Cristian Alvear & Seijiro Murayama - Karoujite

Depuis quelques semaines, j'ai écouté de nombreux disques, plusieurs dizaines certainement, mais il n'y en a qu'un seul qui revient toujours. Je devrais dire deux peut-être avec les ChamberEvents de Burkhard Schlothauer, mais je reviens toujours aussi inlassablement vers Karoujite, la première publication d'une collaboration qui continuera de se produire j'espère : Cristian Alvear et Seijiro Murayama. Si le premier était encore inconnu il n'y a pas si longtemps, on n'arrête pas de découvrir de nouvelles compositions pour guitare, anciennes ou composées pour lui, écrites par des membres de Wandelweiser surtout (Pisaro, Frey, Beuger, Malfatti, Thut) mais aussi par de plus jeunes compositeurs inspirés par les musiques expérimentales et minimalistes (d'incise, Sarah Hennies, Taku Sugimoto, Ryoko Akama par exemple).

Pour ceux qui connaissent déja bien, ou même juste un peu, Cristian Alvear et Seijiro Murayama, cette rencontre enregistrée au Japon ne les étonnera pas plus ça que dans la forme. Car en gros, il s'agit de trois pièces répétitives, remplies par les frottements de cymbales de Seijiro Murayama, ou par les battements rapides de caisses claires, et ponctuées par la répétition lente mais pas trop d'une note de guitare, ou un accord léger. Voilà pour un descriptif grossier et sommaire, qui correspond d'une certaine manière à ce qu'on entend mais pas vraiment à ce qu'on ressent.

Car la musique de ce duo, malgré les répétitions, n'a rien de minimaliste, on pourrait même être tenter de la qualifier de maximaliste tant elle parvient à remplir l'espace, et ce de plus en plus au fur et à mesure qu'avance le disque. C'est une musique répétitive, oui aucun doute, mais loin des répétitions parfaites et monotones. Non, il s'agit de répétitions avec leurs faiblesses, leurs erreurs, leurs à peu près en somme. Et la musique évolue sur ce terrain glissant et indomptable de la faiblesse humaine, de la résonance du lieu, de la spontanéité d'une matière sonore qu'on peut créer, mais jamais totalement maitriser. C'est comme si le duo invoquait une matière sonore, et lui laissait champ libre pour ensuite créer l'espace sonore qu'elle souhaite. D'où la beauté et l'unicité de ces espaces sonores inouis.

Cristian Alvear et Seijiro Murayama jouent de la guitare et de la batterie, jusqu'ici pas de problème. Ils composent ensemble une musique répétitive et peut-être minimaliste. Mais l'écoute de ce disque nous plonge surtout dans la création d'espaces sonores riches, dans la création d'une écoute unique, dans la création d'un monde musical où les éléments primaires s'opposent (la pulsation de la guitare et le jeu lisse de la batterie) pour mieux se rejoindre et former un espace homogène et équilibré : un espace musical puissant, beau, envahissant, toujours plein, riche et fluctuant, incertain et fluide. On est loin des clichés du minimalisme et de la musique répétitive tout en étant dedans en somme. On n'est plus dans la composition stricte ni dans l'improvisation libre, mais dans une musique très cadrée, propre, qui sait rester ouverte à tous les possibles, et qui joue de tous ces possibles incertains et beaux.


CRISTIAN ALVEAR & SEIJIRO MURAYAMA - Karoujite (CD, 2017, Potlatch)