v-p v-f is v-n (winds measure, 2012)

 
Un titre énigmatique pour une compilation qui l’est tout autant. Durant deux heures et vingt minutes, c’est toute une multitude de pièces phonographiques et de field-recordings par de nombreux musiciens et artistes sonores internationaux.  Les durées de chaque pièce sont très variables, entre une et quinze minutes... Entre autres, on peut trouver sur cette compilation les artistes Daniel Blinkhorn, Ben Owen, Jason Kahn, Jez Riley French, Éric La Casa, Sally McIntyre, Simon Whetham, Patrick Farmer, Michael J. Schumacher, Lasse-Marc Riek. Pour une description détaillée de chaque pièce, je vous conseillerais plutôt de vous reporter à la chronique (en anglais) de Brian sur le blog Just Outside, car ici, je ne m’arrêterais que sur quelques pièces.

Une des pièces les plus marquantes de cette compilation a tout d’abord été pour moi gate de Martin Clarke. Malheureusement, 4 minutes et 51 secondes c’est un peu court. Il semblerait qu’une installation à base de tuyaux métalliques ait été préparée au bord d’un océan. On entend donc ici le ressac (l’eau est un élément récurrent sur toute la compilation), quelques oiseaux, et surtout le vent, le vent en lui-même et celui qui s’engouffre dans les tuyaux en produisant de magnifiques harmoniques. Toujours sur le premier CD, on trouvera aussi aqve de Renato Rinaldi. Je pense qu’il s’agit également d’une installation sonore, en intérieur cette fois, car les outils et machines aux sonorités industrielles déploient de vastes résonances dans l’espace sonore. Une merveilleuse construction technique qui permet à un univers sonore déroutant, onirique et surnaturel d’émerger. Des boucles mécaniques et métalliques pour une pièce envoutante et absorbante. Ce premier disque est conclu par Jez Riley French avec le suprenant bathroom then barn estonia. Une pièce d'un quart d'heure qui commence par un son aigu faible et léger, comme le discret bruit d'une prise électrique, avant de pénétrer dans une grange bruyante, pleine de vent avant tout, un vent sourd et omniprésent qui fait vibrer certains objets, mais aussi pleine de pigeons qui roucoulent et s'envolent, de coqs et d'oiseaux. Très riche.

S'il y a bien un artiste incontournable dans les champs du field-recording et de l'art sonore, c'est à mon sens Éric La Casa, qui ouvre ce second disque avec night train in montlouis. Un magnifique voyage, statique semble-t-il, à l'intérieur d'un train. Heureusement que le titre l'indique, car je ne suis pas sûr d'avoir réussi à le déterminer sinon, le son est étrange, fantomatique et spectral, on ne sait d'ailleurs pas toujours si l'on est à l'intérieur du train ou sur les rails aux côtés de rapaces nocturnes [correction par Eric: "je ne suis pas dans le train... mais à des kilomètres... je suis de l'autre côté de la vallée, et de la Loire, dans lequel ce train passe... d'où le lointain fantomatique, ce bruit de fond en mouvement... et les mouettes"]. Juste après vient Sally McIntyre (alias Radio Cegeste) qui nous emmène sur une étrange plage calme avec waiorua rotations. On entend bien évidemment un léger ressac, ainsi que des oiseaux marins (ou non), mais aussi et surtout, ce qui fait toute la puissance de cette pièce, une plaque de fer frappée avec un objet métallique de manière irrégulière. Nature et culture se confronte et se mélange dans une pièce aux allures aléatoires et incantatrices. Magnifique (et en plus elle dure près d'un quart d'heure!). Daniel Blinkhorn revient ici pour la troisième fois avec un étrange enregistrement intitulé small glacier from shoreline où sont diffusés des crépitements étonnants et singuliers, entre le grésillement d'un feu, des bois qui se roulent les uns sur les autres, et du plastique rempli d'eau secoué. Autre enregistrement étonnant, direct et intense, estonian swamp de Simon Whetham. Ce dernier a mixé ici de nombreux enregistrements pris sur un marais estonien avec ses insectes, son coucou, et autres oiseaux. Une grande puissance évocatrice pour une pièce très figurative et pleine de mélodies animales géniales. La pièce qui m'a certainement le plus marqué aux côtés de celles de Sally McIntyre et de Martin Clarke est air conditionner duct de Michael J. Schumacher. Amplification d'un système d'air conditionné qui vire à la noise, des fois à la harsh noise. Des timbres et des textures riches, puissantes, abstraites, abrasives, industrielles et métalliques. Une pièce très dense et intense.

Je n'ai pas parlé des pièces assez courtes (genre moins de cinq minutes) mais certaines valent aussi vraiment le coup. coed-y-dinas de Patrick Farmer avec ses cris et ses hurlements d'oiseaux pris sur une aire d'autoroute ou proche d'un quelconque axe routier assez fréquenté. Ou thames gate de Ben Owen avec ses "mystérieuses" mélodies concrètes sont autant de pièces qui mériteraient certainement d'être plus développées.

De même je n'ai pas encore parlé de Jason Kahn. Avec l'extrait tiré de in place: panorama weg, zurich, JK nous propose une alternative radicale à la phonographie. L'enregistrement ici est celui d'une voix qui nous parle des sons qu'elle perçoit. Qu'est-ce que j'entends, qu'est-ce que je ressens au moment de l'écoute? Pourquoi? Comment? Qu'est-ce que signifie tel ou tel son et à quoi renvoie-t-il dans mon système de perception? Autant de question évoquée directement par Jason Kahn qui m'a directement fait penser avec ce dispositif à Marguerite Duras. Une pièce qu'on pourrait appeler de la "musique indirecte libre". L'évocation poétique d'une perception ou d'une idée, mise en discours censé retranscrire la musique. S'agit-il encore de musique? La question reste ouverte. En tout cas, le dispositif musical mis en marche par Jason Kahn a le don de susciter de nombreuses ouvertures et de véritablement remettre en question l'art sonore et la phonographie.

Voilà, je finis juste par énumérer ceux dont je n'ai pas encore parlé ou que je n'ai pas cité: Hideki Umezawa et Alan Courtis. Bon voyage.

[informations, texte de Jason Kahn sur sa pièce, extraits: http://windsmeasurerecordings.net/catalog/wm30/index.html
compilation parallèle gratuite (.wav et .mp3) avec Michael Northam, Patrick Farmer, Martin Clarke, Stefan Thut, Greg Dixon, Lasse-Marc Riek, Janek Schaefer: http://windsmeasurerecordings.net/catalog/wm30m/]

ILSE (2)

Adega Ensemble - Black van in a small square (Ilse, 2012)

L'Adega Ensemble regroupe sept instrumentistes originaires du Portugal et du Brésil. Henry Krutzen (saxophone ténor, objets), João Parrinha (batterie, percussions), João Pedro Viegas (clarinette basse), Luís Vicente (trompette, objets), Manuel Guimarães (guitare), Paulo Chagas (flûte, hautbois, clarinette sopranino) et Paulo Curado (flûte, saxophones soprano et alto). Dans ces chroniques, j'essaye toujours d'éviter les comparaisons au maximum, mais là je ne peux pas m'en empêcher. On croirait même à un hommage parfois. Car si l'Adega Ensemble ressemble à quelque chose, c'est sans aucun doute à l'Art Ensemble of Chicago. Une profusion de soufflants et de percussions, l'utilisation d'idiophones traditionnels, une liberté totale et un jeu hallucinant de questions et de réponses dans les improvisations collectives, c'est peut-être moins axé sur les influences et les rythmiques africaines que l'AEOC, mais la part de jazz est tout aussi présente, de même que la volonté de briser tabous et codes. Black van... regroupe quatre improvisations d'environ un quart d'heure chacune, quatre improvisations où tout peut surgir, quatre improvisations où les personnalités ne s'effacent jamais tout en étant à l'écoute d'un son collectif épais et consistant. C'est très énergique, très puissant souvent, l'improvisation collective est omniprésente, mais l'espace est rarement saturé: les sept musiciens savent jouer simultanément sans jamais se marcher dessus. L'équilibre entre les voix individuelles et le son collectif est plutôt impressionnant (ce qui rapproche encore cet ensemble de l'AEOC).

Quatre improvisations totalement acoustiques, dans une veine très proche du free jazz afro-américain, osées et inventives, fraîches et spontanées, énergiques, puissantes et plaisantes. L'Adega Ensemble renoue ici avec une longue tradition musicale aux aspects rituels, collectifs, et humains.

