Jason Kahn, Takahiro Yamamoto, Takaji Naka - Yugue

JASON KAHN/TAKAHIRO YAMAMOTO/TAKAJI NAKA -
Yugue (akuseku, 2014)
Après le duo avec Tim Olive, voici le deuxième disque qui documente les dernières tournées de Jason Kahn au Japon. Cette fois, il joue en compagnie de deux musiciens locaux, avec qui il a partagé l'affiche lors d'une soirée à Kyoto en 2012, avant de les laisser jouer tous les deux. Yugue propose donc deux pièces d'environ vingt minutes : la première avec Jason Kahn (synthétiseur analogique, table de mixage et radio), Takahiro Yamamoto (platine) et Takuji Naka (saxophone, bandes, électronique), la seconde avec uniquement le duo japonais. 

Improvisations bruitistes et parasitaires avec ondes radio, larsens corrosifs, souffles de saxophone, techniques étendues, silences et nombreuses ruptures dynamiques. Les objets et les instruments sont manipulés avec soin et précision, quand une action a lieu, elle n'a jamais lieu pour rien. Chaque intervention sert à dessiner un espace, ou à le fracturer, cherche à agrandir l'espace, ou à le réduire ; en jouant notamment sur les volumes et la densité. En tout cas, ce n'est jamais gratuit, et chaque musicien semble très bien savoir ce qu'il fait. Même si c'est improvisé (enfin j'imagine), les musiciens font attention à la forme, à ne jamais jouer trop longtemps sur une dynamique donnée ou sur un volume et une densité trop forts. De la même manière, on passe de textures très simples ou très silencieuses à des beaucoup plus complexes, denses ou fortes. Récemment, je réécoutais Conflagration de Ground Zero, et ce trio m'y fait aussi un peu penser, du moins dans les sons utilisés, avec une forme plus proche de l'improvisation libre et de l'eai que du zapping "précieux" de GZ. 

Quant à la seconde pièce, plus calme et linéaire, avec moins de rupture, elle sonne aussi plus instrumentale. Peut-être que Takuji Naka utilise plus son saxo que dans la précédente, et Jason Kahn n'est plus là, en tout cas, on est plus dans un territoire proche de l'eai et du réductionnisme, avec une espèce d'ambiance un peu industrielle. Les deux musiciens jouent sur des textures métalliques et sombres dans une atmosphère poisseuse et inquiétante. Une longue improvisation post-tout. Il n'y a plus de différence entre les instruments, les objets, l'électronique, l'acoustique, la réverbération naturelle et les effets, tout est déshumanisé et remis à niveaux égaux. 

Un trio avec Jason Kahn peut-être convenu mais jouissif, et une belle découverte pour ce duo sombre et créatif qui navigue sur un territoire très personnel. Beaucoup de choses sont convenues et attendues, telles les techniques étendues au saxo et la radio de Kahn par exemple, mais l'atmosphère et l'ambiance générales de ce disque sont vraiment particulières. Du bon travail en somme. 

Stefan Thut & Mitsutetu Takeuchi - equinox | solstice

THUT/TAKEUCHI - equinox | solstice (Rhizome.s, 2014)
Parmi les membres du collectif Wandelweiser, Stefan Thut et Manfred Werder font certainement partie des plus extrêmes et des plus austères, mais aussi de ceux qui s'intéressent le plus à l'environnement sonore et au son du monde. Pour ces deux, le monde sonore semble déjà être musical, il le prenne en temps que tel en tout cas, et de nombreuses compositions de ces deux musiciens sont ainsi dédiés à l'environnement sonore.

equinox | solstice est donc une de ces compositions de Stefan Thut dédiée au monde sonore, et elle est réalisée ici par le compositeur suisse lui-même en compagnie de l'artiste japonais Mitsutetu Takeuchi. Le principe de la composition est d'enregistrer le monde à un moment donné, sans se soucier du lieu. Les deux artistes ont donc simultanément enregistré leur environnement sonore respectif au Japon et en Suisse à quatre moments x de l'année 2011, qui correspondent comme le titre l'indique aux deux équinoxes et solstices de l'année. Les enregistrements ont ensuite été remixés ensemble, apparemment sans édition, sur deux canaux différents (le canal de droite pour Thut et celui de gauche pour Takeuchi), pour former trois longs "cycles" de 25 minutes chacun.

Les enregistrements ont principalement été réalisés dans des environnements naturels avec de nombreux chants d'oiseaux, du vent ou de la pluie selon les saisons, et un trafic routier lointain, la ville semble plus proche à certains moments tout de même, quand il ne s'agit pas de ce qui ressemble à une zone industrielle. Il s'agit d'enregistrements bruts, quotidiens, austères. Rien de remarquable et très peu de mise en forme hormis le montage, le découpage et le collage. Thut et Takeuchi ont laissé l'univers sonore s'exprimer dans sa pureté. Une confiance aveugle est confiée au monde, et les interventions humaines sont absentes (ou n'apparaissent pas en tout cas). Il s'agit ici de laisser l'univers s'exprimer à quatre moments clés de l'année, qui correspondent aux passages d'une saison à l'autre. Je ne sais pas si c'est atteint, je ne le ressens pas vraiment, peut-être faute d'attention, mais l'impression est là que les deux artistes semblent avoir voulu laissé le temps s'exprimer à travers ces enregistrements. Une expressions pure et dure de la temporalité sur un lieu à l'échelle annuelle. On remarque bien sûr des changements, les animaux ne sont pas les mêmes, le temps (météo) non plus, l'atmosphère se modifie, mais ce n'est pas non plus flagrant et il est difficile de repérer clairement à quelle saison correspondent les enregistrements.

Evidemment, ce n'est pas évident à écouter. C'est vraiment austère je trouve comme enregistrement. Ceci-dit, la démarche est intéressante et cette voie qui consiste à explorer l'action du temps sur l'environnement sonore est vraiment remarquable. Après, je trouve cette contemplation du monde sonore radicale et jusqu'au boutiste. Thut et Takeuchi laissent véritablement le monde s'exprimer, très loin de la musique concrète ou du field-recording, ils ne considèrent pas le monde comme une matière ou un matériau sonore à explorer/exploiter, mais comme la musique même, attitude que je trouve admirable pour sa radicalité.

Bruno Duplant, Pedro Chambel, Fergus Kelly - (winter pale) red sun

DUPLANT/CHAMBEL/KELLY - (winter pale) red sun (Eh?, 2014)
Nouvelle collaboration à distance entre Bruno Duplant (orgue avec outils électroacoustiques), Pedro Chambel (sine waves & noises) et Fergus Kelly (électronique), publiée en cd-r par le label américain Eh?.

Il s'agit d'une sorte de long drone de quarante minutes. Je pense que ce disque a du être initié par Duplant qui a du commencé par une longue piste principalement basée sur un orgue trafiqué. L'orgue pose ici une longue nappe qui semble parfois ralentie, parfois mise en boucle, parfois distordue, une sorte de nappe agitée par des transformations électroacoustiques momentanées. Par-dessus cette nappe omniprésente et fondamentale, Chambel & Kelly glissent des sons plus abrasifs, pas forcément plus forts ou plus violents même s'ils le sont par moment, mais plus durs tout de même, des fréquences qui se mélangent jusqu'à obtenir des frottements corrosifs. Le trio propose une sorte de musique en plusieurs strates qui forment une sorte de drone pas chiant. On a d'un côté, à la base, une sorte de bourdon électroacoustique basée sur l'orgue et ses transformations, et de l'autre, des interventions bruitistes simples et discrètes qui se placent en contrepoint et donnent vie et relief à ce drone atypique. Une musique dure, continue bien sûr, qui reste sur le même territoire, mais sur un terrain tout de même très accidenté par les interventions noises de Chambel et Kelly. 

Drone, larsens, manipulations électroacoustiques, effets analogiques, on se croirait parfois dans un territoire proche de Kevin Drumm, mais bien sûr avec des sonorités différentes dues aux trois personnalités et bien sûr au fait qu'il s'agisse ici d'un trio à distance, ce qui contribue à séparer encore plus nettement les différentes couches. Du bon travail en tout cas.

Hong Chulki & Ryu Hankil - Objets Infernaux

HONG CHULKI & RYU HANKIL - Objets infernaux (erstwhile, 2014)
Si le label erstwhile possède l'art de cultiver les rencontres inédites et des créations souvent inattendues et hors de toutes normes, objets infernaux est tout de même plus "attendu" que d'autres collaborations sur ce label. Enfin "attendu" est un grand mot, en fait, c'est surtout que les deux musiciens coréens Hong Chulki et Ryu Hankil travaillent régulièrement ensemble depuis une dizaine d'années, du coup la surprise est moins grande (même si c'est bien la première fois qu'ils publient un disque juste en duo je crois). Après, la musique proposée sur ces cinq pièces reste aussi surprenante et inattendue que la majorité des disques publiés sur erstwhile.

Bien sûr, quand on a écouté un peu les précédents travaux de ces deux artistes, on sait que l'on sera forcément surpris. La musique de Ryu Hankil comme de Hong Chulki est une musique sans borne, sans habitude, elle est aussi radicale que personnelle, et seule leur imagination débridée semble mettre une limite à leurs expérimentations. De l'amplification de montres et de machine à écrire à l'exploration d'un tourne disque sans diamant en passant par l'utilisation des larsens et des micro-contacts sous toutes leurs formes possibles, ces deux musiciens explorent depuis des années le son dans sa dimension la plus pragmatique, la plus concrète, sans effet ni limite. Ryu Hankil et Hong Chulki improvisent de manière radicale, ils improvisent avec de la matière brute, lo-fi, leurs improvisations comme leurs différentes matières sonores sont sans concession : abrasives souvent, extrêmes toujours, concrètes et inventives.

