MICHAEL PISARO - black, white, red, green, blue (voyelles) (Winds Measure, 2010/2014) |
Le premier disque est une réalisation de black, white, red, green, blue à proprement parler par Barry Chabala seul. Il s'agit ici d'une réalisation d'une heure, jouée réellement avec brio. La pièce est divisée en cinq parties d'une dizaines de minutes, cinq parties ne comprant qu'un seul élément sonore chacune, et bien sûr une omniprésence du silence. Quand Barry Chabala joue des accords pincées lumineux, la proportion entre l'intensité de l'attaque et la durée d'évanouissement du son est toujours très juste, très équilibrée, tout comme la durée du silence qui entrecoupe chacun de ces accords. De la même manière, quand Chabala utilise un ebow sur la corde de mi de sa guitare pour une sorte de drone ombrageux et sombre, il le fait avec une grande notion d'équilibre entre la linéarité de la note et son intensité. Ce n'est pas joué à très faible volume, non, et pourtant on passe du son au silence sans s'en rendre compte, et c'est ce que je trouve vraiment fort. Il y a une sorte de monotonie qui est, malgré les contrastes, plutôt saisissante. Les répétitions sont quasiment identiques, rien ne change dans l'attaque, le volume, la durée et la couleur du son, elles s'approchent de la perfection mécanique. Barry Chabala propose une réalisation vraiment sensible, équilibrée, et juste de cette composition qui réclame beaucoup d'attention, de concentration et d'ingéniosité.
Quant au deuxième disque, il est carrément magique à mon goût. Il s'agit d'une sorte de "remix" si l'on peut dire, réalisé par Pisaro lui-même, et intitulé voyelles. L'enregistrement initial de Chabala est repris tel quel par le compositeur, mais simplement remonté avec quelques sinusoïdes et souffles de cassette édités. Il n'y a pas de transformation réelle de l'enregistrement, et pourtant, la nature de ce dernier est complètement modifiée et transformée par ces ajouts minimalistes. Là où la réalisation de Chabala paraît volontairement froide, monocorde et presque monotone, le remix de Pisaro transforme cet enregistrement en une pièce lumineuse, vivante, organique et extrêmement sensible. Les accords gagnent en luminosité, le silence gagne en profondeur, la structure perd de sa clarté pour gagner en narrativité. Les quelques sinusoïdes et souffles de cassette modifient considérablement la façon dont on perçoit la guitare. Chaque intervention instrumentale devient dès lors beaucoup plus riche, plus forte, plus sensible et plus vivante. Quand sur l'original la guitare se fondait dans le silence et inversement, sur le remix, au contraire, chaque intervention est comme une illumination, elle apparaît avec une présence émotionnelle beaucoup plus forte. Il ne s'agit pourtant que de jouer avec des fréquences simples, mais quand on voit le résultat, ce disque démontre encore une fois la connaissance intime et précise que Pisaro a des réalités acoustiques, il sait parfaitement comment manier les sons, même les plus simples, pour leur donner les couleurs qu'il veut. Il sait trouver la fréquence fondamentale d'une guitare comme d'un souffle de cassette pour jouer avec lui en collant les sinusoïdes parfaites pour l'enrichir et le faire vivre. Et c'est là toute la magie des réalisations de Pisaro.
Une réalisation très "wandelweiserienne" de Chabala, accompagnée d'un remix magnifique de Pisaro, pour une sorte de collaboration à distance simplement belle. Conseillé comme toujours.
[et en plus, c'est sans parler du magnifique coffret réalisé par Ben Owen, qui comme toujours pour son label, a réalisé une des plus belles et originales pochettes de CD que j'ai vu]