Ilia Belorukov - Nudoska (Ilse, 2012)

A la base, je connais surtout le jeune musicien russe Ilia Belorukov comme saxophoniste (notamment au sein de Wozzeck et du Totalitarian Music Sect), mais avec Nudoska, Belorukov nous offre une courte pièce de 35 minutes plutôt noise et électroacoustique, une première tentative qui promet en tout cas. Il s'agit apparemment du mixage et de l'assemblage de plusieurs enregistrements pris en quelques jours en Italie. Tout commence avec une introduction de dix minutes, une intro - qui prend les allures d'assaut sonore massif - harsh et furieuse, des boucles numériques très lourdes et proches du bruit blanc, avec des couches hystériques de sons aigus qui ressemblent à de l'analogique. Une masse sonore très épaisse, forte, et intense qui ne laisse pas indemne. Puis doucement, on assemblant des nappes de plus en plus douce, l'atmosphère se détend, l'ambiance devient plus légère, le son prend l'allure de vagues numériques plus espacées et plus calme. Des boucles synthétiques plutôt harmonieuses et presque mélodiques viennent remplacer le mur de son précédent. Comme un interlude assez long avant que la pièce redevienne bruitiste mais de manière plus minimaliste cette fois. Car la conclusion est faite de grésillements et crépitements plutôt calmes, ainsi que du bruits des clés et des tampons d'un saxophone. Un voyage en somme tantôt harsh, tantôt ambiant, pour terminer dans le réductionnisme. Un decrescendo bien structuré et bien équilibré qui ne pèche que par sa partie centrale, peu consistante par rapport aux deux autres excellentes parties. Très bon quand même dans l'ensemble.

WANDELWEISER UND SO WEITER (Another Timbre, 2012)

Volontairement, je ne ferai pas de Top X de l'année 2012, même si cette formule présente des avantages pour ceux qui ne suivent pas l'actualité avec autant d’assiduité - on devrait plutôt dire "de fétichisme" - que moi... Cependant, s'il y a bien un disque incontournable paru en cette fin d'année, c'est ce coffret monumental nommé Wandelweiser und so weiter et publié par les bons soins de Simon Reynell pour le label anglais Another Timbre. Je ne dirais pas que c'est mon disque préféré de l'année, mais d'un point de vue éditorial, c'est certainement l'évènement le plus important de 2012.

Six disques, un livret où est retranscrit une longue discussion entre Michael Pisaro (un des plus grands compositeurs de Wandelweiser), Antoine Beuger (fondateur du collectif), Dominic Lash et Philip Thomas (deux des interprètes réguliers des œuvres de nombreux compositeurs affiliés à Wandelweiser), sept heures de musiques consacrées aux œuvres des membres de ce collectif international et des musiciens qui l'entourent. Deux pièces de John Cage, une de John White, et bien sûr des œuvres de Pisaro, Manfred Werder, Antoine Beuger, Radu Malfatti, Jürg Frey, Eva-Maria Houben pour ne citer que les plus célèbres. C'est aussi l'occasion de présenter certains musiciens moins diffusés ou moins connus pour leur composition: Sam Sfirri, Jason Brogan, Stefan Thut, Dominic Lash, Angharad Davies, Anett Németh, Taylan Susam, Phil Durrant, James Saunders. Le tout interprété par une pléiade de musiciens géniaux: Angharad Davies encore, une grande partie des compositeurs eux-mêmes (peut-être même la totalité), Dominic Lash, Dimitra Lazaridou-Chatzigoga, Patrick Farmer, Daniel Jones, Ferran Fages, Anett Németh, Alfredo Costa Monteiro, Philip Thomas, le Set Ensemble, l'edges ensemble, et j'en oublie, car la liste est déjà trop longue pour que vous y prêtiez encore attention.

Un coffret vraiment imposant, difficile à chroniquer aussi. Étant donné sa longueur, je n'ai pas pu tout chroniquer d'un coup, je l'ai chroniqué sur deux mois disque par disque, en les prenant indépendamment les uns des autres (les liens vers chacune des chroniques sont en bas de cette introduction). Ce n'est pas forcément le choix le plus judicieux, mais c'était le plus simple pour moi. Parlons-en d'ailleurs de sa durée. Sept heures de musique souvent silencieuse, minimaliste, ou réductionniste, on a beau se complaire dans les musiques extrêmes, je ne crois pas être le seul à trouver ça trop long, malgré le nombre incroyables de pièces excellentes. Car si ce coffret présente les compositeurs dans toute leur diversité, dans toutes leurs dissemblances, c'est aussi leur ressemblance et ce qui les rapproche qui est mis en avant. Ce qui rend l'écoute de ce coffret plutôt difficile à tenir sur la longueur.

Ceci-dit, au vu du nombre de réalisations/actualisations/interprétations encore inédites, c'est bien un coffret à recommander à tous les amateurs de Wandelweiser, auntant qu'aux néophytes qui pourront découvrir l'univers Wandelweiser de manière plutôt exhaustive. Voici une des premières compilations réussies que j'entends. Une compilation où toutes les œuvres se parlent et se répondent, une compilation avec un véritable but esthétique et promotionnel, et où chaque œuvre est choisie avec soin. Bien entendu, un coffret hautement recommandé.

[informations, interviews (Sam Sfirri, Stefan Thut), notes du livret + de nombreux extraits: http://www.anothertimbre.com/page145.html]

Disque 1: http://improv-sphere.blogspot.com/2013/01/wandelweiser-und-so-weiter-confluences.html
Disque 2: http://improv-sphere.blogspot.com/2013/01/wandelweiser-und-so-weiter-crosscurents.html
Disque 3: http://improv-sphere.blogspot.com/2013/01/wandelweiser-und-so-weiter-drifts.html
Disque 4: http://improv-sphere.blogspot.com/2013/01/wandelweiser-und-so-weiter-eddies.html
Disque 5: http://improv-sphere.blogspot.com/2013/01/wandelweiser-und-so-weiter-undertows.html
Disque 6: http://improv-sphere.blogspot.com/2013/01/wandelweiser-und-so-weiter-upwellings.html

Wandelweiser und so weiter: Confluences (another timbre, 2012)

Sur ce premier disque du coffret consacré au collectif Wandelweiser, cinq pièces sont présentées. Deux réalisations de natural at last de Sam Sfirri, Lieux de Passage d'Antoine Beuger, 2011(4) de Manfred Werder, various distinct spatial or temporal locations de James Saunders, et Heikou de Radu Malfatti.

Si le disque s'ouvre par une des interprétations de l’œuvre de Sfirri, je voudrais de mon côté commencer par Lieux de Passage. Une pièce onirique et majestueuse interprétée par Jürg Frey (clarinette), Angharad Davies (violon), Phil Durrant (électronique), Anton Lukoszevieze (violoncelle), Radu Malfatti (trombone), Lee Patterson (objets amplifiés) et Philip Tomas (piano). La liste est longue mais donne un très bon aperçu de ce que cette interprétation peut avoir de sensible et d'intense. Car la plupart de ces musiciens côtoient la musique de Beuger et de Wandelweiser (dont il est un des membres fondateurs) de près ou de loin depuis pas mal d'années. La pièce est construite sur de longues notes sans intonations, sans variation d'intensité, des notes qui apparaissent et disparaissent, qui forment parfois un accord harmonieux, qui se superposent simplement à d'autres moments, qui se retrouvent seules quelques fois. Seules des indications de temps semblent avoir été données, des indications de temps qui ne se correspondent pas toujours, qui permettent aux musiciens de se retrouver seuls, à deux ou en grosse formation. Une partition qui semble assez ouverte et qui permet aux timbres de se renouveler constamment. Un instrument peut apparaître après des minutes et des minutes de silence, comme il peut disparaître à tout moment pendant dix minutes, chaque note, chaque accord, chaque son paraît magique alors, chaque accord attaqué semble être une apparition. Une voix se détache tout de même de ce nuage sonore et se maintient tout du long: la clarinette de Jürg Frey qui interprète une très longue mélodie, une mélodie aérienne qui s'étire sur les 26 minutes de ce chef d’œuvre mystérieux.

L'autre composition importante sur ce disque - de par sa taille et la renommée bien établie du compositeur - est bien sûr Heikou de Radu Malfatti. Cette partition de 2010 est interprétée ici par le même ensemble que sur Lieux de Passage avec en plus le contrebassiste Joseph Kudirka. Comme darenootodesuka, Heikou semble se fonder sur des accords qui forment des vagues de sons. Des vagues qui apparaissent et disparaissent selon une temporalité unique et mystérieuse, une temporalité qui semble cosmique. Ce que j'aime avant tout avec Malfatti, c'est cette impression d'entendre la musique des sphères, d'écouter l'accord formé par le mouvement cosmique des planètes. Et bien sûr, c'est aussi l'intensité et la présence qu'il sait donner au silence, ce silence présent entre chaque vague, ce silence qui semble poser toujours la même question sans jamais donner de réponse claire: qui du silence et du son fait naître son pair?