Avec Objets infernaux, ces deux figures essentielles des nouvelles musiques coréennes proposent une musique qui va toujours dans ce sens. Cette fois, on ne connaît pas les sources, on ne sait pas si ce sont des moteurs, des ondes électromagnétiques, des larsens, de l'amplification à base de pick-ups, ou je ne sais quoi encore ; mais on imagine qu'il y a un peu de tout ceci. En tout cas, le duo se plonge ici dans des territoires très durs, mais aussi réduits. Ce n'est pas très dense, le duo ne joue pas sur l'accumulation, mais plutôt sur la saturation d'un élément. Ou de deux puisque c'est souvent un chacun. Quoi qu'il en soit, les deux musiciens s'attèlent à une action, à un objet, et l'épuise jusqu'au bout. Dans la dynamique, c'est très harsh, mais dans le contenu, c'est beaucoup plus réduit à l'essentiel. Ruy Hankil et Hong Chulki jouent et improvisent avec des sons très durs, très abrasifs ou corrosifs, des sons suraigus souvent, mais les laissent dans leur simplicité. Ils jouent avec de manière brute, sans jouer sur des effets. Ils jouent avec le son de la manière la plus simple possible. Mais jusqu'au bout. Jusqu'à l'épuisement : de l'action, du musicien et de l'auditeur.

Cinq pièces austères et virtuoses, austères car elles n'utilisent que peu d'éléments, des éléments bruts et corrosifs, et virtuoses car on n'aurait jamais imaginé que ces éléments puissent donner forme à une musique si puissante. Car si la musique de Ryu & Hong est simple et austère, elle n'en demeure pas moins ultra forte, puissante, et maximaliste comme une sorte de harsh apocalyptique. Ryu Hankil & Hong Chulki semblent jouer avec des détritus et des déchets, avec ce qui reste d'un monde détruit, et ils construisent avec ces restes une musique de bricolage, d'ingéniosité et d'inventivité comme on en entend rarement. Extrême et créatif, et forcément, conseillé.

Toshiya Tsunoda & Manfred Werder - detour

TOSHIYA TSUNODA / MANFRED WERDER - detour (erstwhile, 2014)
Même si au fil des découvertes j'apprécie de plus en plus, je dois dire qu'il n'y a pas si longtemps, je n'étais pas du tout attiré par les field-recordings. Aujourd'hui, je découvre petit à petit la diversité des approches possibles, des esthétiques et des codes propres à cette discipline particulière dans la lignée de la musique concrète. Car au-delà des enregistrements de train et d'eau, il y a aussi de nombreux artistes passionnants et variés tels que Eric La Casa, Murmer, Tarab, Thomas Tilly ou même Jason Lescalleet dans une certaine mesure. Outre le duo Toshiya Tsunoda/Manfred Werder, j'écoute également en ce moment un disque de Tarab, et je suis encore surpris par le fossé culturel entre l'approche psycho-minimaliste de l'un et l'approche beaucoup plus concrète et électroacoustique de l'autre.

De Tsunoda, je dois dire que je n'ai rien écouté encore mis à part son duo avec Pisaro, mais d'après de nombreuses personnes, il semble compter parmi un des personnages les plus importants du field-recording actuel. Et à propos de Manfred Werder, pour le présenter, je dirais simplement qu'il s'agit d'un membre de wandelweiser, certainement un des plus radicaux dans la mesure où ses compositions comptent parmi celles qui donnent le moins d'indication. Quand on connaît un tant soit peu le travail de ces deux musiciens, on peut évidemment s'attendre à une œuvre plutôt minimaliste, ce qui n'a pas manqué....

Detour est une longue pièce épique de 64 minutes et des poussières enregistrée au Japon. Elle est clairement divisée en deux parties : la première de 40 minutes et la seconde d'une vingtaine de minute. Une pièce épique au sens où elle est longue et endurante. Endurante car il ne se passe quasiment rien durant cette heure. La première partie est composée d'une sorte de long plan fixe d'un environnement extrêmement banal. Une sorte de plan en environnement naturel, avec quelques oiseaux par moments, un peu de vent à d'autres moments, un peu d'eau et quelques bribes de traffic routier ou aérien lointain. Durant la seconde partie, l'environnement devient plus urbain et surtout, un petit moteur irrégulier et monotone tourne constamment par-dessus les enregistrements tokyoïtes. Et enfin, le tout se termine par une sorte de coda de quelques minutes avec un son assez aïgu, comme une sorte de grillon continu et linéaire. Sur chaque enregistrement, il semblerait que les deux musiciens n'aient apporté que peu de modifications, juste un léger travail d'équalisation j'imagine, mais très peu de montage, de filtrage et d'effet.

Si on veut être clair, on dira qu'il s'agit de field-recording, d'une longue pièce de field-recording bien plus minimaliste que ce à quoi la musique concrète nous a habitué, mais de field-recording quand même. Et pourtant, le duo semble aller plus loin. En mettant en avant ce petit moteur durant la deuxième partie, en laissant les enregistrements se dérouler de manière si linéaire, en coupant nettement la pièce en deux parties, tout semble indiquer que les musiciens ont préféré évoquer une atmosphère ou un état mental plus que l'environnement tel quel. Il ne s'agit pas d'un enregistrement de terrain à proprement parler, mais plutôt d'une sorte d'enregistrement d'atmosphère mentale, d'enregistrement de sensation, comme si les deux musiciens avaient voulu composer avec leur état psychologique plus qu'avec l'environnement. En somme, Tsunoda et Werder n'utilise pas l'environnement tel quel, mais bien plutôt l'effet de l'environnement sur eux-mêmes. Il ne s'agit pas vaiment de composer avec des sons naturels, mais de composer avec l'effet de l'environnement sur les musiciens, et c'est ce qui fait toute l'originalité et la singularité de ce disque.

Une longue pièce exigeante et endurante certes, mais vraiment attractive. Detour laisse une impression étrange sur l'auditeur, une sensation de questionnement et de doute, detour perturbe l'auditeur en somme, et c'est ce qui fait sa force. Avec cette pièce, Tsunoda & Werder utilisent des procédés inhabituels, ils ne se confortent dans aucune habitude esthétique, dans aucun code, dans aucune méthode et composent une musique ultra personnelle et singulière. Une musique qui dérange et perturbe parce qu'elle ne laisse aucune place à aucun repère. Et c'est pour ces raisons que je l'aime et la conseille.

The Electrics - Fylkingen [LP]

THE ELECTRICS - Fylkingen (ILK, 2013)
Près de dix ans d'existence et troisième album pour The Electrics (le premier en vinyle après deux CD chez Ayler), un quartet qui réunit dorénavant Sture Ericson aux saxophone ténor et clarinette, Axel Dörner à la trompette, Joe Williamson à la contrebasse et Raymond Strid à la batterie.

De manière générale, j'aime beaucoup les propositions musicales radicales et extrêmes. Ainsi, la musique de Derek Bailey me paraît toujours remarquable, mais la voie qu'il a ouverte dans les musiques improvisées me paraît aujourd'hui plus stérile que celle ouverte par Coltrane et le free jazz ensuite. A tout renier, on finit par s'enfermer dans des codes impersonnels. Et à la limite, quand on est attaché à certaines traditions, on peut faire quelque chose de beaucoup plus personnel et intéressant en les intégrant complètement à sa musique. Comme The Electrics donc, qui propose du free jazz, à l'ancienne, du free littéralement bercé par le jazz (comme en témoigne le titre le plus long de ce LP : All the things we are).

Du free traditionnel ? oui et non. The Electrics intègre aussi des éléments beaucoup plus contemporains, telles les techniques étendues très harsh de Dörner. The Electrics joue sur l'énergie, mais sait aussi se reposer aux moments les plus judicieux. En tout cas, le mélange d'improvisation spontanée et bruitiste avec des lignes de basse et des rythmiques ternaires très swing, de même que la succession de certains solistes plus jazz (Williamson et Ericson) avec des improvisateurs plus radicaux et plus axés sur le son que sur le rythme et les phrasés (Dörner surtout), le mélange en somme d'improvisation libre et collective, de solo jazzy et swing, de musique modale et de free jazz, tout ça est manié avec un équilibre assuré et un grand sens de la musicalité.

The Electrics utilise des éléments connus et parfois même traditionnels pour créer une musique somme toute originale, une musique personnelle, innovante, puissante, créative, et surtout jouissive. Les deux pièces présentées ici varient constamment en couleur, en dynamique, en esthétique, sans que l'on s'en rende compte ; et le tout est joué avec la même passion et la même énergie. Une musique puissante, dansante, et recherchée, jouée avec talent et virtuosité bien sûr.

creative sources

KOCH/BADRUTT/BABEL -
Species-Appropriate Animal Husbandry  

(creative sources, 2013)
Hans Koch à la clarinette basse, Gaudenz Badrutt à l'électronique et Alexandre Babel aux percussions. Trois musiciens réunis pour une session de six improvisations électroacoustiques avec techniques étendues nombreuses, électronique réduit à de simples fréquences, de même que la clarinette souvent réduite à du souffle, ou que les percussions parfois frottées, parfois percutées sur les bois et les métaux au lieu des peaux. C'est réductionniste d'une certaine manière, le travail est très axé sur l'exploration sonore, et le silence est également de la partie, mais le son et les modes de jeux sont, la plupart du temps, énergiques et dynamiques. Le trio Koch/Badrutt/Babel explore aussi bien les parasites instrumentaux et électroniques que l'énergie et la puissance du son. Du réductionnisme violent en quelque sorte, aussi violent qu'il peut l'être en tout cas. Ce n'est pas harsh non plus, mais le trio joue beaucoup sur les ruptures et les attaques brusques, ainsi que sur des volumes assez élevés (mais pas trop quand même évidemment). De l'improvisation réductionniste énervée en somme.

