J'en arrive enfin au dernier disque de ce coffret épique. Après sept heures de musique, deux mois d'écoutes, j'avoue que je commence à fatiguer... Pour ce volume, il n'y a qu'une seule pièce conséquente dans la durée et huit autres plutôt courtes (entre une et dix minutes). La plus importante est donc la dernière œuvre qui clôture ce coffret: von da nach da écrit en 2005 par une des plus importantes compositrices qui gravitent autour de Wandelweiser, Eva-Maria Houben que l'on écoute pour la première fois sur cette compilation. La pièce est interprétée par trois musiciens récurrents sur ces disques: Angharad Davies au violon, Phil Durrant à l'électronique, et Lee Patterson aux objets et mécanismes. Un long morceau de vingt minutes où se superposent trois strates de sons continus. Pas vraiment de silences, ni de répétitions, il s'agit d'une pièce certainement beaucoup influencée par le mouvement réductionniste où l'attention est principalement accordée aux couleurs et aux textures. Une pièce sur le son lui-même et le dialogue entre les différentes sources sonores: acoustiques et artisanales, instrumentales, et électroniques.
On trouve également sur ce disque trois "réalisations" de la pièce little by little composée par Sam Sfirri. La première est interprétée par un ensemble de musiciens qui n'utilisent que de l'électronique avec Stephen Cornford, Robert Curgenven, Ferran Fages, Patrick Farmer, Alfredo Costa Monteiro et Lee Patterson. Il semblerait que les musiciens -au moins au début- jouent chacun leur tour durant cette "réalisation", chacun semble envoyer une texture et chacune de ces nappes de son est entrecoupée par un silence. Les couleurs se ressemblent et différent, elles semblent se répondre à travers les silences et elles deviennent de plus en plus consistantes au fur et à mesure de la pièce, mais aussi de plus en plus similaires. Le deuxième version par le Set Ensemble (Angharad Davies, Bruno Guastalla, Sarah Hughes, Daniel Jones, Dominic Lash, Tim Parkinson et David Stent) propose une version instrumentale et acoustique (excepté Daniel Jones) qui joue beaucou plus sur la répétition de notes et les silences. On y retrouve le même espacement des timbres et la même solitude de chaque évènement sonore. Une version moins inventive, mais aussi plus poétique et sensible. Quant à la troisième version, elle est réalisée de manière très calme et minimaliste par Angharad Davies, Phil Durrant, Jürg Frey, Anton Lukoszevieze, Radu Malfatti, Lee Patterson et Philip Thomas à leurs instruments et outils habituels. Une version plus électroacoustique et plus faible que les autres, qui nous démontre encore une fois l'énorme part d’indétermination dans l'interprétation de beaucoup des compositions "ouvertes" propres à Wandelweiser. De plus, ce disque propose une troisième réalisation de natural at last par le même Sam Sfirri et avec la même formation (Neil Davidson, Rhodri Davies, Jane Dickson, Patrick Farmer, et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga) que la première version présente sur le premier disque du coffret.
Ce disque est aussi l'occasion d'entendre deux grandes influences pour tous les membres de Wandelweiser: John Cage bien sûr et le compositeur britannique John White. De ce dernier, l'edges ensemble dirigé par Philip Thomas toujours nous présente une excellente version de Drinking and Hooting Machine, pièce composée en 1970. Dans cette œuvre, chaque interprète souffle dans une bouteille de sa boisson préférée. La pièce évolue lentement, doucement, le son se déplace par répétition et par micro-évolution. L'univers sonore produit ici a quelque chose d'inouï et de franchement onirique, une des plus belles réalisations de ce disque. Quant à John Cage, Philip Thomas ne nous joue qu'une interprétation du très court Prelude for Meditation composé en 1944 (qui ne se base donc pas encore sur les processus aléatoires et sur les principes d'indétermination). Un prélude de seulement 1 minute 13, pour piano préparé. On peut y remarquer l'importance du silence, du timbre, mais également de la répétition et de la réduction du matériau sonore (la partition ne comporte que quatre notes). Éléments fondamentaux dans les processus de composition propres à Wandelweiser.
Pour la première fois aussi, j'entends une composition d'Angharad Davies, nommée Cofnod Pen Bore / Morning Records et interprétée par Neil Davidson (guitare et objets), Rhodri Davies (harpe électrique), Jane Dickson (piano), Patrick Farmer (objets amplifiés, lecteurs CD ouverts), et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga. Une pièce qui joue beaucoup sur les timbres et la confrontation des couleurs (notes/bruits, son/silence, abstrait/concret, sons continus/notes brèves) mais aussi sur les reliefs et les variations d'intensité, à travers les attaques, les modes de jeux et bien évidemment le volume. Et enfin, une œuvre de l'excellente compositrice trop méconnue et peu publiée: eine unbedeutende aussage composé par Anett Németh en 2012) - musicienne qu'on a déjà entendu actualiser une partition de Manfred Werder sur le premier disque. Une pièce difficile à jauger puisqu'il s'agit d'un remix du Set Ensemble, les instruments sont modifiés et tendent encore plus vers l'abstraction, le son devient soit un bourdonnement soit métallique. Pas mal de relief également, du silence au forte. D'autres enregistrements concrets sont ajoutés, et comme à son habitude, Anett Németh parvient à merveille à confondre et mélanger les sources (réelles, synthétiques, instrumentales) pour produire une ambiance et un univers sonores singuliers, poétiques et déroutants - on regrettera seulement que ce ne soit pas plus développé et plus long...