J'en viens maintenant à 2011(4), pièce de Manfred Werder, compositeur également très important de ce collectif. Avec ce dernier, on ne parle plus vraiment d'interprétation, mais plutôt d'actualisation, car il n'y a plus d'indication musicale, ni temporelle, ni instrumentale, les compositions de Werder se réduisent dorénavant de plus en plus à quelques vers (de Ponge quelque fois par exemple), ou à des "phrases trouvées"  - et ici l'actualisation est de Anett Németh. Je n'ai jusqu'ici entendu qu'un seul disque de cette musicienne, un hommage à Cage qui m'avait énormément plu, et c'est donc avec plaisir que je la retrouve dans ce coffret. Pour 2011(4), Németh a donc choisi de présenter une actualisation principalement fondée sur un enregistrement pris le long d'une route de campagne - où ne passeront que deux véhicules durant les dix minutes, un jour plutôt venteux en compagnie d'une corneille qu'on entend quelque fois. Parfois une fréquence proche du thérémine surgit, ou une sinusoïde grave qui rappelle le trombone de Malfatti, ou quelques objets métalliques entrechoqués de manière lointaine. Tout se fait en douceur, en délicatesse et en poésie. Németh nous plonge dans un paysage désertique mais évocateur, onirique et intense. Une pièce simple, contemplative, où bruits, sons et notes glissent les uns sur les autres dans un équilibre idéal. Merveilleux.

Quant à natural at last, je ne vais pas m'attarder dessus. Il s'agit d'une pièce interprétée par deux ensembles différents (les trois pièces de Sfirri présentes sur le coffret sont à chaque fois jouées par des ensembles différents). Cette approche permet de mettre en avant les potentialités produites par l'écriture, les différentes possibilités qu'offrent une écriture accordant beaucoup de place à l'improvisation et à l'aléatoire. Du coup on se retrouve ici avec une pièce calme et lente de presque 8 minutes, très axée sur le bruit, les techniques étendues et les sons parasitaires, interprétée par Neil Davidson (guitare & objets) Rhodri Davies (harpe), Jane Dickson (piano), Patrick Farmer (objets) et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga. La seconde version reprend le même orchestre que Lieux de Passage et réalise cette partition de manière beaucoup plus instrumentale, en jouant beaucoup plus sur les notes et leur superposition, ainsi que sur la neutralité du son.

Pour finir, various distinct spatial or temporal locations de James Saunders, interprétée ici par le producteur à qui l'on doit ce coffret hallucinant. Une pièce plutôt anecdotique où l'on peut entendre Simon Reynell déplacer une tasse à café en carton sur une table durant deux minutes...

Wandelweiser und so weiter: Crosscurents (another timbre, 2012)

Sur ce deuxième disque du coffret consacré au collectif Wandelweiser, on retrouve cinq pièces plutôt différentes et toutes excellentes. C'est à Sam Sfirri d'ouvrir la marche avec une courte pièce de cinq minutes interprétée par le NMC Chamber Ensemble et intitulée the undulating land. Une pièce pour guitares électrique et acoustique, flûte, clarinette, percussions et mélodica (avec Jason Brogan, Bill Carson, Jared Sinclair, Kim Larson, Ron Wiltrout et Sam Sfirri lui-même). A partir d'un matériau très réduit, les six interprètes choisissent une seule note chacun qu'ils assemblent selon les possibilités offertes par cette formation. L'infini s'ouvre à partir d'une note, les possibilités semblent vertigineuses et la pièce semble être en constant mouvement malgré la répétition invariable (de note, mais aussi d'attaque, de durée et d'intensité).

C'est idiot de le dire, mais Wandelweiser n'existerait certainement pas s'il n'y avait pas eu John Cage auparavant. C'est pourquoi il paraît normal qu'on trouve au moins une pièce de lui sur cette compilation, et il s'agit ici d'une de ses dernières compositions: Three2. Une oeuvre pour trois musiciens donc, écrites pour des percussions indéterminées et interprétée ici par Simon Allen, Chris Burn et Lee Patterson. Dix minutes de peaux frottées, de bols percutés, de textures cosmiques, oniriques et poétiques. Les nappes sont étirées, le temps dilaté, un tout autre univers surgit, et il est magnifique. Un enregistrement superbe d'une interprétation très sensible et inventive.

Le coffret s'étend donc d'un côté aux influences, mais aussi aux nouvelles perspectives que l'on doit à Wandelweiser. Car s'il s'agit bien d'un collectif de compositeur, la pratique de l'improvisation s'est trouvée reconsidérée et influencée pour de nombreux musiciens. Ici, c'est le trio Pierre Borel, Johnny Chang, Derek Shirley qui nous propose ce qu'il me semble être une improvisation intitulée Etchings. Respectivement au saxophone alto, au violon alto et à la contrebasse, ces trois musiciens nous proposent une longue pièce de vingt minutes, acoustique et sans fioritures, tout en longueur et en suspension. Une musique minimaliste, où l'étirement des notes virent à l'abstraction, où l'interaction se fait dans la confrontation sensible des matières. Et c'est ici qu'on voit la portée de Wandelweiser qui propose une porte de sortie au culte de la spontanéité et de la réactivité.

La quatrième pièce de ce disque est une  pièce de Phil Durrant datant de 1997 et intitulée Sowari for Ensemble. Interprétée par le compositeur lui-même à l'électronique, Lee Patterson encore aux objets amplifiés, et Philip Thomas au piano qu'on peine souvent à distinguer des matériaux électriques et électroniques, Sowari joue aussi sur la matière et les textures, sur des sonorités abstraites et abrasives, également longues et étirées. 12 minutes singulières mais pas forcément frappantes, plutôt réussies mais également assez convenues. (Tout le problème des compilations est là en même temps, il suffit d'un chef d’œuvre de 30 minutes, et tout le reste - s'il est juste bien ou pas trop mal - tend à être oublié par le monument...).

Et pour conclure en beauté cet excellent deuxième disque, une superbe pièce de Michael Pisaro composée en 2010, intitulée fields have ears (3b), et interprétée par une pléiade de virtuoses: Angharad Davies au violon, Patrick Farmer et Daniel Jones à l'électronique, Sarah Hughes au piano, et Dominic Lash à la contrebasse. Il s'agit d'une pièce en deux parties où la première est composée de textures qui se superposent sans s'assembler. Beaucoup de tensions entre l'électronique et les instruments, entre les cordes vides de la contrebasse ultra-grave et les sons suraigus du violon, entre les durées très courtes du piano et les longues notes tenues par beaucoup des musiciens. Ce sont d'ailleurs les notes courtes, ponctuations sensibles, délicates et épiphaniques du piano qui ont tendance à résoudre les tensions - aux côtés des quelques silences et des longues résonances qui parsèment ces matières brutes. Et pour finir cette œuvre, tout devient encore plus minimaliste et répétitif, mais la tension disparaît dans un accord magique entre l'ensemble des interprètes. Magnifique.

Wandelweiser und so weiter: Drifts (another timbre, 2012)