DÖRNER/WILLERS/KAUFMANN -
.AAA. Live (creative sources, 2013)
.AAA. est un trio qui réunit Axel Dörner (trompette), Andreas Willers (guitare & électronique) et Achim Kaufmann (piano). Quatre pièces d'improvisation libre énergique toujours, fortement axée sur les techniques étendues et les préparations. Le trio propose une longue pièce où chaque musicien est présent pour une performance colorée, rythmée et puissante. Une improvisation vraiment puissante et dense, proche de la noise, mais sans électronique (ou très peu). Attaques très fortes à la trompette, souffles harsh, guitare déconstruite, piano à clou sont de la partie pour une longue improvisation jamais à bout de souffle. Puis ensuite, c'est au tour de chacun des musiciens de présenter un solo. Le premier est une pièce d'Andreas Willers pour guitare acoustique, puis viennent Achim Kaufmann et Axel Dörner. C'est toujours une bonne occasion de présenter son langage en-dehors de la collaboration afin de mieux comprendre l'interaction et l'influence de chacun des musiciens. Tous possèdent un sens fort de la recherche acoustique et de la puissance sonore, et ça vaut le coup surtout de les entendre ensemble. Une belle collaboration intense, forte, et puissante d'improvisation libre.

EYE OF THE MOOSE - Hot Four (creative sources, 2014)
Eye of the Moose est un quartet qui publie son premier disque sur le label portugais creative sources. On y retrouve quelques noms déjà connus des musiques improvisées scandinaves : Andreas Backer à la voix, David Stackenäs aux guitares, Joe Williamson à la contrebasse et Ståle Liavik Solberg à la batterie & percussions.

Encore une fois, il s'agit d'improvisation libre non-idiomatique sans trop de surprise. C'est moins énergique et plus spontané, avec de nombreuses phases calmes et contemplatives qui se placent en ruptures avec les passages les plus énervés. Mais dans l'ensemble, on est bien dans le cadre d'une droite lignée de l'improvisation libre telle que l'avait imaginé Derek Bailey. Un langage atonal et arythmique sans référent musical, une négation du jazz et du passé pour construire un langage neuf et personnel. Enfin tout ceci reste théorique, car au final, il s'agit d'une musique comme on en entend aujourd'hui dans toutes les salles et festivals de jazz qui s'intéressent de près ou de loin aux musiques improvisées. Alors certes oui, c'est très bien joué, il s'agit de quatre instrumentistes virtuoses et de quatre improvisateurs très réactifs, mais à un niveau musical plus général, leur musique reste assez commune malgré les quelques belles trouvailles sonores des instrumentistes.

creative sources

WTTF - Gateway '97 
(creative sources, 2013)
WTTF est quartet d'improvisateurs européens réunissant Phillipp Wachsmann au violon et à l'électronique, Roger Turner aux percussions, Pat Thomas au piano et à l'électronique, et Alexander Frangenheim à la contrebasse. A noter que si cet album a bien été édité en 2013 sur creative sources, il s'agit comme le titre l'indique d'un vieil enregistrement datant de 1997 et enregistré à Gateway.

Et en 97, il ne faut pas l'oublier, l'avant-garde des musiques improvisées s'appelait encore l'eai (improvisation électroacoustique), c'était encore violent, avec du son à profusion, et beaucoup d'énergie. C'était encore très fortement basé également sur l'interaction et la spontanéité. Et voilà, tout est dit sur ce quartet. La plupart des lecteurs de ce blog savent certainemnt très exactement à quoi s'attendre. Des notes brèves, énergiques, puissantes, avec des irruptions momentanées de bruit, des modes de jeux très étendus et une énergie maximale. A vrai dire, je ne sais pas si ça valait vraiment le coup de publier ce disque. Je me le demande. Ca témoigne d'une certaine esthétique à une époque certes. En plus, il faut le dire, c'est très très bien fait : les quatre musiciens sont tous de grands virtuoses, l'énergie est toujours là, c'est brut, puissant et assez jouissif. Mais malgré toutes les qualités indéniables de ce disque et le talent de chaque musicien, aujourd'hui, ça paraît un peu trop daté et déjà entendu surtout, voire institutionnel.

BONDI/D'INCISE/RODRIGUES/
RODRIGUES/ULLEN -
Lisboa (creative sources, 2012)
Lisboa est un enregistrement beaucoup plus récent (juillet 2012) qui est aussi très bien joué, mais qui peut aussi paraître un peu convenu. Ici sont présents une autre génération de musiciens avec Cyril Bondi à la grosse caisse et objets, d'incise à l'ordinateur et aux objets, Ernesto Rodrigues à l'alto, Guilherme Rodrigues au violoncelle et Lisa Ullén au piano.

Le quintet propose cinq pièces improvisées dans une tendance beaucoup plus "réductionniste" ici. Archets continus sur les cordes (alto, violoncelle et piano bien sûr), grosse caisse frottée avec des objets, nombreuses techniques étendues et nappes électroniques discrètes et ambient sont au menu de cette demi-heure de musique. La durée de ce disque est peut-être sa première qualité d'ailleurs. Non pas que ce soit chiant, mais c'est le genre de musique sur laquelle on peut difficilement rester concentrer plus longtemps. Juste le temps d'un concert en gros, mais pas plus. Car si c'est très bien joué (et je pense surtout à Bondi et d'incise qui sont les musiciens avec le plus de personnalité dans ce disque) c'est tout de même attendu et convenu je trouve. Ceci-dit, Lisboa reste un bon disque dans le genre, un disque avec de la personnalité, quelques trouvailles sonores engageantes, et une atmosphère singulière.

RODRIGUES/GUERREIRO/
WOLFARTH - All about Mimi
(creative sources, 2013)
All about Mimi est une longue improvisation enregistrée à la même époque et divisée en quatre pistes que l'on ne distingue pas les unes des autres. On retrouve ici Ernesto Rodrigues à l'alto, Ricardo Guerreiro à l'ordinateur et Christian Wolfarth aux cymbales. Une cymbale est frottée à l'archet, accompagnée d'une note fragile à l'ato, et d'une ou de plusieurs sinusoïdes. Puis, un silence. Et ainsi de suite en gros. Le trio propose sur cette session d'improvisation une musique très épurée, minimaliste et plutôt extrême. Il ne s'agit ni de silence, ni de bruit, mais de quelque chose entre les deux : comme une harmonie silencieuse ou un subtil bruit harmonique. Il ne s'agit pas non plus de dialogue entre les instrumentistes, mais il s'agit de se fondre aussi bien dans le son que dans le silence jusqu'à ce qu'on ne reconnaisse plus les rôles de chacun. On distingue bien les sonorités, mais tout le monde joue sur le même plan. Il s'agit ici d'une musique plane, rugueuse en même temps, et surtout aussi espacée que faible. Une improvisation toute en finesse, en délicatesse, en écoute intime du lieu et de chacun, en harmonie avec l'espace, le bruit et le silence.

Peter Ablinger - Augmented Studies

PETER ABLINGER - Augmented Studies (World Editions, 2014)
Augmented Studies est une grosse série de compositions écrites par le compositeur autrichien Peter Ablinger entre 1989 et 2013. Toutes ces pièces se basent généralement sur la redondance d'un certain matériau réduit, ou sur une mise en forme algorithmique du matériau. Le flûtiste Erik Drescher propose sur ce disque la réalisation de quatre pièces d'Ablinger, dont trois tirées de la série Augmented Studies.

La première des pièces s'intitule Hypothesen über das Mondlicht (hypothèse sur la lune). Il s'agit d'une pièce écrite en canon polyphonique et polyrythmique très complexe. Seize flûtes enregistrées les unes par-dessus les autres jouent des sortes d'arpèges microtonaux de manière hyper régulière et toujours légèrement décalée. Les attaques et le volume assez fort sont toujours sensiblement identiques, de même que la durée très brève des notes (jouées en double ou triple croche avec environ une mesure de quatre temps de silence entre chacune, pour chaque flûte). Puis vient en deuxième lieu la magnifique SS Giovanni e Paolo, malheureusement trop courte à mon goût : trois flûtes font de long glissandi dans les basses et sont accompagnées d'un enregistrement d'un hall à forte réverbération mais déserté. Une belle pièce aux allures maritimes et sombres, très touchante et envoûtante. La troisième pièce présentée est certainement la plus dure et la plus austère de toutes. Il s'agit d'une pièce microtonale encore pour trois flûtes, la première normalement tempérée, et les deux autres étendues à 13 et 15 demi-tons. Durant 18 minutes divisées en courtes parties d'une minute, Erik Drescher superpose des phrases atonales et liées, très froides et dures, sur un même tempo, des phrases redondantes bien sûr, sans début ni fin, avec la même intensité et bien évidemment, en jouant au maximum sur les dissonances. Puis le disque se termine avec Moiréstudie für Chiyoko Szlavnics. 22 flûtes sont divisées en deux groupes égaux. Le premier joue un cluster diatonique qui fait évidemment largement penser à un accordéon, ou autres instruments à lamelle, et fait descendre ce cluster en glissando très lent durant un peu plus de vingt minutes. Quant au deuxième groupe, il joue ce même glissando, mais à une vitesse beaucoup plus rapide, et qu'il répète constamment, avec un départ par seconde presque. Les notes se rencontrent et se quittent constamment, la structure est très carrée et répétitive, mais le résultat est un mouvement constant du son. Il s'agit du même cluster, mais toujours animé d'une manière différente en fonction des consonances et des dissonances qui évoluent toujours. D'une certaine manière, on pense aux masses sonores de Phill Niblock, mais ici, ce serait une sorte de drone baroque, écrit en contrepoint en quelque sorte, et beaucoup plus mouvementé, tellement qu'on pourrait presque parler de fioriture (microtonales bien sûr, du fait des glissandi). En tout cas, cette pièce est vraiment remarquable et forme un des plus beaux clusters que j'ai entendu peut-être depuis les Thrènes de Penderecki et les drones de Niblock.

