PISARO - Transparent City (volumes 1&2) (Wandelweiser, 2007) |
Entre 2004 et 2006, Pisaro a commencé à réaliser toute une série de field-recordings. Il s'agissait à chaque fois d'une prise de son simple réalisée à Los Angeles, dans un seul lieu, à des endroits stratégiques pour que rien ne ressorte, des endroits sans centre, des espaces flous sur lesquels Pisaro pointait un micro sans déplacement. De cette série d'enregistrements est née Transparent City, deux double CD monumentaux et épiques dans leur durée : ils dépassent les 4 heures et quarante minutes en effet. Chaque disque est composé d'une suite de six pièces de douze minutes : 10 minutes d'un enregistrement qui n'est pas édité, et deux minutes de silence.
Les enregistrements retracent des non-évènements, captent des non-lieux, ils sont d'une quotidienneté et d'une banalité déroutantes. Ainsi, si on les écoute au volume conseillé, il est souvent difficile de distinguer ce disque de l'environnement sonore propre aux auditeurs. Du traffic urbain, le souffle du vent, quelques insectes et oiseaux, des conversations lointaines, le ressac de la mer, un restaurant, une salle de réunion, le traffic aérien lointain, etc. Pisaro nous plonge ici dans le quotidien le plus brut, un quotidien sans marques distinctives, un quotidien universel tel qu'on peut l'entendre chaque jour. Comme document sonore, c'est inintéressant : l'environnement est extrêmement banal et la prise de son est loin d'être de grande qualité. J'oubliais de dire que Pisaro utilise également quelques ondes sinusoïdales qu'il "glisse" dans ces enregistrements. Une intervention qui loin de mettre en valeur les enregistrements, fait plutôt office d'accompagnement et de fond sonore.
PISARO - Transparent City (volumes 3&4) (Wandelweiser, 2007) |
Mais étonnamment, je trouve tout de même cette série excellente. Car tout ce que je viens de dire pourrait avoir l'air d'être une critique, et pourtant non. Car d'un côté, il y a la durée. Ca peut mettre du temps, mais on finit par jouer le jeu, et ces disques peuvent nous accompagner une partie de la journée. Parfois on les oublie, parfois on se concentre, mais l'écoute est toujours dérangée. Quand on les oublie, tout se mélange : l'environnement diffusé et celui de l'auditeur. Et quand on se concentre, l'absence de repères mlusicaux traditionnels, d'intérêt sonore, et de formes, tout ceci nous pousse à chercher loin, toujours plus loin, la manière dont il faut écouter. Et c'est ce qui fait la richesse de cette suite épique je trouve. Transparent City est une véritable provocation à la perturbation de l'écoute. Comme si Pisaro nous demandait de chercher, vite, très vite, une solution à la manière dont on doit, ou peut, écouter la musique, le son, l'environnement sonore.
Il ne s'agit pas de composition avec le bruit, ni de remise en forme de la réalité acoustique, même si l'insertion de sinusoïdes s'approche de cette démarche (insertion toujours très juste et belle soit dit en passant), mais plutôt de questionnement sur l'écoute, d'une volonté de la déranger, de la remetre en question et de la perturber. Comment écouter le monde, la musique, et plus précisément les musiques minimales et extrêmes. Pisaro apporte un élément de questionnement supplémentaire plus que de réponse à cette interrogation en proposant cette suite épique, radicale, et austère. Pour l'instant, c'est certainement le travail le plus extrême et le plus radical que j'ai pu entendre de Michael Pisaro : une oeuvre perturbante, dérangeante, et monumentale.