Sur ce troisième disque, et pas des plus faciles d'accès, trois pièces assez proches basées sur la répétition. Musiques répétitives qui n'étirent plus le temps, mais l'annihilent. Répétitions extrêmes et radicales, obsessionnelles et possiblement anxiogènes. Vous voulez un exemple? 2 ausführende (seiten 357-360) de Manfred Werder, interprété par Tim Parkinson et James Saunders avec des tuyaux d'orgue. Plus précisément, avec deux tuyaux d'orgue, séparés par un demi-ton chacun... Un accord minimaliste et arpégé d'une seconde mineure répété durant une demi-heure. Deux notes, deux demi-tons, d'une durée à peu près égale mais jamais identique, et séparées par des intervalles de silence irréguliers. Une pièce extrême, aérienne et tout en apesanteur, où l'attente d'un changement ne sera jamais comblée. Une œuvre où le temps devient durée éternelle, devient aboli et réduit à une pure durée sans référent. Voilà pour la conclusion de ce disque. Passons à l'ouverture maintenant, également interprétée par le duo Parkinson/Saunders: 't' aus 'etwas (lied)' composé en 1995 par Antoine Beuger. Il s'agit là d'une pièce de dix minutes consacrée uniquement à la consonne "t" (et au silence, toujours). Parkinson et Saunders émettent un "tétaiement " interrompu par de courts silences et tentent de donner un sens à cette lettre autonomisée. Beuger semble ici vouloir réduire la chanson (lied) à son fondement, une lettre seule dépourvue de mélodie, de structure, de tonalité et de rythme. Épreuve échouée à mon goût pour cette pièce qui s'écoute difficilement et peut même devenir irritante. La dernière pièce consacrée en grande partie à la réduction du matériel tonal et à la répétition est Vier, 1-12 du violoncelliste Stefan Thut. Cette œuvre, ma préférée de ce disque, est interprétée par le quatuor Angharad Davies (violon), Julia Eckhardt (alto), Stefan Thut lui-même et Dominic Lash (contrebasse). Moins systématique et formelle que les deux pièces précédentes, celle-ci propose des notes répétées et assemblées selon différentes combinaisons possibles (seules, à deux, trois ou quatre) durant un peu plus de vingt minutes. Il y a un aspect répétitif, le matériau sonore est réduit au minimum, mais la pièce est en constant mouvement, il y a une tension palpable à l'intérieur de cet espace sonore onirique où on ne sait jamais ce qui surviendra. C'est très répétitif et minimaliste sans jamais être redondant en somme, chaque intervention est une surprise et paraît épiphanique. Une œuvre interprétée en plus avec une précision, une attention, et une sensibilité grandioses (je crois bien en même temps que la violoniste Angharad Davies fait partie de mes interprètes favorites de ce coffret avec son archet minimaliste qui écorche les cordes de manière non-expressive).

On trouvera également deux autres pièces sur ce disque qui semblent nous aérer des espaces répétitifs et silencieux des trois œuvres précédemment citées. Il s'agit tout d'abord d'une pièce de Jason Brogan (dont je n'avais encore jamais rien entendu me semble-t-il) intitulée sobrement Ensemble et interprétée par crys cole, James Drouin, Lance Austin Olsen et Mathieu Ruhlmann, quatre musiciens crédités à l'électronique. Un bruit blanc entremêlé de sinusoïdes et de parasites discrets, une sorte de nappe assez proche des fréquences radios connues de tous. C'est plutôt statique mais tout de même entrecoupé de micro-évènements. Je ne sais pas trop où ils veulent en venir, ni où ils vont ni d'où ils sont parti. En tout cas, la pièce repose un peu rapport au reste du disque et elle est plutôt agréable mais si elle manque de profondeur. Et enfin, une autre pièce de James Saunders intutlée with the same material or still, to vary the material. On retrouve ici de nombreux interprètes habitués de ces œuvres, à savoir: Neil Davidson, Rhodri Davies, Jane Dickson, Patrick Farmer et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga, tous crédités cette fois aux objets frottés. Il s'agit là aussi d'une longue nappe, moins statique, et composée uniquement d'objets frottés par un archet. Métal, plastique, papier, bois, peaux, toutes sortes de matériaux sont mis en résonances pour former un tout assez unifié et en mouvement constant. James Saunders continue d'explorer le son dans toute sa profondeur et de manière radicale avec cette pièce purement sonore, concentrée sur une matière abstraite et des textures abrasives, froides et étrangement expressives.

[à suivre]

Wandelweiser und so weiter: Eddies (another timbre, 2012)

Wandelweiser und so weiter: quatrième partie. On est déjà à quasiment cinq heures de musique, et ça commence à faire long, heureusement qu'il y a de nombreuses pièces exceptionnelles pour donner envie de continuer.

A commencer par cette première apparition de Jürg Frey en tant que compositeur: Time Intent Memory. Pièce composée en 2012 et interprétée ici par Angharad Davies (violon), Jürg Frey (clarinette), Sarah Hughes (cithare), Kostis Kilymis (électronique), Dominic Lash (contrebasse) et Radu Malfatti (trombone). Mais aussi la plus importante - en durée (26 minutes) et en beauté - de ce disque. Time Intent Memory est composée de vagues de notes qui émergent et plongent dans le silence, un silence souvent perturbé  par des parasites électroniques. Tout semble harmonieux malgré l'absence de système tonal, les sons s'accordent entre eux de par leur dynamique et leur timbre, en-dehors de toute hiérarchie. Un harmonie qui passe aussi par la répétition et donc par la mémoire. Une musique qui nous parle des textures, du timbre, de l'espace et de la durée. Une musique magnifique où la temporalité est au service du son, à mois que ce ne soit l'inverse, il y a en tout cas une intimité profonde entre les couleurs et la durée. Les notes sont à peu près neutres, même si des écarts expressifs apparaissent parfois, y compris chez Malfatti dont le trombone n'est pas toujours aussi mécanique que d'habitude. Splendide.

Dans les pièces plus courtes, on trouvera sur ce disque Many, 1-4 de Stefan Thut interprétée par le Set Ensemble (Angharad Davies, Bruno Guastalla, Sarah Hughes, Daniel Jones, Dominic Lash, Tim Parkinson, David Stent et Paul Whitty). Une pièce où se succèdent des sons abstraits, des silences, des écarts brusques d'intensité, des notes simples et des bruits. Minimal, austère et riche, c'est une pièce plutôt équilibrée qui joue sur les oppositions. Également, deux réalisations de for the choice of directions de Sam Sfirri. La première est interprétée par Sfirri lui-même au mélodica accompagné de Jason Brogan aux ondes radio. Des ondes statiques qui forment un drone sur lequel se greffe de longues notes sporadiques au mélodica. Les ondes sont interrompues au deux-tiers de la pièce par l'environnement et la musique se fait beaucoup plus calme, aérée et espacée. Une très belle réalisation intime, minimale, et sensible. La deuxième réalisation est plus courte (cinq minutes contre dix) et est due à un ensemble instrumental composé de Neil Davidson (guitare et objets), Rhodri Davies (harpe), Jane Dickson (piano), Patrick Farmer (diapason) et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga (cithare). Une interprétation beaucoup plus axée sur les instruments et leur interaction donc, où se confrontent longues notes frottées (cithare et guitare) et courtes notes pincées ou frappées (piano et harpe), un peu à la manière par laquelle se confrontaient les longues ondes radios de Brogan et les notes de mélodica de Sfirri sur la première réalisation.

On retrouve cette même formation pour une improvisation d'un quart d'heure sobrement intitulée #08.01.12. Seuls deux instruments sont modifiés, Rhodri Davies emploie ici une harpe électrique tandis que Patrick Farmer troque son diapason contre des objets et "lecteurs CD ouverts". Une session qui nous montre encore une fois de quelle manière les pratiques du collectif Wandelweiser, même si elles sont associées à la musique écrite, ont pu interférer sur la musique improvisée, qui a elle-même joué une grande part dans les méthodes de compositions des membres de Wandelweiser. Il s'agit donc ici d'une improvisation toujours basée sur de longues notes (ou de longs bruits plutôt), sur des répétitions et sur l'étirement du temps. Une écoute sensible et attentionnée pour une pièce abstraite et riche, faite de bruits divers qui s'accordent envers et contre tout. De son côté, Taylan Susam propose avec for maiike schoorel (dédié à la peintre minimaliste hollandaise) une courte pièce qui ressemble dans l'esprit à du Webern ou du Schoenberg réinterprétée par Wandelweiser, une sorte de klangfarbenmelodie, mais entrecoupée de longs silences. Une pièce interprétée par le edges ensemble et dirigée par le pianiste Philip Thomas.

Pour finir, on trouvera également sur ce disque une pièce d'une dizaine de minutes composée en 2010 par le contrebassiste et improvisateur Dominic Lash, intitulée for five, et interprétée par le Set Ensemble encore, avec Angharad Davies au violon, Bruno Guastalla au bandonéon, Dominic Lash à la guitare acoustique sur table, Tim Parkinson au mélodica et David Stent à la guitare. Suite d'instruments frottés, raclés, préparés ou de notes neutres et abstraites qui deviennent purement sonores, le tout toujours entrecoupé de silences. Différentes combinaisons sonores et instrumentales sont abordées, il est difficile de prévoir ce qui va suivre malgré la réduction des matériaux, et le tout manque peut-être un peu d'homogénéité ou de linéarité. Cette pièce est tout de même réalisée avec précision, sensibilité et créativité. L'univers et les matériaux sonores sont plutôt orignaux et singuliers, un contenu singulier pour une forme courante à l'intérieur du collectif.

