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HONG CHULKI & AARON DILLOWAY - sans titre (Idiopathic, 2013) |
Hong Chulki &
Aaron Dilloway, voilà bien deux musiciens que je n'aurais jamais imaginé jouer ensemble. Et pourtant, la recontre en valait le coup. Les langages des deux musiciens sont vraiment différents, ils n'ont rien à voir même, mais c'est vraiment réjouissant de les entendre ensemble.
Hong et Dilloway semblent tous les deux faire des petits compromis, tout en conservant malgré tout son langage. On retrouve les cassettes mises en boucles, et les sortes d'étranges nappes analogiques de Dilloway, mais à très faible volume, des boucles espacées par de longs silences. Et de son côté, Hong se plonge dans des micro-phénomènes sonores réduits et minimalistes comme un très long larsen constant et suraïgu de plusieurs minutes, l'utilisation abrasive et à très faible volume de micro-contacts. Il semblerait que ce soit surtout Dilloway qui se soit adapté ici au langage de Hong, comme s'il s'effaçait derrière ce dernier. Et pourtant, c'est surtout Dilloway qu'on entend, car Hong Chulki aborde le son de manière vraiment abstraite et minimaliste.
Le duo propose une étrange plongée dans des phénomènes sonores lo-fi. Des cassettes, des micro-contacts, des larsens, le tout à faible volume, parfois caché sous le souffle de la cassette. Il n'y a rien de puissant - hormis quelques ruptures momentanées plus noise - tout se joue dans une attention et une exploration extrêmes des moindres phénomènes sonores, si petit soient-ils. Chacun des musiciens utilise son "instrumentarium" habituel, son langage, mais en l'adaptant à leur rencontre. Dans la mesure où on pouvait imaginer la rencontre de ces deux musiciens (ce que, je le répète, je n'aurais pas imaginé jusqu'à ce qu'ils le fassent), ils font ce qu'on pouvait attendre d'eux, et on se rend vite compte que contre toute attente, la rencontre fonctionne bien et explore des possibilités propres au langage de chacun qui n'auraient peut-être jamais vues le jour avant leur collaboration.
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AARON DILLOWAY - Medicine Stunts (Lal Lal Lal, 2014) |
Medicine Stunts est une cassette d'
Aaron Dilloway récemment publiée sur le label finlandais de Roope Eronen, dont je parlerai plus bas. Une cassette d'une face composée d'enregistrements réalisés entre 2009 et 2013. Inévitablement, on retrouve bien sûr des tape loops. Des boucles de cassettes avec des enregistrements plutôt ambient. Il s'agit ici d'une musique lente, calme, posée. Aaron Dilloway ne joue pas sur la superposition d'enregistrements, ni sur la saturation ou la distorsion des boucles, mais pose calmement des nappes ambient analogiques. Des nappes lointaines et étranges, sombres et malsaines souvent. Malsaines notamment grâce à l'effet produit par tout ce que Dilloway ajoute par-dessus ces nappes. Tout un bric à brac de roues, de rouages et de pichets d'eau amplifiés. Avec un final encore plus grotesque où Aaron Dilloway siffle un air que n'importe quel western n'aurait pas renié.
En gros, c'est certainement une des cassettes les plus décalées et étranges que j'ai pu entendre de ce génie des tape loops. Une des plus abstraites aussi, au sens où elle n'appartient à aucune catégorie musicale, parfois proche de la musique concrète certes, parfois, aussi, proche de l'ambient bien sûr, mais toujours à côté de tout. Une cassette qui ne rentre dans aucune case, et qui en est fière en somme. Aaron Dilloway propose ici une conception unique de la musique concrète et électroacoustique vue en tant que musique grotesque, sombre et décalée. Conseillé en tout cas, comme toujours. C'est peut-être moins noise qu'auparavant, mais c'est plus décalé, inventif.
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NUSLUX - Repeat Master II (Lal Lal Lal, 2014) |
Roope Eronen est l'homme qui dirige le label de cassettes Lal Lal Lal, mais c'est aussi un musicien spécialisé dans les boucles de cassettes et le synthé analogique bien cheap, qui joue sous le nom de
Nuslux. Simultanément ou presque à la sortie de
Medicine Stunts, cet artiste finlandais publiait également une cassette solo intitulée
Repeat Master II. Nuslux utilise ici deux magnétophones cassettes et un synthétiseur Roland des années 70 (monophonique et bien cheap). Il n'y a quasiment que des éléments de pop et de musique électronique en vogue dans les séries américaines des années 80 sur les enregistrements, de la même manière le synthé fait référence à ces musiques aussi. Nuslux cumule les mélodies mielleuses et les passe au filtre d'une reverbération tout aussi grotesque. Mais au final, l'accumulation de strates niaises forme une musique vraiment étrange. Une sorte de pop déviante, une espèce de noise doux et mélodique, mais bien décalé. La musique de Nuslux joue sur bien sûr sur les parasites propres aux vieux matériels, mais aussi sur le détournement d'instrus et de sonorités très populaires. Il s'agit plus de détournement que d'exploration de certains outils/instruments/modes de jeux. Un détournement déviant, extraterrestre, surréaliste, niais, mielleux et grotesque. Bon travail.