Bon, une heure de flûtes microtonales, j'avoue que ce n'est pas évident à écouter, dans la durée c'est assez dur à tenir. Mais prises individuellement, ces quatre pièces valent vraiment le coup de s'y intéresser. La première et la troisième sont vraiment bien écrites certes, mais la deuxième et la quatrième, en plus d'être très bien construites, sont aussi magnifiques et poignantes.

Aaron Dilloway [cassettes]

HONG CHULKI & AARON DILLOWAY - sans titre (Idiopathic, 2013)
Hong Chulki & Aaron Dilloway, voilà bien deux musiciens que je n'aurais jamais imaginé jouer ensemble. Et pourtant, la recontre en valait le coup. Les langages des deux musiciens sont vraiment différents, ils n'ont rien à voir même, mais c'est vraiment réjouissant de les entendre ensemble.

Hong et Dilloway semblent tous les deux faire des petits compromis, tout en conservant malgré tout son langage. On retrouve les cassettes mises en boucles, et les sortes d'étranges nappes analogiques de Dilloway, mais à très faible volume, des boucles espacées par de longs silences. Et de son côté, Hong se plonge dans des micro-phénomènes sonores réduits et minimalistes comme un très long larsen constant et suraïgu de plusieurs minutes, l'utilisation abrasive et à très faible volume de micro-contacts. Il semblerait que ce soit surtout Dilloway qui se soit adapté ici au langage de Hong, comme s'il s'effaçait derrière ce dernier. Et pourtant, c'est surtout Dilloway qu'on entend, car Hong Chulki aborde le son de manière vraiment abstraite et minimaliste.

Le duo propose une étrange plongée dans des phénomènes sonores lo-fi. Des cassettes, des micro-contacts, des larsens, le tout à faible volume, parfois caché sous le souffle de la cassette. Il n'y a rien de puissant - hormis quelques ruptures momentanées plus noise - tout se joue dans une attention et une exploration extrêmes des moindres phénomènes sonores, si petit soient-ils. Chacun des musiciens utilise son "instrumentarium" habituel, son langage, mais en l'adaptant à leur rencontre. Dans la mesure où on pouvait imaginer la rencontre de ces deux musiciens (ce que, je le répète, je n'aurais pas imaginé jusqu'à ce qu'ils le fassent), ils font ce qu'on pouvait attendre d'eux, et on se rend vite compte que contre toute attente, la rencontre fonctionne bien et explore des possibilités propres au langage de chacun qui n'auraient peut-être jamais vues le jour avant leur collaboration.

AARON DILLOWAY - Medicine Stunts (Lal Lal Lal, 2014)
Medicine Stunts est une cassette d'Aaron Dilloway récemment publiée sur le label finlandais de Roope Eronen, dont je parlerai plus bas. Une cassette d'une face composée d'enregistrements réalisés entre 2009 et 2013. Inévitablement, on retrouve bien sûr des tape loops. Des boucles de cassettes avec des enregistrements plutôt ambient. Il s'agit ici d'une musique lente, calme, posée. Aaron Dilloway ne joue pas sur la superposition d'enregistrements, ni sur la saturation ou la distorsion des boucles, mais pose calmement des nappes ambient analogiques. Des nappes lointaines et étranges, sombres et malsaines souvent. Malsaines notamment grâce à l'effet produit par tout ce que Dilloway ajoute par-dessus ces nappes. Tout un bric à brac de roues, de rouages et de pichets d'eau amplifiés. Avec un final encore plus grotesque où Aaron Dilloway siffle un air que n'importe quel western n'aurait pas renié.

En gros, c'est certainement une des cassettes les plus décalées et étranges que j'ai pu entendre de ce génie des tape loops. Une des plus abstraites aussi, au sens où elle n'appartient à aucune catégorie musicale, parfois proche de la musique concrète certes, parfois, aussi, proche de l'ambient bien sûr, mais toujours à côté de tout. Une cassette qui ne rentre dans aucune case, et qui en est fière en somme. Aaron Dilloway propose ici une conception unique de la musique concrète et électroacoustique vue en tant que musique grotesque, sombre et décalée. Conseillé en tout cas, comme toujours. C'est peut-être moins noise qu'auparavant, mais c'est plus décalé, inventif.


NUSLUX - Repeat Master II (Lal Lal Lal, 2014)
Roope Eronen est l'homme qui dirige le label de cassettes Lal Lal Lal, mais c'est aussi un musicien spécialisé dans les boucles de cassettes et le synthé analogique bien cheap, qui joue sous le nom de Nuslux. Simultanément ou presque à la sortie de Medicine Stunts, cet artiste finlandais publiait également une cassette solo intitulée Repeat Master II. Nuslux utilise ici deux magnétophones cassettes et un synthétiseur Roland des années 70 (monophonique et bien cheap). Il n'y a quasiment que des éléments de pop et de musique électronique en vogue dans les séries américaines des années 80 sur les enregistrements, de la même manière le synthé fait référence à ces musiques aussi. Nuslux cumule les mélodies mielleuses et les passe au filtre d'une reverbération tout aussi grotesque. Mais au final, l'accumulation de strates niaises forme une musique vraiment étrange. Une sorte de pop déviante, une espèce de noise doux et mélodique, mais bien décalé. La musique de Nuslux joue sur bien sûr sur les parasites propres aux vieux matériels, mais aussi sur le détournement d'instrus et de sonorités très populaires. Il s'agit plus de détournement que d'exploration de certains outils/instruments/modes de jeux. Un détournement déviant, extraterrestre, surréaliste, niais, mielleux et grotesque. Bon travail.

Daunik Lazro, Benjamin Duboc, Didier Lasserre - Sens Radiants

LAZRO/DUBOC/LASSERRE - Sens radiants (Dark Tree, 2014)
En 2011 je crois, le trio Lazro/Duboc/Lasserre inaugurait en beauté le label français dark tree. Il revient aujourd'hui sur le même label pour une longue improvisation enregistrée lors d'un festival périgordin. On retrouve donc Daunik Lazro au saxophone baryton, Benjamin Duboc à la contrebasse et Didier Lasserre à la batterie. Trois musiciens qui écument depuis des années les scènes "jazz et musiques improvisées" françaises et internationales. Trois musiciens qui ne font ni du free jazz, ni de l'improvisation libre à proprement parler, mais qui font leur musique, une musique personnelle et véritablement libre.

Dans le contenu, ces trois musiciens, surtout pour ce trio, ne cherchent pas vraiment à créer des sons inouïs, ils ne développent pas des textures incroyables et n'utilisent pas tant que ça de techniques étendues. C'est plutôt dans la forme et la composition que le résultat est inouï et recherché. Il s'agit d'improvisation qui se déroule de manière linéaire, mais le trio avance en toute liberté. La forme est inouïe au sens où les musiciens ne se refusent rien, et ne se posent surtout pas la barrière esthétique du déni des idiomes et des référents musicaux. On peut ainsi trouver des éléments mélodiques au saxo (avec les superbes phrasés hérités d'Albert Ayler), un ostinato à la contrebasse, et Lasserre n'hésite pas à utiliser des baguettes (fait de plus en plus rare chez les batteurs/percussionnistes de musiques improvisées). Et les rôles s'inversent pour un solo lyrique de contrebasse, pour une recherche sonore à la batterie, pour un pattern rythmique au saxophone. Les rôles s'inversent ou s'effacent, et c'est là que la gestion de l'espace paraît remarquable. Un espace jamais saturé, où chaque musicien peut se déployer entièrement, personnellement, avec tout son langage. Les musiciens savent s'écouter, mais savent surtout laisser la place nécessaire au libre déploiement de chaque personnalité.

En bref, il s'agit de musique improvisée certainement. On le reconnaît. Mais on s'en fout en même temps. Il s'agit avant tout de musique. D'une musique que seul ce trio peut faire, car elle est vraiment intime et personnelle, libre et spontanée (mais pas du tout au sens de l'improvisation non-idiomatique). Une liberté qui revendique le lyrisme et la mélodie, qui revendique ses origines et jouit de ses influences esthétiques. C'est beau, excessivement beau. Poignant je dirais même. Le trio Lazro/Duboc/Lasserre propose encore une fois une magnifique leçon d'improvisation, mais aussi une magnifique leçon instrumentale car chacun des musiciens sait utiliser son instrument de manière organique certes, mais aussi et surtout de manière très précise, savante et méticuleuse. Un trio qui sait aussi bien manier l'instrument que la musique elle-même ; qui sait aussi bien produire la beauté que créer de l'émotion. Littéralement ravissant et poignant, et donc vivement conseillé.

Fred Frith & Michel Doneda

FRED FRITH & MICHEL DONEDA - sans titre (Vand'Oeuvre, 2014)
Je ne crois pas qu'il y ait lieu de présenter ici Fred Frith & Michel Doneda, deux figures incontournables des musiques improvisées, expérimentales, américaines et françaises depuis plus de deux décennies maintenant. Ni le label Vand'Oeuvre, qui n'est autre que l'organe de production du célèbre festival trentenaire Musique Action, label qui vient de publier cette première collaboration (plutôt inattendue en fait) entre le guitariste américain et le saxophoniste français.