Wandelweiser und so weiter: Undertows (another timbre, 2012)

Lentement mais sûrement, on arrive à la fin de ce coffret épique. Et pour ce cinquième disque, la sélection proposée a un je ne sais quoi de romantique, notamment les deux pièces qui ouvrent et ferment ce volume. Descending Series (1), composé en 2009 par Michael Pisaro et interprété ici par Philiip Thomas (piano et sinusoïdes) est effectivement une pièce longue et mélancolique, une longue descente triste et nostalgique. Demi-tons par demi-tons, une petite cellule d'accords tendus et entrecoupés de courts silences est transposée durant presque trente minutes. Tranquillement, calmement, la tonalité s'enlise. Toujours, la temporalité s'étire. Et ces accords sont superbement accompagnés d'ondes sinusoïdales en réponse harmonique directe au piano. Des ondes qui forment une résonance ou un double fantomatique aux accords. Descending Series (1) est certainement un des sommets de ce coffret, une pièce simple, tout en langueur, d'une beauté banale et singulière, quotidienne et fantastique.

L'autre compositeur capable de présenter une pièce aux accents romantiques est bien évidemment Jürg Frey, également connu pour l'aspect plus lyrique et mélodique de certaines de ses compositions. Avec Circular Music No.2, interprétée par Angharad Davies (violon), Phil Durrant (électronique), Jürg Frey (clarinette), Anton Lukoszevieze (violoncelle), Radu Malfatti (trombone), Lee Patterson (objets amplifiés) et Philip Thomas (piano), le compositeur présente ici une pièce d'un quart d'heure où clarinette, violon, violoncelle et piano jouent une lente mélodie calme, lente et triste, fondée sur deux notes chacun qui sont jouées selon les modes de jeux traditionnels offerts par l'instrument. Notes longues, courtes, attaqués par en-dessous ou brusquement, frottées, pincées, percutées, et soufflées, se confrontent et sont accompagnées par un trombone qui n'est plus qu'un souffle unificateur, ainsi que par des nappes discrètes de bruits dus à Durrant et Patterson. Très belle pièce. La seconde composition de Jürg Frey sur ce disque est une longue pièce intitulée Un champ de tendresse parsemé d'adieux (4) (oui, on pourrait croire au titre toujours poétique d’œuvre d'Antoine Beuger, mais non...) et est interprétée par l'edges ensemble, toujours dirigé par le pianiste Philip Thomas. Durant presque vingt minutes, des objets métalliques sont jetés régulièrement sur une surface dure, à travers une pièce qui semble peut résonner. Il n'y a pas beaucoup de relief, hormis un souffle omniprésent et sombre, plus rassurant qu'inquiétant, un souffle quelque peu familier et poétique, proche d'un vent hivernal automatisé. Une pièce étrange, où l'on sombre dans un univers en déphasage avec le réel, et qui répond plutôt bien à la pièce qui la précède.

Autre grand moment de ce disque, l'interprétation par Anett Németh (enregistrements, instruments, objets) de 2008(6) de Manfred Werder. Comme souvent chez cette interprète, les sources sonores s'entremêlent pour former un univers unifié et poétique. Un univers constitué ici de longues notes sourdes et graves ou médiums, d'enregistrements d'une sorte de source d'eau avec ce qui ressemble à une sorte de petit moulin artificiel. Tout se mélange indistinctement en une texture sonore cohérente, onirique et unique, on regrettera seulement que ça ne dure pas plus de cinq minutes... Enfin, une pièce du compositeur plutôt méconnu Taylan Susam intitulée for sesshū tōyō, interprétée par les habituels Angharad Davies (violon), Phil Durrant (électronique), Joseph Kudirka (contrebasse), Anton Lukoszevieze (violoncelle), Lee Patterson (objets amplifiés) et Philip Thomas. Il s'agit ici de longues notes jouées par peu d'instruments simultanés et entrecoupées de silences. Des notes jouées pour leur timbre et leur texture principalement. Une pièce minimaliste, axée sur des textures simples mais recherchées, où son et silence sont sur le devant de la scène.

Wandelweiser und so weiter: Upwellings (another timbre, 2012)

J'en arrive enfin au dernier disque de ce coffret épique. Après sept heures de musique, deux mois d'écoutes, j'avoue que je commence à fatiguer... Pour ce volume, il n'y a qu'une seule pièce conséquente dans la durée et huit autres plutôt courtes (entre une et dix minutes). La plus importante est donc la dernière œuvre qui clôture ce coffret: von da nach da écrit en 2005 par une des plus importantes compositrices qui gravitent autour de Wandelweiser, Eva-Maria Houben que l'on écoute pour la première fois sur cette compilation. La pièce est interprétée par trois musiciens récurrents sur ces disques: Angharad Davies au violon, Phil Durrant à l'électronique, et Lee Patterson aux objets et mécanismes. Un long morceau de vingt minutes où se superposent trois strates de sons continus. Pas vraiment de silences, ni de répétitions, il s'agit d'une pièce certainement beaucoup influencée par le mouvement réductionniste où l'attention est principalement accordée aux couleurs et aux textures. Une pièce sur le son lui-même et le dialogue entre les différentes sources sonores: acoustiques et artisanales, instrumentales, et électroniques.

On trouve également sur ce disque trois "réalisations" de la pièce little by little composée par Sam Sfirri. La première est interprétée par un ensemble de musiciens qui n'utilisent que de l'électronique avec Stephen Cornford, Robert Curgenven, Ferran Fages, Patrick Farmer, Alfredo Costa Monteiro et Lee Patterson. Il semblerait que les musiciens -au moins au début- jouent chacun leur tour durant cette "réalisation", chacun semble envoyer une texture et chacune de ces nappes de son est entrecoupée par un silence. Les couleurs se ressemblent et différent, elles semblent se répondre à travers les silences et elles deviennent de plus en plus consistantes au fur et à mesure de la pièce, mais aussi de plus en plus similaires. Le deuxième version par le Set Ensemble (Angharad Davies, Bruno Guastalla, Sarah Hughes, Daniel Jones, Dominic Lash, Tim Parkinson et David Stent) propose une version instrumentale et acoustique (excepté Daniel Jones) qui joue beaucou plus sur la répétition de notes et les silences. On y retrouve le même espacement des timbres et la même solitude de chaque évènement sonore. Une version moins inventive, mais aussi plus poétique et sensible. Quant à la troisième version, elle est réalisée de manière très calme et minimaliste par Angharad Davies, Phil Durrant, Jürg Frey, Anton Lukoszevieze, Radu Malfatti, Lee Patterson et Philip Thomas à leurs instruments et outils habituels. Une version plus électroacoustique et plus faible que les autres, qui nous démontre encore une fois l'énorme part d’indétermination dans l'interprétation de beaucoup des compositions "ouvertes" propres à Wandelweiser. De plus, ce disque propose une troisième réalisation de natural at last par le même Sam Sfirri et avec la même formation (Neil Davidson, Rhodri Davies, Jane Dickson, Patrick Farmer, et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga) que la première version présente sur le premier disque du coffret.

Ce disque est aussi l'occasion d'entendre deux grandes influences pour tous les membres de Wandelweiser: John Cage bien sûr et le compositeur britannique John White. De ce dernier, l'edges ensemble dirigé par Philip Thomas toujours nous présente une excellente version de Drinking and Hooting Machine, pièce composée en 1970. Dans cette œuvre, chaque interprète souffle dans une bouteille de sa boisson préférée. La pièce évolue lentement, doucement, le son se déplace par répétition et par micro-évolution. L'univers sonore produit ici a quelque chose d'inouï et de franchement onirique, une des plus belles réalisations de ce disque. Quant à John Cage, Philip Thomas ne nous joue qu'une interprétation du très court Prelude for Meditation composé en 1944 (qui ne se base donc pas encore sur les processus aléatoires et sur les principes d'indétermination). Un prélude de seulement 1 minute 13, pour piano préparé. On peut y remarquer l'importance du silence, du timbre, mais également de la répétition et de la réduction du matériau sonore (la partition ne comporte que quatre notes). Éléments fondamentaux dans les processus de composition propres à Wandelweiser.

Pour la première fois aussi, j'entends une composition d'Angharad Davies, nommée Cofnod Pen Bore / Morning Records et interprétée par Neil Davidson (guitare et objets), Rhodri Davies (harpe électrique), Jane Dickson (piano), Patrick Farmer (objets amplifiés, lecteurs CD ouverts), et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga. Une pièce qui joue beaucoup sur les timbres et la confrontation des couleurs (notes/bruits, son/silence, abstrait/concret, sons continus/notes brèves) mais aussi sur les reliefs et les variations d'intensité, à travers les attaques, les modes de jeux et bien évidemment le volume. Et enfin, une œuvre de l'excellente compositrice trop méconnue et peu publiée: eine unbedeutende aussage composé par Anett Németh en 2012) - musicienne qu'on a déjà entendu actualiser une partition de Manfred Werder sur le premier disque. Une pièce difficile à jauger puisqu'il s'agit d'un remix du Set Ensemble, les instruments sont modifiés et tendent encore plus vers l'abstraction, le son devient soit un bourdonnement soit métallique. Pas mal de relief également, du silence au forte. D'autres enregistrements concrets sont ajoutés, et comme à son habitude, Anett Németh parvient à merveille à confondre et mélanger les sources (réelles, synthétiques, instrumentales) pour produire une ambiance et un univers sonores singuliers, poétiques et déroutants - on regrettera seulement que ce ne soit pas plus développé et plus long...

