Jean-Philippe Gross - Curling



Ca fait longtemps que je n'ai pas écrit une chronique, sur ce blog ou ailleurs. Je ne comptais pas vraiment recommencer - et ce n'est toujours pas d'actualité - mais voilà, il a fallu que je tombe sur ce disque. Curling fait partie de ces disques qui marquent, auxquels on revient sans cesse et qu'on a envie de partager. Un disque unique et mémorable, et c'est pourquoi je tenais à écrire quelques lignes dessus.Je ne vais pas faire un top 10 de la décennie ou de l'année, non. Le plus marquant pour moi, ça a été Perhaps a favorable organic moment d'Anne Guthrie, sorti en 2011, et je voudrais placer Curling de Jean-Philippe Gross à ses côtés, car je pense que neuf ans plus tard, il ne sera pas oublié non plus.

L'idée de ce disque est très simple, elle est réduite au minumum, et c'est cette simplicité qui fait sa force en partie. Jean-Philippe Gross a composé un drone fin et subtil avec deux ondes qui évoluent et se modulent lentement au fil des vingt minutes de l'unique pièce qui compose ce disque. Ce drone est simplement magnifique, il évolue tranquillement, de manière un peu aléatoire et calme, les modulations varient de manière subtile, il est toujours présent comme une trame, mais une trame qui a sa propre force, pas comme un cadre ou une illustration, plutôt comme un aplat qui possèderait une lumière poétique et intense. Mais aussi beau et envoutant soit ce drone, ce qui fait l'originalité et la force de ce disque, c'est surtout l'enregistrement qui le jouxte.

Dans le domaine des field recordings, il y a beaucoup de sujets qui reviennent (des éléments industriels, animaux, urbains), mais ici Jean-Philippe Gross utilise l'enregistrement d'un match de curling, chose franchement pas commune... Comme beaucoup, je ne connais strictement rien à ce sport, et vue que les joueurs parlent (et hurlent) en anglais, je ne comprends vraiment pas ce qui peut se passer durant ces vingt minutes. J'ai des images qui reviennent parfois, quand j'avais encore une télé et que j'avais des insomnies pendant les JO, mais c'est vraiment flou... Mais je pense que c'est cette incompréhension et cette absence de repère qui engendrent une narration extrêmement forte dans ce disque. Le disque suit un fil narratif, celui d'un match de curling, mais étant donné qu'on ne sait pas ce qu'il se passe, on ne peut qu'imaginer, c'est à nous de faire notre film et c'est là que ce disque devient magique.

Les joueurs s'avisent de certaines choses, en crient d'autres avec une intensité incroyable, le public applaudit, tout ceci au même niveau que le drone fantomatique et omniprésent. L'atmosphère est unique, un film incroyable se déroule dans notre tête, guidé par nos oreilles. Tout possède un air quelque peu familier et très lointain en même temps, tout semble pouvoir basculer dans un monde incertain à tout moment. On est dans un vrai cinéma pour l'oreille, mais très loin de tous les clichés de la musique électroacoustique, on est dans un musique unique, personnelle, et merveilleuse.

Il y aurait certainement beaucoup à dire sur cette pièce si courte qu'on ne cesse de la relancer. Mais ça fait longtemps que je n'ai pas écrit. Je ne sais pas maintenant que je ferais une autre chronique, mais si je dois attendre un disque aussi étonnant, aussi fort et beau, il risque de se passer encore quelques années. En attendant, je ne vous recommanderais jamais assez ce disque.

Et puisque j'y suis, j'en profite pour également parler de Reflex, la deuxième publication sur ce nouveau label créé par Jean-Philippe Gross. Je n'ai pas autant aimé ce disque mais il vaut quand même le détour. Il s'agit du regroupement de nombreuses pièces réalisées durant environ huit ans je crois, toutes réalisées à partir d'un synthétiseur modulaire Serge. Quand il y a beaucoup de pièces assez courtes réalisées à partir d'un système modulaire, on a vite l'impression de tomber dans un recueil d'études pour l'instrument. J'ai eu un peu cette impression au début, surtout à cause de la courte durée de chacune des pièces. Mais passée cette impression, on plonge vite dans un univers incroyable fait de modulations très subtiles, d'explorations soniques très intenses, proches aussi bien de la noise que de la poésie. Jean-Pilippe Gross a composé et enregistré ici une suite de pièces qui laissent apercevoir la richesse des synthétiseurs Serge d'une part, mais surtout les capacités de s'aventurer dans des territoires sonores originaux et dans des constructions personnelles, loin de nombreux clichés. A écouter.