De mon côté, je n'attendais pas grand chose de cette rencontre. Quand j'avais vu pour la première fois un solo de Fred Frith, je me disais OK c'est vraiment bon, mais je ne comprenais pas non plus le succès qu'il pouvait avoir. Et puis Doneda, j'ai beau le trouver remarquable en tant que saxophoniste, car il est talentueux et il a su développer son propre langage, il peut aussi tourner en rond parfois. Il fait souvent la même chose, d'accord, mais qu'est-ce qu'il le fait bien en attendant...

Bref, je n'attendais pas quelque chose d'exceptionnel de cette rencontre inédite, et pourtant, je suis vraiment sous le charme. La première chose à laquelle m'a fait penser ces enregistrements, c'est avant tout au fameux duo Evan Parker et Derek Bailey. Doneda utilise son saxophone d'une manière aussi personnelle, créative, et puissante, tandis que Fred Frith utilise aussi la guitare de manière atonale, en jouant librement sur les cordes sans techniques étendues ni pédales d'effets : un jeu sobre et réduit, mais très complet dans les possibilités d'attaques, de toucher et d'intensité. Comme dans toutes les musiques improvisées récentes, il y a bien sûr autant de passages contemplatifs et minimalistes que de phases beaucoup plus violentes et agressives. De mon côté, ce sont ces moments où je m'y retrouve le plus. Car ce ne sont pas les possibilités sonores développées par le duo qui sont le plus attrayantes ici, mais bien plus l'énergie et la puissance qu'ils peuvent donner à leur instrument, à leur jeu, et surtout à leur dialogue. Lors des envolées les plus fortes, les deux musiciens ont beaucoup plus de présence et proposent des improvisations vraiment nerveuses, intenses et jouissives.

Comme souvent dans l'improvisation libre, les moments les plus contemplatifs et calmes me dérangent parce qu'ils me paraissent inutiles et clichés. Mais par contre, dès que les musiciens s'engagent dans quelque chose de plus intense, de plus fort, et de plus puissant, et qu'en plus ils savent aussi bien s'écouter et dialoguer, et surtout encore s'ils ont su développer un langage personnel ; alors là, bien sûr, j'adore, et je me laisse facilement bercer par ces improvisations "libres" qui ressemblent peut-être à beaucoup d'autres, mais qui n'en restent pas moins jouissives pour leur aspect viscérale, organique, et engageant. Et pour les quelques improvisations où Fred Frith & Michel Doneda s'engagent sur des terrains avec une forte intensité et une grande présence, je dois dire que j'aime vraiment bien ce disque et que je le trouve impressionnant.

Michael Pisaro & Barry Chabala - black, white, red, green, blue (voyelles)

MICHAEL PISARO - black, white, red, green, blue (voyelles) (Winds Measure,  2010/2014)
black, white, red, green, blue est une composition de Michael Pisaro basée sur un poème de Rimbaud où chaque voyelle est assimilée à une couleur. Ici, chaque voyelle est assimilée à une note de guitare ou à un mode de jeu, enregistré et réalisé par Barry Chabala. (A noter que je chronique ici la réédition en double CD de la double cassette - très vite épuisée -  éditée par le même label (winds measure, géré par Ben Owen) en 2010.)

Le premier disque est une réalisation de black, white, red, green, blue à proprement parler par Barry Chabala seul. Il s'agit ici d'une réalisation d'une heure, jouée réellement avec brio. La pièce est divisée en cinq parties d'une dizaines de minutes, cinq parties ne comprant qu'un seul élément sonore chacune, et bien sûr une omniprésence du silence. Quand Barry Chabala joue des accords pincées lumineux, la proportion entre l'intensité de l'attaque et la durée d'évanouissement du son est toujours très juste, très équilibrée, tout comme la durée du silence qui entrecoupe chacun de ces accords. De la même manière, quand Chabala utilise un ebow sur la corde de mi de sa guitare pour une sorte de drone ombrageux et sombre, il le fait avec une grande notion d'équilibre entre la linéarité de la note et son intensité. Ce n'est pas joué à très faible volume, non, et pourtant on passe du son au silence sans s'en rendre compte, et c'est ce que je trouve vraiment fort. Il y a une sorte de monotonie qui est, malgré les contrastes, plutôt saisissante. Les répétitions sont quasiment identiques, rien ne change dans l'attaque, le volume, la durée et la couleur du son, elles s'approchent de la perfection mécanique. Barry Chabala propose une réalisation vraiment sensible, équilibrée, et juste de cette composition qui réclame beaucoup d'attention, de concentration et d'ingéniosité.

Quant au deuxième disque, il est carrément magique à mon goût. Il s'agit d'une sorte de "remix" si l'on peut dire, réalisé par Pisaro lui-même, et intitulé voyelles. L'enregistrement initial de Chabala est repris tel quel par le compositeur, mais simplement remonté avec quelques sinusoïdes et souffles de cassette édités. Il n'y a pas de transformation réelle de l'enregistrement, et pourtant, la nature de ce dernier est complètement modifiée et transformée par ces ajouts minimalistes. Là où la réalisation de Chabala paraît volontairement froide, monocorde et presque monotone, le remix de Pisaro transforme cet enregistrement en une pièce lumineuse, vivante, organique et extrêmement sensible. Les accords gagnent en luminosité, le silence gagne en profondeur, la structure perd de sa clarté pour gagner en narrativité. Les quelques sinusoïdes et souffles de cassette modifient considérablement la façon dont on perçoit la guitare. Chaque intervention instrumentale devient dès lors beaucoup plus riche, plus forte, plus sensible et plus vivante. Quand sur l'original la guitare se fondait dans le silence et inversement, sur le remix, au contraire, chaque intervention est comme une illumination, elle apparaît avec une présence émotionnelle beaucoup plus forte. Il ne s'agit pourtant que de jouer avec des fréquences simples, mais quand on voit le résultat, ce disque démontre encore une fois la connaissance intime et précise que Pisaro a des réalités acoustiques, il sait parfaitement comment manier les sons, même les plus simples, pour leur donner les couleurs qu'il veut. Il sait trouver la fréquence fondamentale d'une guitare comme d'un souffle de cassette pour jouer avec lui en collant les sinusoïdes parfaites pour l'enrichir et le faire vivre. Et c'est là toute la magie des réalisations de Pisaro.

Une réalisation très "wandelweiserienne" de Chabala, accompagnée d'un remix magnifique de Pisaro, pour une sorte de collaboration à distance simplement belle. Conseillé comme toujours.

[et en plus, c'est sans parler du magnifique coffret réalisé par Ben Owen, qui comme toujours pour son label, a réalisé une des plus belles et originales pochettes de CD que j'ai vu]

Marcus Rubio - In heaven everything is fine because heaven is a place where nothing ever happens [DL]

MARCUS RUBIO - In heaven everything is fine 
because heaven is a place where nothing ever happens
(Test Tube, 2014) 
Marcus Rubio est un jeune musicien américain qui habitait à Los Angeles. Aussi bien intéressé par le noise sous ses formes les plus extrêmes (harsh, HNW), les nouvelles musiques minimalistes, que les musiques folk, il est également chroniqueur sur tiny mix tapes. C'est le genre de jeune musicien qu'on peut aussi bien  retrouver à jouer du banjo que faire des field-recordings abstraits, quand il n'est pas en train de faire du noise sur ordinateur. Voilà pour la présentation.

Quant à In heaven..., il s'agit d'une longue pièce "auto-contemplative", comme dit le label, où sont utilisés banjo, guitare, pédales, électronique, et loop surtout. Quarante cinq minutes de musique ambient, mais de l'ambient pas chiant du tout. On a les nappes de fonds, basées sur des boucles et des effets de reverb et d'écho à la guitare, mais avec en plus de nombreux riffs vraiment weird de banjo, et quelques irruptions noise de larsen quand on est resté trop longtemps sur le même paysage sonore. Marcus Rubio navigue facilement entre les nappes abstraites et ambient, les riffs aux harmoniques folk, et le bruit pur sur cet album. Bien sûr, on pense à tous les guitaristes des années 2000 qui ont déjà proposé ce genre de musique (Fennesz, Oren Ambarchi ou Fabio Orsi), mais ici il y a quelque chose de plus primitif, de plus instinctif.

La musique de Rubio paraît moins réfléchie en un sens, mais plus spontannée. Il ne s'agit pas d'improvisation, mais d'un plaisir certain à combiner des éléments et des influences disparates. C'est pourquoi la musique de Rubio, si elle peut sembler moins travaillée que celle de ses prédécesseurs, n'en paraît pas moins authentique et personnelle, plus chaleureuse aussi, car il s'agit d'une véritable volonté de combiner tout ce qui lui importe : que ce soit pop, ambient, noise, instrumental, analogique, numérique. Un très bonne pièce d'ambient-folk teintée de noise en tout cas, et c'est vraiment prenant et envoutant.

téléchargement (gratuit) & informations : http://www.monocromatica.com/netlabel/releases/tube271.htm

Kevin Drumm - Second

KEVIN DRUMM - Second (Perdition Plastics, 1999)
Quelques années après son premier solo, et après deux publications en compagnie du guitariste Taku Sugimoto, Kevin Drumm revenait à la charge avec Second, c'était en 1999 (l'album a été réédité depuis par le même label en 2010, ainsi qu'en version digitale sur le bandcamp de KD).