FERRAN FAGES [duo]

Cremaster - Igneo (Cathnor, 2010)

Quand ce disque du duo Cremaster est paru, cela faisait déjà pratiquement dix ans que Ferran Fages (table de mixage, micro-contacts, radios, objets électromagnétiques) et Alfredo Costa Monteiro (objets sur guitare électrique) avaient monté ce projet. Un projet plus connu pour ses tendances à l'abstraction sonore et au bruitisme primitif. Mais avec Igneo, Cremaster semble changer la donne par rapport aux disques suivants et précédents. Il s'agit ici d'une musique linéaire et narrative. Il y a comme une sorte de bourdon à la guitare, des cordes longuement activées par des objets métalliques, des larsens légers et constants, des interférences radios, qui forment une nappe continue et ininterrompue. Une nappe envoutante, réactivée de manière régulière et obstinée, qui parvient à nous plonger dans un univers sombre, terrifiant, et en même temps très attractif. De manière aussi régulière mais plus espacée, de brusques assauts bruitistes et harsh fracturent constamment la ligne omniprésente. Des assauts qui surprennent, réveillent, des assauts qui font mal, qui renforcent encore la sensation malsaine qui accompagne cet univers sonore. Une musique plus concrète que d'habitude et très bien construite, construite dans une structure qui permet l’opposition entre les fractures et la linéarité, entre les bourdons et la noise. Des plaines sombres surgissent des difformités inattendues et somptueuses. Tchernobyl, l'hiver, des êtres à l'anatomie surréaliste apparaissent et disparaissent pour notre plus grand malaise, un malaise dans lequel on se complait. Des êtres sonores qui vrillent les tympans et désorientent l'oreille interne. Recommandé.

ap'strophe - objets sense objectes (Etude, 2009)

Pour finir cette série consacrée à Ferran Fages, quelques mots sur le duo ap'strophe. Un duo acoustique composé de FF à la guitare acoustique et de Dimitra Lazaridou-Chatzigoga à la cithare. Comme en solo, Ferran Fages utilise ici sa guitare de manière plutôt dissonante en accordant une grande place au silence et aux résonances. Les textures sont souvent métalliques et les deux musiciens usent pour cet effet de beaucoup de préparations et de techniques étendues. Objets entre les cordes, sur les cordes, qui frottent, qui vibrent, qui grattent. Un duo qui se concentre sur l'interaction et le dialogue, où les couleurs se confondent en une masse sonore disparate et unifiée en même temps, ap'strophe s'intéresse également beaucoup aux textures, à la matière et aux couleurs. Une grande attention est portée au son en tant que tel, à la création d'un univers sonore abstrait assez singulier, où le silence et les résonances contribuent largement à la singularité des ambiances. Une musique plutôt abstraite, calme, détendue et quelque peu monotone, mais asez créative et originale.

[informations, chroniques & extrait: http://www.etuderecords.com/objects_sense_objectes.php]

FERRAN FAGES [solo]

Ferran Fages - Cançons per a un lent retard (Etude, 2007)

De la guitare, on a largement l'habitude d'en entendre, dans les musiques improvisées aussi. De la guitare sèche, c'est déjà plus rare. OK, cet album est sorti il y a déjà plusieurs années, certains l'ont certainement déjà pas mal écouté, mais je tiens quand même à écrire dessus car Ferran Fages nous propose tout de même ici un solo de guitare acoustique de plus d'une heure (ainsi qu'un duo avec Dimitra Lazaridou-Chatzigoga), un solo frais, inventif, et beau.

Une guitare singulière, lente, calme et poétique. Mais aussi dissonante la plupart du temps, et dure, métallique. Deux grands noms de la guitare (un anglais et un japonais) viennent facilement à l'esprit mais je ne veux pas en parler, car Ferran Fages a surtout le don de proposer quelque chose d'unique avec Cançons per a un lent retard. Une musique vraiment personnelle, singulière et quelque peu intimiste. Ici, Ferran Fages ne triture pas des objets pour une exploration sonore abstraite et rugueuse mais nous propose plutôt une musique aux accents lyriques parfois, une musique faite de mélodies sombres et triturées. Des mélodies? pas tout à fait. Les lignes ne reviennent jamais mais s'évanouissent dans des résonances et des silences omniprésents et profonds. Il y a peu de techniques étendues utilisées ici, la guitare est la plupart du temps frottée de manière traditionnelle - hormis sur le long duo avec Dimitra Lazaridou-Chatzigoga qui s'évertue à étouffer le timbre de la guitare durant une étrange pièce de vingt minutes - mais ceci n'empêche pas Ferran Fages d'accorder une grande attention aux couleurs et aux textures utilisées. Chaque note est choisie avec précision et sensibilité, chaque attaque est pleinement planifiée et chaque résonance est révérée avec respect. Des couleurs expressives qui sont constamment au service de la sensibilité, des couleurs qui parlent, qui respirent, qui vibrent, qui forment un espace sonore et émotionnel particulier et envoutant. Une ambiance un peu sombre, teintée de mélancolie, mais surtout poétique et onirique. Très beau disque.

[informations, chroniques & extrait: http://www.etuderecords.com/cancons.php]

Ferran Fages - Life Best Under Your Seat (Copy for your records, 2012)

Même si j'ai beaucoup d'admiration pour les différents travaux de Ferran Fages et une grande confiance en Richard Kamerman et son label Copy for your records, je dois dire que j'ai beaucoup de mal à accrocher avec ce disque. Est-ce que j'ai mal suivi les consignes d'écoute de FF (je reviendrai dessus)? pas pris le temps nécessaire? Je ne sais pas trop, mais, bon gré mal gré, LBUYS a plutôt du mal à passer même si j'en attendais beaucoup...

Durant ces 35 bonnes minutes, FF utilise un ordinateur pour produire des ondes sinusoïdales ainsi que des micros contact et de l'électronique pour des fréquences plus complexes et des textures plus abrasives et glitch. Ces deux formes de timbres différents sont largement entrecoupées de silences omniprésents, et ne sont que très peu développées. Il s'agit d'évènements sonores qui apparaissent et disparaissent sans autre forme de procès. On a du coup parfois beaucoup de mal à percevoir la cohérence et la mise en scène de ces sons qui ne se répondent pas et n'entretiennent aucune relation les uns avec les autres. Même le silence paraît quelque peu artificiel et ne donne pas forcément plus de consistance aux évènements sonores.

Quant aux consignes qui aideraient à apprécier cette musique, FF recommande pour écouter LBUYS de placer ses enceintes face à un mur, de les déplacer à chaque écoute, et de changer également de position pour mieux percevoir les différents types de réverbération possibles qui modifieraient la musique présente. Je ne sais pas, j'ai quand même l'impression que ce type de dispositif a quelque chose de formel et creux, et qu'il n'apporte pas forcément plus de présence et de consistance à chaque évènement sonore.

J'aurais beaucoup aimé apprécié ce disque, mais pour la première fois (vis à vis de FF aussi bien que de CFYR), je suis juste déçu.

[informations, chroniques + un (long) extrait: http://cfyre.co/rds/pgs/cfyr014.html]


Ferran Fages - Llum Moll (Entr'acte, 2012)

Llum Moll est une composition de Ferran Fages basée sur les interférences de lampes LED sur des ondes radio. Le musicien espagnol a tout d'abord enregistré une multitude de combinaisons, une foule de timbres et de notes produits par ces interférences puis les a assemblé en une structure cohérente. Car s'il y a bien une chose qu'on ne peut pas reprocher à FF, c'est l'attention qu'il prête aux structures et aux formes musicales. Llum Moll commence de manière étonnamment mélodique. Une suite de notes produites par les interférences forment une mélodie lente et agréable, calme et poétique. C'est seulement après quelques minutes que le chant s'étire en de longues nappes claires et cristallines de bruits. L'unique contrainte que FF s'est imposé lors de cette composition est de ne jamais utiliser plus de huit pistes simultanées. D'où cet aspect cristallin, la réduction du nombre de fréquences utilisées pour une texture permet à chacune des fréquences d'être perçues et entendues clairement.

