cette voix dans cet environnement. Sa présence est discrète mais fondamentale. Car ce qui n'aurait pu être qu'un solo vocal hystérique et primitif se transforme ici en un chant naturel qui finit par revêtir des touches de plus en plus douces et naturelles. Car il ne s'agit pas que de trouver le meilleur emplacement et la meilleure manière d'enregistrer pour mettre en valeur la voix de Junko, il s'agit de trouver un équilibre entre cette voix et le milieu dans lequel elle évolue. Et c'est grâce à cet équilibre entre les sons naturels et la performance de Junko que cette dernière revêt un caractère de plus en plus doux et chantant, comme un oiseau rare perdu au milieu de cet environnement, un animal perdu qui cherche ses repères ou sa famille, n'ayant aucune crainte d'être surpris grâce à la présence bienveillante des micros.

Et finalement, hormis lors du climax atteint sur les dernières minutes, cette collaboration se révèle surprenante pour sa douceur, sa finesse, et son équilibre instable entre la nature et la culture, entre le chant improvisé et gratuit de Junko, et l'environnement sonore très marqué par le finalisme et le déterminisme naturel. Si la sauvagerie culte de Junko frappe toujours au premier abord, frappe même très fort, elle finit par trouver sa place dans le cours naturel de l'environnement forestier. Thomas Tilly conserve la puissance et l'intensité de Junko mais la transforme quelque peu en la confondant dans un environnement marqué par le calme et la douceur. Et au final on ne sait plus si c'est la forêt qui hurle ou si Junko se fond dans cet environnement et lui répond de la manière la plus naturelle qu'elle connaisse. Quoiqu'il en soit, le dialogue instauré entre Junko et la forêt, par l'intermédiaire indispensable de Thomas Tilly, se révèle passionnant, riche, beau, sauvage et doux à la fois.


JUNKO & THOMAS TILLY - Wild Protest (LP, 2016, Vent des Forêts)



Pan Daijing - Lack

En 2013, comme beaucoup d'auditeurs pas nécessairement proches des musiques expérimentales, ni forcément au courant de l'activité de PAN et de Rashad Becker, j'ai été vraiment surpris par le premier disque de ce dernier et j'attendais le deuxième volume avec impatience. Puis ce dernier est sorti, mais là, ça a été la déception, je le trouvais beaucoup trop convenu, trop attendu. Parallèlement, le label berlinois le plus en vogue des musiques expérimentales ne cesse de produire des disques à tendance house et dancefloor, esthétiques qui ne m'intéressent pas du tout du coup je n'espérais plus grand chose de ce label.

Mais par curiosité, je voulais quand même écouter ce nouveau disque sorti cet été par la musicienne  sino-germanique Pan Daijing. Et là je n'en revenais pas. Lack aurait pu être la suite de Traditional Music of Notional Species dans la mesure où on y retrouve l'utilisation des mêmes filtres tant prisés par Rashad Becker. Mais Lack pourrait aussi être la musique d'une descente de kétamine mal gérée au milieu d'une free party. Aussi, Lack, c'est la rencontre entre deux influences très fortes, la musique électroacoustique et l'indus.
Je n'aime pas spécialement parler de genres ou d'influences, mais là, c'est souvent trop flagrant. On retrouve les mêmes modulations sonores que celles utilisées par Rashad Becker, ces enregistrements détendus et arrondis pour former d'étranges mouvements soniques. Des procédés similaires qui ne forment pourtant pas la même musique du tout. Car Pan Daijing n'hésite pas à utiliser sa voix dans d'étranges incantations qui peuvent aussi rappeler Diamanda Galas, tout comme elle peut utiliser d'instruments distordus ou de sonorités très harsh dans une ambiance à la Throbbing Gristle, sans parler des beats hardcore festifs sortis de free party.

Tout ça non pas pour dire que Pan Daijing manque de personnalité ou fait du vulgaire montage. Bien au contraire, la musique de Pan Daijing ne ressemble à aucune autre et cette artiste sait largement faire preuve de créativité. Elle ose au contraire des assemblages et des montages inattendus, elle ose explorer le son et surtout les atmosphères de manière très singulière, parfois avec douceur, parfois avec violence. Autant de pièces qui forment parfois des plongées angoissantes dans des mondes sonores incroyables, ou des rêveries surprenantes et détendues dans des textures accueillantes. Une magnifique rencontre entre la musique électronique, la voix, l'indus et les musiques expérimentales.


PAN DAIJING - Lack (LP, 2017, PAN)

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