L'esthétique de Kevin Drumm s'est ici affinée et se rapproche du drone et de l'ambient. Il utilise encore la guitare préparée, mais de manière discrète, comme l'électronique, pour créer quelques ruptures subtiles de temps à autre. Mais de manière générale, Kevin Drumm produit plutôt de longues plages synthétiques avec quelques sinusoïdes et de vieux enregistrements ambient. La guitare est parfois jouée à l'ebow peut-être, les textures y ressemblent en tout cas. Des nappes continues, légères, discrètes et linéaires. Ce ne sont pas encore les drones denses et brutaux, ce ne sont plus les recherches instrumentales sur les préparations possibles avec la guitare sur tabe, mais c'est entre les deux. Second marque une sorte de tournant vers les compositions et les recherches plus réflcéchies. Kevin Drumm a toujours su conserver l'énergie primitive et brutale de ses recherches à la guitare, et les a transposé aussi bien à l'électonique que sur l'ordinateur, mais en les mettant au service d'une musique plus raffinée, plus réfléchie.

Et c'est déjà le cas sur Second, mais personnellement, le côté ambient m'a laissé un peu froid. Je qualifierais d'ailleurs ce disque d'assez froid dans l'ambiance qu'il dégage. C'est très bien fait, souvent surprenant, et je comprends qu'il ait pu faire date en 1999, mais aujourd'hui, à l'écouter, je ne le trouve pas aussi passionnant et envoutant que le reste de son œuvre. Bien sûr il y a des moments somptueux, mais aussi des creux, et ce sont surtut ces creux qui prévalent à mon avis. Pour amateur d'ambient surtout.

Phill Niblock - Nothin' to look at just a record [LP]

PHILL NIBLOCK - nothin' to look at just a record (India Navigation, 1982/Superior Viaduct, 2013)
La politique des disques a bien changé au fil des décennies. On nous parle de crise, qu'il n'y a plus assez d'achat, mais il y a surtout suproduction. Aujourd'hui, n'importe quel artiste de 25 ans peut avoir déjà été publié à de multiples reprises. Il y a 30 ans, bien sûr, ce n'était pas la même. Phill Niblock, un des compositeurs minimalistes américains les plus importants, a du attendre l'aube de ses cinquante ans pour être publié pour la première fois, c'était nothin' to look at just a record, en 1982, épuisé depuis longtemps mais récemment réédité sur un vinyle identique par Superior Viaduct, label plus ou moins spécialisé dans la réédition de vinyle (on leur doit quelques Residents, Brigitte Fontaine, et autres).

Ce disque présente deux pièces pour trombone aujourd'hui mondialement connues : A Trombone Piece et A Third Trombone. Une pièce d'une vingtaine de minutes par face, la première avec James Fulkerson au trombone et la seconde avec Jon English. Et puisque les ingénieurs du son (pour la prise de son et le mixage notamment) sont tout aussi importants que les instrumentistes dans les œuvres de Niblock, notons qu'il s'agissait pour ces deux pièces de Richard Kelly, Richard Lainhart, Joel Chadabe, Stephen Cellum et Robert Cummins.

Ce n'est vraiment pas évident de parler de la musique de Phill Niblock sans se répéter. D'accord, la plupart des lecteurs de ce site ont déjà entendu des œuvres de ce compositeur et savent très bien à quoi s'attendre, aussi bien qu'ils savent ce qu'ils en pensent. Car Niblock a toujours composé de la même manière, et on l'aime ou on le déteste pour ce caractère obsessionnel et radical d'ailleurs. Pour ce disque en tout cas, je ne sais pas si c'est voulu ou faute de moyens techniques, mais il s'agit là de deux pièces plus abruptes et moins lisses que les enregistrements que l'on trouvera plus tard chez Touch par exemple. Les attaques et la fin des notes sont très claires, l'écart entre elles est grand et la masse sonore est souvent divisée en trois blocs clairs d'accords très graves, basses et médiums. Il y un côté moins lisse, mais ces masses sonores produisent la même luminosité que les futurs enregistrements de Niblock. De plus, le choix du trombone est judicieux pour cette raison, car sa capacité à produire des sons très graves lui confère une richesse spectrale assez spectaculaire. Phill Niblock analyse le spectre harmonique et acoustique du trombone et utilise différentes microtonalités pour que les notes frottent entre elles, s'enrechissent, se battent, forment une sorte de séquence musicale avec sa propre pulsation. Et les différentes relations entre les notes finissent par produire une sorte de polyphonie minimaliste avec des blocs autonomes qui dialoguent également entre eux.

Phill Niblock, déjà, agissait comme de l'eau envers la lumière. Il agit sur l'instrument comme une sorte de filtre à travers lequel toute la richesse harmonique de celui-ci transparaît. Une sorte d'arc-en-ciel acoustique pourrait-on dire. C'est pour cette raison que je trouve toujours sa musique lumineuse, car elle accède à des réalités sonores qu'on n'aurait pas pu imaginer sans lui. Recommandé, comme le reste de son œuvre bien entendu.

John Cage - Early Electronic and Tape Music [CD/LP]

JOHN CAGE - Early Electronic and Tape Music (Sub Rosa, 2014)
Il est certainement vrai que ce sont surtout les pièces avec percussions ou pour piano préparé qui sont le plus jouées et écoutées chez John Cage, et beaucoup moins ses compositions électroniques ou mixtes (pourtant débutées dès 1939 avec des sinusoïdes). La plupart des gens savent que Cage a fait de la musique électronique, mais combien l'écoutent vraiment ? Il y a peut-être un manque de connaissance de cette facette de Cage, mais quand même, il y a déjà eu beaucoup de publications, y compris réalisées par Cage lui-même (je pense par exemple au sublime Shock édité il y a deux ans qui comprend entre autres des réalisations de 0'00" et Fontana Mix). Pourtant, Sub Rosa a tenu à éditer ces travaux électroniques encore une fois. Qui plus est, d'une manière plutôt infidèle à Cage, dans la mesure où le Langham Research Center (Felix Carey, Iain Chambers, Philip Tagney et Robert Worby) essaie justement d'être le plus fidèle à Cage, en utilisant uniquement la matériel disponible à l'époque des créations de ces pièces (entre 1952 et 1962 ici). Bien sûr, le but est surtout de donner un aperçu des réalisations possibles à l'époque de la composition de ces pièces, mais ce n'est pas comme si on ne le savait pas déjà. Voilà pour l'intention, étrange, douteuse, qui ne me paraît pas très pertinente en fait (au niveau documentaire c'est accessoire, et au niveau de l'interprétation, c'est assez contraire à la pensée de Cage), mais pourtant, au niveau musical, je trouve ces six pièces vraiment bien réalisées. 

Il n'est pas nécessaire de décrire chaque pièce, on trouve déjà de nombreuses analyses de chacune un peu partout. Le disque commence avec une réalisation simultanée de Fontana Mix et de Aria (par la chanteuse Catherine Carter). Les radios, les bandes et synthétiseurs s'entremêlent avec le chant, les sifflements, les pleurs et les toux de l'Aria. Une musique de collage, de bricolage, de manipulations de bande, une musique inventive et virtuose. Fontana Mix multiplie les sources et perd l'auditeur avec sa vitesse et son énergie souvent, un peu à la manière de Imaginary Landscape n. 5, cette pièce composée uniquement à partir de bandes collées et assemblées, composée à partir d'enregistrements de Vivaldi, Mussorgsky et de nombreux autres. Les phrases et les séquences sont généralement jouées en entier, mais le collage leur fait perdre toute qualité proprement musicale pour ne fai0re plus qu'une sorte de bruit du monde indistinct. 

Le bruit, c'est bien l'élément fondamental des trois dernières pièces de ce disque : Cartridge Music, 0'00", et Variations I (réalisée ici à l'aide phonographes, de cassette, de radio et de spoken word). C'est étrange, car d'un côté, l'utilisation de matériel "ancien" amène des sonorités abrasives et étouffées, mais en même temps, on ressent tout de suite le décalage car ce ne sont pas les mêmes techniques d'enregistrement, et il y a par conséquent tout de même un son très moderne. De plus, l'utilisation prépondérante des radios amène inévitablement un autre élément contemporain (une radio ne pouvait diffuser de la techno en 1958...). En tout cas, ces trois dernières pièces sont réalisées avec beaucoup de rigueur, de minutie et de dextérité. Il s'agit de pièces qui jouent beaucoup sur l'amplification de phénomènes et d'actions sonores minimales et quotidiennes, qui demandent tout de même une grande précision, ce que leur accorde très bien le Langham Research Center. 

Et puis il y a WBAI, pièce de 1960 publiée pour la première fois, et on se demande pourquoi. Chaque "musicien" (ou devrais-je dire technicien du son) ne joue que sur un outil et n'utilise que des sons similaires (une sinusoïde pour l'oscillateur, un seul enregistrement pour le phonographe, un bruit blanc avec une sinus dominate pour le synthé, et une radio). Il s'agit ici d'une pièce de sept minutes divisée en une multitudes de petits blocs indépendants. Chaque musicien, de manière autonome, joue un son continu ou discontinu durant 1 à 5 secondes, puis laisse un silence d'une durée qui varie de la même manière entre 1 et 5 secondes. Une pièce complètement discontinue et faite uniquement de ruptures et d'oppositions fracassantes entre le bruit et le silence. Donc oui, pour WBAI et pour la très étrange réalisation de Variations I, je ne peux que conseiller ce disque. 

Le Langham Research Center propose en somme des réalisations très traditionnelles de ces oeuvres électroniques (avec du matériel restauré ou retrouvé), des réalisations assez attendues en tout cas car je ne sais pas s'il y a vraiment une "tradition". Mais tout de même, ces pièces sont réalisées avec une virtuosité, une précision, et une grande sensibilité au son et aux partitions. C'est souvent extrême, dans le bruit comme dans la minutie, et très attentif aux indications de Cgae. Et ce groupe sait aussi faire preuve d'inventivité, à l'image de cette excellente et par contre très inattendue réalisation de Variations I, une interprétation proche de la musique concrète dans une atmosphère très énigmatique, à moitié paranoïaque et surtout complètement  décalée avec ces douces voix qui semblent surgir d'un sous-marin inconsciemment perdu. 