Quarante minutes de textures claires et limpides qui s'enchaînent et se glissent les unes sur les autres de manière naturelle, simple, précise et sensible. Les ondes radio prennent l'allure d'une sorte d'orgue lyrique, chaque onde est traitée comme une note de n'importe quel instrument traditionnel, et non comme du bruit. Avec toute sa sensibilité, FF nous propose ici une sorte d'anti-noise, du bruit traité de manière complètement instrumentale et même - attention je vais employer un gros mot - musicale (blasphème!). Une structure claire qui donne de la cohérence à chaque évènement, un traitement sensible du son et une approche instrumentale du bruit, FF brouille les pistes et les repères pour une musique toujours aussi singulière et créative, personnelle et inventive, sensible et poétique. Recommandé.

[informations, chronique & extrait: http://www.entracte.co.uk/project/ferran-fages-e135/]

FERRAN FAGES [Atolón]

Ferran Fages / Alfredo Costa Monteiro / Ruth Barberán - ISTMO (creative sources, 2005)

Ferran Fages (platine acoustique), Alfredo Costa Monteiro (accordéon) et Ruth Barberán (trompette) pour une deuxième publication enregistrée sur CD. Le trio espagnol joue sur de longues abstraites où se côtoient les parasites de la platine, le diamant frottant des surfaces rugueuses et abrasives, de longues notes à la trompette et à l'accordéon, des souffles abstraits, des sons filtrés et modifiés de manière acoustique. Mises à part les longues notes instrumentales qui surgissent de temps à autre, on ne sait jamais trop qui fait quoi, les sons s'entremêlent pour former des textures où l'individualité se perd sans tomber dans l’homogénéité ni dans un jeu d'imitation. Il y a d'un côté les limites propres aux instruments et aux objets qui génèrent sans doute cette absence d'imitation, mais certainement aussi une volonté de toujours se démarquer tout en s'inscrivant dans un tout cohérent et cohésif. L'écoute entre chacun des trois musiciens est donc sensible et profonde bien entendu. Et les différentes ambiances savent être toujours surprenantes. Des ambiances basées sur de la matière sonore improbable toujours, de la matière abstraite mais extrêmement vivante, pleine de relief et d'énergie. Car si ces deux improvisations sont assez linéaires et étirées, il n'en reste pas moins que le trio parvient à constamment évoluer vers des climats différents et à rompre chaque univers au bon moment. Un trio remarquable.

Ferran Fages / Alfredo Costa Monteiro / Ruth Barberán - Atolón (Rossbin, 2004)

Atolón, paru en 2004 sur le label Rossbin, donnera son nom à cet excellent trio qui signe ici son premier enregistrement. Et pour un premier, c'est une putain de réussite. La même formule platine/accordéon/trompette (plus quelques objets/outils) pour une musique qui explore les abysses du son et les tréfonds du timbre. Le trio propose ici quatre pièces assez courtes qui varient pas mal sur l'intensité notamment, mais aussi sur les couleurs et la matière. Quatre univers où les techniques étendues et les manipulations d'objets et de platine nous plongent dans une véritable confusion quant aux sources sonores. S'agit-il vraiment d'instrument? est-ce acoustique? électronique? électroacoustique? Peu importe en fait. Le but de ce trio est avant tout de nous plonger dans le son pur, dans la matière sonore elle-même. La musique peut certes paraître quelque peu revêche et aride, abrasive souvent, abstraite également, mais uniquement dans son contenu. Car dans la forme, le trio prête une grande intension à varier et à laisser évoluer les dynamiques et les intensités, il y a tout un jeu de tension et de résolution omniprésent durant ces quatre pièces, et qui leur donne leur forme et leur structure. Ainsi, on peut aussi bien se retrouver à contempler une matière sonore à tendance réductionniste, abstraite, calme et méditative, ce qui n'empêche pas des irruptions bruitistes de violence à d'autres moments. Quatre pièces extrêmement créatives, riches, et intenses. Recommandé.

Atolón - concret (Intonema, 2012)

concret est le quatrième album du trio Atolón (le précédent - que je n'ai pas chroniqué ici - est paru sur le label Esquilo). On retrouve la même formation ainsi que les mêmes instruments (ACM à l'accordéon + objets, FF à la platine acoustique + objets, et la trompettiste Ruth Barberán). concret est constitué d'une seule pièce de 35 minutes et est, par rapport aux deux premiers disques du trio, plus calme et linéaire, plus statique et contemplative. On trouve également moins de reliefs au niveau de l'intensité hormis sur les dix dernières excellentes minutes.

Ceci-dit, c'est loin d'être négatif. Car ainsi, le son a le temps de se poser et de se dévoiler encore plus profondément. Les textures durent et évoluent de manière minimale. Comme lors de leurs précédents enregistrements, les trois musiciens espagnols jouent toujours sur la confusion entre les sources, et produisent une musique entièrement acoustique qui s'inspire fortement de la musique électronique ou électroacoustique expérimentale et improvisée. Une musique à tendance toujours réductionniste qui ressemble à de l'eai sans en être à proprement parler. Le genre de formation en somme qui démontre la profonde influence que l'électronique a pu avoir sur les techniques instrumentales et les nouvelles couleurs employées au sein de la musique improvisée. Le trio continue de jouer sur des registres extrêmes, graves ou aigus, et sur des textures de plus en plus homogènes qui gagnent ainsi en force et en puissance. Une musique qui paraît industrielle et parasitaire mais qui se révèle très vite sensible et poétique, intime, riche et inventive. Également recommandé.

[informations & extrait: http://www.intonema.org/2011/02/int004-atolon-concret.html]

[une fois n'est pas coutume, je transmets ici un appel à contribution pour le festival portugais de musique improvisée organisé par paulo chagas. je partage cet appel car le principe du festival est plutôt original et me paraît être une proposition adéquate à la musique improvisée...]

Improvisers time!
Open call for MIA 2013 - Portugal
The organization of the MIA - Improvised Music Meeting of Atouguia da Baleia is pleased to announce the call for works for the 2013 edition to be held next May (25 and 26).
The festival is open without restriction to all improvisers who want to propose, and yet their approval dependent on the logistical capacity of the event, appreciated the quality of the sample and the suitability of those submitted.
Proposals must be made via the online form below, until the 10th of March. Information about approved submissions will be made until April 3.
The participants will be integrated into groups created at the festival that may be random, small-format (duos, trios, quartets ...) and Ensembles.
It shall be made audio recordings and/or video of all the MIA concerts that will subsequently available to all participants. There will be an online edition with a compilation of various interventions. The inscription on the MIA 2013 requires the authorization of the reproduction of recorded material.
The auditorium has a PA system, compatible with the space, which will be available to musicians. These, however, should bring the instruments and equipment required for their performances.
Since this meeting is a nonprofit event, the participation of artists will not be awarded on fees, but the Organization will provide food.
http://mia-festival.blogspot.pt/2013/01/mia-2013-abertura-de-inscricoes.html

zVeep - pLucS (Petit Label, 2012)

J'avais déjà chroniqué un album du trio zVeep il y a quelques mois, un album que j'avais pas mal apprécié même (voir ici), notamment pour son énergie. Le trio revient un an plus tard donc avec les mêmes musiciens - dom Dubois Taine à l'électronique, vee Reduron à la guitare, tiri Carreras à la batteire - accompagné d'un invité de marque: le saxophoniste baryton Jean-Luc Petit.

Les mêmes musiciens qui utilisent la même recette: une improvisation libre et spontanée, énergique, foisonnante. Une musique de triturations, de bruits, mais aussi de riffs parfois, et même  de mélodies. Pour accéder aux scènes jazz et noise en même temps? On s'en fout. La musique de zVeep reste puissante, originale et unique. Ça ressemble beaucoup à de l'improvisation libre, aucun doute, mais il y a un quelque chose d'unique dans ce trio aussi, un quelque chose de peu commun. Et ce quelque chose, c'est une espèce d'esprit clownesque ou carnavalesque. Rien ne semble sérieux mais tout semble nécessaire. Cette musique devait sortir, et elle vient tout droit des organes. Cinq pièces dégobillées avec humour et fraîcheur. zVeep est un trio-quartet qui joue sur un plan organique d'un côté, mais non dénué d'humour et d'inventivité en second plan. De l'improvisation puissante, et la présence de Jean-Luc Petit ici ne fait que renforcer l'intensité orgiaque du trio originel. Feux d'artifice, danse effrénée, carnaval macabre et psychotique, musique libre et pure, "authentique", c'est un peu de tout ça zVeep. Un peu de tout ça mais c'est aussi une poignée de free jazz, une pincée de noise, et beaucoup de liberté. Autant d'esthétiques qui ne se trouvent pas forcément renouvelées ici, mais qui gagnent en fraîcheur.

