PETER ABLINGER - Augmented Studies (World Editions, 2014) |
La première des pièces s'intitule Hypothesen über das Mondlicht (hypothèse sur la lune). Il s'agit d'une pièce écrite en canon polyphonique et polyrythmique très complexe. Seize flûtes enregistrées les unes par-dessus les autres jouent des sortes d'arpèges microtonaux de manière hyper régulière et toujours légèrement décalée. Les attaques et le volume assez fort sont toujours sensiblement identiques, de même que la durée très brève des notes (jouées en double ou triple croche avec environ une mesure de quatre temps de silence entre chacune, pour chaque flûte). Puis vient en deuxième lieu la magnifique SS Giovanni e Paolo, malheureusement trop courte à mon goût : trois flûtes font de long glissandi dans les basses et sont accompagnées d'un enregistrement d'un hall à forte réverbération mais déserté. Une belle pièce aux allures maritimes et sombres, très touchante et envoûtante. La troisième pièce présentée est certainement la plus dure et la plus austère de toutes. Il s'agit d'une pièce microtonale encore pour trois flûtes, la première normalement tempérée, et les deux autres étendues à 13 et 15 demi-tons. Durant 18 minutes divisées en courtes parties d'une minute, Erik Drescher superpose des phrases atonales et liées, très froides et dures, sur un même tempo, des phrases redondantes bien sûr, sans début ni fin, avec la même intensité et bien évidemment, en jouant au maximum sur les dissonances. Puis le disque se termine avec Moiréstudie für Chiyoko Szlavnics. 22 flûtes sont divisées en deux groupes égaux. Le premier joue un cluster diatonique qui fait évidemment largement penser à un accordéon, ou autres instruments à lamelle, et fait descendre ce cluster en glissando très lent durant un peu plus de vingt minutes. Quant au deuxième groupe, il joue ce même glissando, mais à une vitesse beaucoup plus rapide, et qu'il répète constamment, avec un départ par seconde presque. Les notes se rencontrent et se quittent constamment, la structure est très carrée et répétitive, mais le résultat est un mouvement constant du son. Il s'agit du même cluster, mais toujours animé d'une manière différente en fonction des consonances et des dissonances qui évoluent toujours. D'une certaine manière, on pense aux masses sonores de Phill Niblock, mais ici, ce serait une sorte de drone baroque, écrit en contrepoint en quelque sorte, et beaucoup plus mouvementé, tellement qu'on pourrait presque parler de fioriture (microtonales bien sûr, du fait des glissandi). En tout cas, cette pièce est vraiment remarquable et forme un des plus beaux clusters que j'ai entendu peut-être depuis les Thrènes de Penderecki et les drones de Niblock.
Bon, une heure de flûtes microtonales, j'avoue que ce n'est pas évident à écouter, dans la durée c'est assez dur à tenir. Mais prises individuellement, ces quatre pièces valent vraiment le coup de s'y intéresser. La première et la troisième sont vraiment bien écrites certes, mais la deuxième et la quatrième, en plus d'être très bien construites, sont aussi magnifiques et poignantes.