Loris - The Cat from Cat Hill

LORIS - The Cat from Cat Hill (another timbre, 2009)
Loris est un trio anglais formé à la fin des années 2000 par trois musiciens connus de ce blog : Patrick Farmer, Sarah Hughes et Daniel Jones. The Cat from Cat Hill a été le premier disque de ce trio, publié en 2009 sur another timbre, et ça commençait déjà très bien. Tous les musiciens utilisent un e-bow au moins, sur différents instruments et matériaux, ainsi que des instruments plus personnels (la cithare pour Sarah Hughes, les platines et piezo-discs pour Daniel Jones, la caisse claire pour Patrick Farmer).

La musique de Loris ressemble fortement à de l'improvisation post-AMM. Il s'agit de trois improvisations électroacoustiques qui jouent sur les faibles volumes, l'espace, et  les textures abrasives. Des improvisations faites de longs sons continus, circulaires et linéaires. Voilà pour la forme, qui n'est pas le plus intéressant ici. C'est plutôt le contenu que je trouve remarquable. Le trio a su chercher et trouver des sons uniques : des cithares qui ressemblent à des harmoniques de saxo, des cassettes mises en boucle, des peaux de percussion mises en résonance de manière très simple, délicate et discrète, des micro-contacts et des diamants de platine effleurés, le tout avec un sens de la musicalité impressionnant. Le trio utilise beaucoup d'objets quotidiens ou naturels, il y a un grand sens de l'abstraction, mais en même temps, il sait toujours quand il faut retourner aux choses concrètes. On est alors parfois dans du son pur, dans une immersion totale dans des sons inouïs, et tout d'un coup, une mélodie au piano nous ramène à la surface, ou une rythmique aux cassettes. Le trio manie avec une grande justesse l'équilibre entre l'abstraction la plus austère et la plus inventive d'un côté, et un retour momentanné à des éléments musicaux concrets simples mais tellement efficaces. Car l'opposition entre les deux approches renforcent chacune de ces attitudes : l'éloignement de tous repères musicaux traditionnels, comme le recours volontaire à des éléments très simples, voire élémentaire, issus des canons de la musique populaire, renforcent l'aspect sensationnel de chacun, c'est leur opposition qui les met en valeur.

Loris propose ici une musique comme on en entend rarement. Une plongée dans l'abstraction sonore la plus pure, la plus belle mais aussi la plus inventive, entrecoupée de remontées à des surfaces musicales délicates et équilibrées. Un savant mélange d'abstraction bruitiste minimaliste et de musicalité simple et intense. Conseillé.

Kevin Drumm "First"

KEVIN DRUMM - sans titre (Perdition Plastics, 1997)
Premier CD de Kevin Drumm, cet album sans titre est souvent surnommé "First" car celui qu'il sortira juste après s'appellera Second. Paru initialement en 97, il a été réédité en 2009 sur le même label, puis en vinyle avec des inédits en 2010 (que je n'ai pas écouté, je ne parle que de la première version ici). J'ai mis beaucoup de temps avant d'écouter ce disque de mon côté, on en entend souvent parler comme une sorte de référence, notamment pour l'utilisation de la guitare, mais même sans douter du talent et de la créativité de KD, je pensais que ce serait une guitare et un disque très harsh. Les nombreuses comparaisons avec Opposite de Taku Sugimoto et les collaborations parues juste après entre les deux artistes auraient du me mettre la puce à l'oreille pourtant.

En effet, on est assez loin des drones à l'électronique ici, même si la dernière pièce laisse entrevoir la direction que prendra KD par la suite. Sur ce premier disque, KD joue de la guitare à la Keith Rowe j'ai envie de dire, mais un Keith Rowe aui aurait avalé beaucoup de metal auparavant. Il s'agit de guitare préparée, d'un disque fameux de guitare préparée, qui évoque plus l'instrument électrique que l'instrument à cordes. La guitare est ici remplie d'objets, elle est frottée, triturée, malmenée, agitée beaucoup plus que pincée. Quand on entend les cordes, c'est comme par accidents. Kevin Drumm joue sur les textures et les silences, joue sur les volumes et les couleurs. Il n'y a pas vraiment de forme, juste une énergie et une inventivité brutes qui envahissent la guitare. Il s'agit d'explorer ici tous les parasites et les accidents propres à cet instrument, de composer avec l'inouï et l'inconscient de la guitare. Pour ce faire, KD malmène cette dernière par le biais magnétique parfois, sinon par la secousse physique et la résonance de l'instrument entier, mais aussi par l'action sur les auxiliaires indispensables que sont les câbles et l'ampli.

Aucune pédale ne semble utilisée ici - hormis sur la dernière et magnifique pièce qui a des accents ambient-drone-rock genre Oren Ambarchi - la recherche est brute, primitive et archaïque, mais tout de même inouïe. Kevin Drumm délivre ici sept pièces bruitistes crades et malsaines, où le silence et la puissance se taillent une place de choix, où le repos est régulièrement suivi d'une attaque sonore, non pas harsh, mais tout de même forte. Sept pièces de recherches instrumentales dérangées, sombres, dures, exploratrices et extrêmement innovantes. Recommandé.

Shift - Altamont Rising [LP/CD]

SHIFT - Altamont Rising (Cold Spring, 2014)
Dans une chronique sur deux, j'utilise la catégorie noise, ou je parle de bruitistes. Moins souvent, mais ça revient de temps à autre, je parle d'indus ou de power electronics. Pourtant, je ne crois pas avoir encore chroniqué un seul artiste qui soit clairement affilié à ces scènes. Je vais donc commencer avec Shift, un groupe originaire de Suède et aujourd'hui basé en Angleterre, un projet qui oscille clairement entre le power electronic (PE), l'indus et le hardcore. 

Vous l'aurez compris, l'heure n'est pas à la rigolade. Shift s'inspire ici de festivals qui ont marqué l'apogée et la fin du rock (Woodstock et Altamont). Au cours des morceaux, il semblerait qu'on en entende des extraits, des extraits d'un public en furie souvent. Mais c'est pas évident de distinguer, car tout est furie dans Shift. C'est brut, sauvage, animal, gras, lourd, sombre et malsain. Rythmiques martiales, indus et minimales, hurlements sludge/hardcore, parasitage électronique constant (plus des enregistrements étranges de pleurs), le tout saturé au maximum. Sans aucun doute, on est dans la plus pure tradition du PE avec ces boîtes à rythmes et cette voix en larsens. Mais du PE sûr de lui, du PE organique, avec une atmosphère très particulière qui se tient. Shift n'a pas besoin de toujours bouger, une idée sonore suffit pour chaque morceau. Une rythmique et c'est parti : le chant-hurlement peut évacuer toute la haine, la souffrance et la douleur du monde. A quoi 

Car les hurlements de Shift, aigus, nerveux, viscéraux, et perçants, n'ont rien à envier aux groupes de HxC. Shift hurle toute la noirceur du monde à lui tout seul - dans une ambiance proche du black métal comme le montrent aussi ses mises en scènes live. Shift, c'est du PE misanthropique comme le prévient le label Cold Spring, du PE noir, industriel, mais surtout d'une puissance et d'une force redoutables. Car Shift envoie l'auditeur par terre de par sa puissance sonore, et le plombe où il est de par sa noirceur. C'est un des meilleurs disques de noise et de PE que j'ai entendu depuis longtemps, mais ça ne peut plaire qu'aux amateurs je pense. 

[je ne regarde plus trop l'orientation politique et idéologique des musiciens, mais les milieux nihilistes et underground harsh et PE peuvent parfois laisser à désirer à ce niveau. bref, tout ça pour signaler le nom un peu douteux de l'initiateur de shift, kommando reinhardt, après, savoir à quel degré faut le prendre, c'est toujours le même problème. néo-nazie ou nihiliste provocatrice, sa musique défonce en tout cas]

Michael Pisaro - Transparent City

PISARO - Transparent City
(volumes 1&2)
(Wandelweiser, 2007)
Il y a dix ans, Michael Pisaro venait depuis peu de quitter Chicago pour s'installer en Californie. Sans pour autant l'utiliser concrètement dans les réalisations de ses pièces, le son de l'environnement était présent dans l'oeuvre de Pisaro, ce dernier lui portait déjà de l'intérêt. Cependant, à partir de ce moment, l'utilisation concrète de sons quotidiens enregistrés deviendra presque systématique, et ce notamment dans les enregistrements destinés à la publication, dans la plupart des réalisations destinées à être écoutées en disque. 

Entre 2004 et 2006, Pisaro a commencé à réaliser toute une série de field-recordings. Il s'agissait à chaque fois d'une prise de son simple réalisée à Los Angeles, dans un seul lieu, à des endroits stratégiques pour que rien ne ressorte, des endroits sans centre, des espaces flous sur lesquels Pisaro pointait un micro sans déplacement. De cette série d'enregistrements est née Transparent City, deux double CD monumentaux et épiques dans leur durée : ils dépassent les 4 heures et quarante minutes en effet. Chaque disque est composé d'une suite de six pièces de douze minutes : 10 minutes d'un enregistrement qui n'est pas édité, et deux minutes de silence. 

