JOHN CAGE - Early Electronic and Tape Music (Sub Rosa, 2014) |
Il n'est pas nécessaire de décrire chaque pièce, on trouve déjà de nombreuses analyses de chacune un peu partout. Le disque commence avec une réalisation simultanée de Fontana Mix et de Aria (par la chanteuse Catherine Carter). Les radios, les bandes et synthétiseurs s'entremêlent avec le chant, les sifflements, les pleurs et les toux de l'Aria. Une musique de collage, de bricolage, de manipulations de bande, une musique inventive et virtuose. Fontana Mix multiplie les sources et perd l'auditeur avec sa vitesse et son énergie souvent, un peu à la manière de Imaginary Landscape n. 5, cette pièce composée uniquement à partir de bandes collées et assemblées, composée à partir d'enregistrements de Vivaldi, Mussorgsky et de nombreux autres. Les phrases et les séquences sont généralement jouées en entier, mais le collage leur fait perdre toute qualité proprement musicale pour ne fai0re plus qu'une sorte de bruit du monde indistinct.
Le bruit, c'est bien l'élément fondamental des trois dernières pièces de ce disque : Cartridge Music, 0'00", et Variations I (réalisée ici à l'aide phonographes, de cassette, de radio et de spoken word). C'est étrange, car d'un côté, l'utilisation de matériel "ancien" amène des sonorités abrasives et étouffées, mais en même temps, on ressent tout de suite le décalage car ce ne sont pas les mêmes techniques d'enregistrement, et il y a par conséquent tout de même un son très moderne. De plus, l'utilisation prépondérante des radios amène inévitablement un autre élément contemporain (une radio ne pouvait diffuser de la techno en 1958...). En tout cas, ces trois dernières pièces sont réalisées avec beaucoup de rigueur, de minutie et de dextérité. Il s'agit de pièces qui jouent beaucoup sur l'amplification de phénomènes et d'actions sonores minimales et quotidiennes, qui demandent tout de même une grande précision, ce que leur accorde très bien le Langham Research Center.
Et puis il y a WBAI, pièce de 1960 publiée pour la première fois, et on se demande pourquoi. Chaque "musicien" (ou devrais-je dire technicien du son) ne joue que sur un outil et n'utilise que des sons similaires (une sinusoïde pour l'oscillateur, un seul enregistrement pour le phonographe, un bruit blanc avec une sinus dominate pour le synthé, et une radio). Il s'agit ici d'une pièce de sept minutes divisée en une multitudes de petits blocs indépendants. Chaque musicien, de manière autonome, joue un son continu ou discontinu durant 1 à 5 secondes, puis laisse un silence d'une durée qui varie de la même manière entre 1 et 5 secondes. Une pièce complètement discontinue et faite uniquement de ruptures et d'oppositions fracassantes entre le bruit et le silence. Donc oui, pour WBAI et pour la très étrange réalisation de Variations I, je ne peux que conseiller ce disque.
Le Langham Research Center propose en somme des réalisations très traditionnelles de ces oeuvres électroniques (avec du matériel restauré ou retrouvé), des réalisations assez attendues en tout cas car je ne sais pas s'il y a vraiment une "tradition". Mais tout de même, ces pièces sont réalisées avec une virtuosité, une précision, et une grande sensibilité au son et aux partitions. C'est souvent extrême, dans le bruit comme dans la minutie, et très attentif aux indications de Cgae. Et ce groupe sait aussi faire preuve d'inventivité, à l'image de cette excellente et par contre très inattendue réalisation de Variations I, une interprétation proche de la musique concrète dans une atmosphère très énigmatique, à moitié paranoïaque et surtout complètement décalée avec ces douces voix qui semblent surgir d'un sous-marin inconsciemment perdu.