C'est peut-être anecdotique, mais ça intéressera les fétichistes, le disque est livré dans une putain de pochette sérigraphiée, délirante et unique à l'image de leur musique. Encore une fois, du très bon boulot pour cette jeune formation française.

Chris Abrahams & Sabine Vogel - kopfüberwelle (absinth, 2012)

Près de Berlin (et à Potsdam), dans une église, Chris Abrahams (pianiste de The Necks) et la flûtiste Sabine Vogel se sont retrouvés pour enregistrer quelques pièces flûtes/orgue. Deux instruments qui sont souvent ensemble, mais rarement sous la forme d'un duo. Ici, nous avons tout le loisir d'entendre les possibilités interactives entre ces deux sources sonores exploitées par le duo Abrahams/Vogel.

De nombreux modes de jeux et des relations variées entre les instrumentistes sont explorées sur ces six pièces. Une distinction claire est parfois opérée entre les instruments: courtes notes attaquées violemment contre bourdons éternels, souffles légers contre accord massif, notes suraiguës de l'orgue proches du larsen contre bruits de clefs. Toutes les distinctions sont mises à jour (distinctions soufflets/bouche, ambitus moyen/large, monophonique/polyphonique, etc.) mais aussi les points de jonction et d'accord. L'air tout d'abord, qui active chacun des instruments, et propage les notes. Un air harmonieux où les instruments se confondent parfois, et évoluent ensemble dans un rapport délicat où le moindre mouvement fait vriller les fréquences. L'exploration est quelque peu méthodique et rigoureuse, elle se veut exhaustive, et cela nous réserve la chance d'avoir affaire à une grande variété d'univers sonores.

En parlant de ces univers, de l'impression qu'ils laissent, et en-dehors de toute considération technique, quelques mots. Car bien que ce duo soit virtuose, inventif et talentueux, c'est surtout l'imaginaire développé qui m'a marqué ici. Une sensation paradoxale de pièce poussiéreuse et de musique futuriste m'a souvent frappé en fait. Il y a un je ne sais quoi de rétro-futuriste. Comme découvrir un grenier plein de souvenirs, mais de souvenirs futurs (ce qui n'est pas sans rapport avec l'approche expérimentale d'instruments ancestraux bien évidemment).

Une musique puissante qui magnifie l'orgue, la flûte, et la relation entre ces deux instruments. Mais aussi une musique qui semble prêter une grande attention à l'espace sonore, et aux résonances architecturales. Sur ces six pièces, C. Abrahams & S. Vogel dévoilent une musique inattendue et des atmosphères surprenantes et créatives. Du très bon travail (et livré, comme d'habitude chez absinth records, dans une très belle pochette faite main au format 45 tours).

PEIRA

Ed Bear & Lea Bertucci - controlled burn (Peira, 2012)

Le "bear, bertucci duo" est composé d'Ed Bear au saxophone baryton, et de Lea Bertucci à la clarinette basse. Un duo acoustique qui s'inspire néanmoins fortement des musiques électroniques. Sur controlled burn, les deux soufflants dessinent et peignent des textures et de la matière. Une matière souvent abstraite composée parfois de mélodies lentes qui explorent les micro-intervalles, ou bien de techniques étendues, de vents amplifiés et modifiés par des pédales de distorsion et de saturation. Un album entre improvisation et composition qui explore méthodiquement un univers sonore plutôt frais et original, sensible et délicat. Les huit pistes sont calmes, contemplatives, et peignent à chaque fois un univers sonore et pictural profond, précis, riche et sensible. L'interaction entre les notes ou entre les instruments est souvent au cœur des pièces, des pièces assez denses où les musiciens s'aident parfois d'une table de mixage et d'un vibraphone. Un travail sur des matières poétiques à tendance onirique et aérienne, et des textures explorées de manière originale et délicate. Les deux musiciens jouent avec finesse et précision, tout en semblant très attentifs à l'auditeur, un auditeur qu'ils semblent quitter avec regret durant une dernière pièce lancinante et solennelle.

Mythic Birds - the name by which the world knows them (Peira, 2012)

Mythic Birds est une formation instrumentale originale composée de quatre musiciens américains: Keefe Jackson aux clarinettes basse et contrebasse, Jason Stein et Jeff Kimmel aux clarinettes basses aussi, et enfin, Brian Labycz (qui s'occupe du label Peira) au synthétiseur modulaire analogique. En six pièces assez proches les unes des autres, le quartet propose une musique improvisée libre et réactive, en constant mouvement, où paraît primer la constitution de textures denses grâce au trio de clarinette soutenu par le synthétiseur, mais aussi l'interaction entre les deux instruments. De manière virtuose, sans que personne ne se copie vraiment, il y a une fusion presque constante entre les musiciens, le son collectif est unifié et ce malgré une masse d'éléments disparates et le caractère souvent pointilliste et spontané des improvisations. Il y a également tout un jeu sur les variations d'intensité qui se fait principalement sur des changements de volumes et l'exploration de multiples combinaisons (solo, duo, trio, etc.). La musique de Mythic Birds, en somme, est plutôt énergique, virtuose, toujours originale et pleine de puissance. Une musique libre et sincère, honnête et créative - servie par quatre instrumentistes talentueux. Du bon travail, parfait pour les amateurs d'improvisation libre électroacoustique énergique.

Gregorio, Roebke, Labycz trio - without titles (Peira, 2012)

Deuxième disque pour ce trio composé du clarinettiste Guillermo Gregorio, du bassiste Jason Roebke et Brian Labycz au synthétiseur modulaire, without titles est une suite de dix improvisations plus réussies à mon goût que leur première tentative (colectivos - paru un an plus tôt sur le même label) qui m'avait laissé un sentiment mitigé.

L'approche est la même ici, il s'agit d'improvisation libre, spontanée, énergique et réactive - un mélange assez commun d'influences noise et free jazz. Les idées sont courtes, elles fusent, s'entrechoquent, débordent, et explosent. Cris de clarinette, textures surréalistes du synthétiseur, accompagnés par une basse qui semble à l'aise dans tout environnement et réagit toujours avec justesse à des propositions pas forcément évidentes. Un trio plein d'énergie, qui nous propose ici une musique souvent forte et puissante, réactive et intense. Une musique qui ressemble souvent à un feu d'artifices, qui navigue d'explosions en explosions, avec une grande aise. Le seul bémol, c'est quand justement le trio veut explorer des textures avec calme, ça repose peut-être, mais ça manque de profondeur - et on regrette ces moments puissants d'explosions viscérales. Tout ceci n'est pas très original, tout comme l'approche de Mythic Birds, mais l'amour de continuer cette musique (l'improvisation libre) et la joie de collaborer sont stimulants. Dès lors, on se plaît à écouter les trois gais lurons prendre leur pied à jouer une musique qu'ils aiment et respectent, sans en avoir forcément quelque chose à foutre de proposer quelque chose de neuf - l'important étant avant tout de prendre son pied.

Gregorio, Giallorenzo duo - multiverse (Peira, 2012)

La dernière référence de Peira est un autre duo de musiciens chicagoans: Guillermo Greogorio aux clarinettes basse et Si bémol, et Paul Giallorenzo aux piano et piano préparé. Très peu de compositions, hormis peut-être l'excellente dernière pièce dans un style très "jazz", le duo joue aussi sur la spontanéité et la réactivité. Tour à tour assez mélodique et énergique, avec de longues envolées à la clarinette, expérimental lorsque Giallorenzo exploite les dynamiques des attaques au piano, ou explorateur et contemplatif avec de multiples recherches sonores et texturales de la part des deux musiciens. Ce duo piano/clarinette s'attache souvent à travailler les résonances entre les instruments en se faisant quelque fois échos, tout en s'intéressant de manière plus générale à l'interaction entre les cordes et le souffle ainsi qu'entre les deux individus aux langages bien singularisés. Huit pièces virtuoses et variées, assez personnelles et plutôt denses. Ce n'est pas exactement le genre de musique que je souhaite écouter en ce moment, mais ça passe plutôt bien pour la sincérité des musiciens encore une fois, mais surtout pour leur talent instrumental et la diversité des approches.

[chacun de ces albums est en écoute gratuite ici: http://peira.bandcamp.com/
 vous pouvez aussi trouver les disques physiques et informations ici: http://www.peira.net/]