Les enregistrements retracent des non-évènements, captent des non-lieux, ils sont d'une quotidienneté et d'une banalité déroutantes. Ainsi, si on les écoute au volume conseillé, il est souvent difficile de distinguer ce disque de l'environnement sonore propre aux auditeurs. Du traffic urbain, le souffle du vent, quelques insectes et oiseaux, des conversations lointaines, le ressac de la mer, un restaurant, une salle de réunion, le traffic aérien lointain, etc. Pisaro nous plonge ici dans le quotidien le plus brut, un quotidien sans marques distinctives, un quotidien universel tel qu'on peut l'entendre chaque jour. Comme document sonore, c'est inintéressant : l'environnement est extrêmement banal et la prise de son est loin d'être de grande qualité. J'oubliais de dire que Pisaro utilise également quelques ondes sinusoïdales qu'il "glisse" dans ces enregistrements. Une intervention qui loin de mettre en valeur les enregistrements, fait plutôt office d'accompagnement et de fond sonore. 

PISARO - Transparent City
(volumes 3&4)
(Wandelweiser, 2007)
Mais étonnamment, je trouve tout de même cette série excellente. Car tout ce que je viens de dire pourrait avoir l'air d'être une critique, et pourtant non. Car d'un côté, il y a la durée. Ca peut mettre du temps, mais on finit par jouer le jeu, et ces disques peuvent nous accompagner une partie de la journée. Parfois on les oublie, parfois on se concentre, mais l'écoute est toujours dérangée. Quand on les oublie, tout se mélange : l'environnement diffusé et celui de l'auditeur. Et quand on se concentre, l'absence de repères mlusicaux traditionnels, d'intérêt sonore, et de formes, tout ceci nous pousse à chercher loin, toujours plus loin, la manière dont il faut écouter. Et c'est ce qui fait la richesse de cette suite épique je trouve. Transparent City est une véritable provocation à la perturbation de l'écoute. Comme si Pisaro nous demandait de chercher, vite, très vite, une solution à la manière dont on doit, ou peut, écouter la musique, le son, l'environnement sonore.

Il ne s'agit pas de composition avec le bruit, ni de remise en forme de la réalité acoustique, même si l'insertion de sinusoïdes s'approche de cette démarche (insertion toujours très juste et belle soit dit en passant), mais plutôt de questionnement sur l'écoute, d'une volonté de la déranger, de la remetre en question et de la perturber. Comment écouter le monde, la musique, et plus précisément les musiques minimales et extrêmes. Pisaro apporte un élément de questionnement supplémentaire plus que de réponse à cette interrogation en proposant cette suite épique, radicale, et austère. Pour l'instant, c'est certainement le travail le plus extrême et le plus radical que j'ai pu entendre de Michael Pisaro : une oeuvre perturbante, dérangeante, et monumentale. 

Jean-Luc Guionnet & Marc Baron [DL]

JEAN-LUC GUIONNET - Qlinam (Moka Bar, 2013)
Il n'y pas si longtemps, peu de personnes accordaient du crédit aux netlabels - et aujourd'hui encore tout le monde ne s'y intéresse pas, loin s'en faut. Il y a quelques années, le netlabel était considéré comme quelque chose de très amateur, une structure faite par des amateurs, pour des amateurs. Et je ne pense pas que beaucoup imaginaient qu'en 2013, on pourrait trouver un solo d'orgue en téléchargement gratuit. C'est pourtant bien ce qu'a fait Tim Blechmann sur son netlabel, en publiant Qlinam de Jean-Luc Guionnet, une longue improvisation de 45 minutes pour orgue.

Enregistrée en 2011 je ne sais pas dans quelle église et publiée en 2013, cette longue improvisation est dure, austère, et très vivante en même temps. Les lecteurs de ce blog connaissent l'intérêt que Guionnet peut porter au son dans sa réalité physique et dans sa relation à l'espace. C'est quelque chose qui a en grande partie façonné son jeu au saxophone, mais qui est complètement exacerbé à l'orgue. Peut-être est-ce cette pratique de l'orgue qui l'a amené à s'intéresser à ces paramètres par ailleurs, c'est peut-être le fait d'être organiste qui l'a conduit à envisager la musique de cette manière.

L'orgue est un instrument très vaste et imposant, au niveau acoustique surtout, pas au niveau spatial. Les lieux où ils reposent par contre le sont également, et offrent souvent une belle réverbération qui amplifient naturellement l'instrument. Une situation rêvée pour Guionnet qui en explore ici toutes les possibilités (enfin pas toutes, mais un large éventail en tout cas). Les deux claviers et le pédaliers sont la plupart du temps nettement séparés : un élément est utilisé de manière continue et linéaire, l'autre de manière heurtée, les médiums forment des nappes douces, les basses des drones simples, les medium-aigus des clusters brusques, les aigus des fréquences épurées. C'est une sorte de base qui est régulièrement renversée et inversée en fonction de la direction que Guionnet veut donner au son, en fonction de la place qu'il veut que l'acoustique prenne dans l'espace, mais aussi bien sûr en fonction de la densité, de l'intensité, de la couleur et du volume qu'il veut donner à la matière sonore. Guionnet utilise différentes combinaisons pour donner du relief et de la profondeur au son, mais également pour l'aplanir. Un reflief et des aplats qui ne sculptent pas que le son, mais également le fil que ce dernier suit, c'est à dire la progression, ou la forme.

Ici, l'orgue dicte la forme de la musique, c'est le relief, la profondeur, les contrastes, les différentes combinaisons et oppositions entre chaque partie de l'orgue, de même que l'intensité avec lequel il est joué, qui forment la musique dans sa dimension temporelle - ce qui la rend extrêmement vivante. Guionnet joue avec les différentes possibilités acoustiques de l'orgue pour créer une musique organique - en lien très fort avec l'interprète - vivante dans sa relation à l'espace et au son, très riche de manière abstraite, et extrême.

téléchargement (gratuit) et informations : http://mokabar.klingt.org/qlinam.html

JEAN-LUC GUIONNET & MARC BARON - Non Solo / Form Proof (Moka Bar, 2013)

Marc Baron est un saxophoniste alto français qui a poussé l’épure à son maximum et de manière très rapide, c’est certainement un des saxophonistes les plus extrêmes qu’il m’ait été donné d’entendre. Je l’ai découvert au sein du trio OZ et « jusqu’ici tout allait bien » j’ai envie de dire, le trio faisait une sorte de mélange entre les musiques amplifiées, le post-rock, le jazz et le free jazz, ça devait être en 2006 ou 2007. Puis avec ce même trio, au fil des concerts, leur musique est devenue de plus en plus abstraite, de plus en plus froide et se concentrait de plus en plus sur les fréquences extrêmes. Après il y a eu Propagations : un quartet avec Jean-Luc Guionnet, Stéphane Rives et Bertrand Denzler, quatuor de saxophones qui ne jouait que sur le souffle continu et les notes tenues. Et enfin, Marc Baron a commencé à travailler seul, avec une seule note, dans un registre aigu, toujours identique à elle-même, non sans rappeler Radu Malfatti, avec un aspect beaucoup plus froid et clinique. Et aujourd’hui j’apprends qu’il a arrêté le saxophone – un de plus sur la liste des saxophonistes désabusés peut-être.

Quoiqu’il en soit, avant d’arrêter le saxophone, Marc Baron a pris le temps de travailler avec un autre saxophoniste français très important : Jean-Luc Guionnet (qui ne joue ici qu’avec des enregistrements). Silences, bruits, saxophone. Ainsi pourrait se résumer les cinq pièces de Non Solo/Form Proof. Guionnet installe des enregistrements quotidiens, souvent bruts, parfois travaillés (comme cette mobylette inversée et mise en boucle à la fin), et rajoute par moments quelques bruits de synthèse électroniques. Les enregistrements sont très linéaires, instables, parasités et continus, avec un aspect narratif. A ses côtés, ou à l’opposé, Marc Baron joue la répétition, la monotonie, la froideur et le statisme. Une note, quelques secondes plus tard, elle revient, avec la même attaque, la même durée, une note toujours désincarnée, une note froide et mécanique qui laisse complètement oublier la présence de l’instrumentiste. A la limite, c’est la présence du silence et de Guionnet que l’on ressent le plus durant cette petite heure. Une présence pourtant pas très forte, ni très longue, mais qui paraît bien plus vivante et chaleureuse que le saxophone de Marc Baron. Mais c’est ce que je trouve formidable chez Marc Baron : cet effacement total et radical dans le son. Il n’y a plus aucune présence, plus aucune forme, plus aucun concept : juste un son, un silence, le même son, le même silence. C’est froid et mécanique, mais impressionnant car imperturbable. Qu’il y ait du silence ou des bruits, la présence de Baron est la même : effacée derrière une note simple et répétée (quand ce n’est pas un simple slap), mais pure, sans fioriture ni forme. Une ligne droite, abstraite, parfaite.

Je parle beaucoup de Marc Baron car c’est la première fois que je le chronique ici. Mais les enregistrements de Guionnet valent aussi le coup. Il parvient à s’insérer finement tout en assumant sa présence dans le monde de Baron. Ses enregistrements et bruits sont là, ils forment une continuité et semblent assurer une sorte de structure. Et pourtant, on ne parvient pas à saisir comment la musique se déroule, pourquoi, ni comment. Elle est juste là, comme ces enregistrements parfois naturels, parfois humains, parfois abstraits, souvent abstraits même. La rencontre de ces deux musiciens est saisissante : on ne sait pas ce qui va arriver, ni comment ça arrive, il s’agit d’une surprise constante, une surprise bien au-delà des recherches réductionnistes, une surprise toute en abstraction la plus dure et en simplicité la plus extrême. Recommandé.

téléchargement (gratuit) & informations : http://mokabar.klingt.org/nonsolo_formproof.html