[insubordinations]

Quiexas - Eye of Newt (insubordinations, 2013)

Quiexas est un trio qu'on avait déjà pu rencontrer sous le nom de diatribes & Abdul Moimême (voir ici). Il s'agit donc du guitariste portugais en compagnie de Cyril Bondi (grosse caisse et objets) et de d'incise (ordinateur & objets). Les trois musiciens nous proposent ici une musique calme et atmosphérique, où les sources instrumentales, acoustiques, électroniques et électriques se mélangent au profit d'une masse légère et homogène. Quiexas joue sur la longueur, sur de longs larsens sereins accompagnés de peaux délicatement frottées et de cordes inlassablement et délicatement  triturées par des barres en métal. On a du mal la plupart du temps à déterminer les sources sonores, si elles sont instrumentales ou s'il s'agit d'objet, si elles sont amplifiées, électroniques ou acoustiques. Tout se fond en une atmosphère singulière, une atmosphère granuleuse et industrielle, souvent minimaliste à tendance réductionniste, qui s'étire longuement et accumule les répétitions. Il y a une sorte d'ombre, de résonance ou de spectre qui plane au-dessus de chaque note, une ombre qui rend l'atmosphère du trio quelque peu fantomatique et fantastique même si ce dernier présente sa musique comme une "présence matérialisée". Une très belle suite de trois pièces singulières en tout cas, avec une ambiance électro-industrielle forte et prononcée, tout en se maintenant dans des formes réduites et pleines de prestance.

[présentation, informations, extrait et téléchargement gratuit: http://www.insubordinations.net/releasescd09.html]

Abdul Moimême - Mekhaanu - La forêt des mécanismes sauvages (insubordinations, 2013)

Avec un titre comme ça, digne d'un fan de Magma et amateur de zeuhl, on pourrait s'attendre à un énième disque de RIO ou à un hommage à Coltrane. Mais il n'en est rien. Avec ce deuxième solo, Abdul Moimême continue d'explorer la même installation de guitare qu'il utilise depuis maintenant quelques années. Deux guitares électriques, munies d'un ampli et d'un pré-ampli, sur lesquelles sont installés différents objets, la plupart du temps métalliques. Les cordes sont ainsi mises en résonances par différents résidus mécaniques et industriels, et un aspect irrémédiablement industriel surgit de ces improvisations où une large place est accordée aux résonances de manière générale. C'est bien ce son métallique, et ces résonances interminables, qui sont autant de rappels à un univers industriel et manufacturier. Mais si ces pièces rappellent des usines, ce sont des usines désaffectées, vidées de leur substance et de la présence humaine. Car l'univers d'Abdul Moimême est tout de même assez abstrait et glisse le long d'une temporalité assez lente et étirée. D'où, une fois que l'on pénètre dans le son en tant que tel et au-delà de ces références, la possibilité sonore d'évoquer une multitude de paysages. Des paysages fantomatiques et abrasifs, abstraits et résiduels, nuageux et ombragés, ou lumineux et spectraux. Tout dépend de l'humeur et de la pièce écoutée. Un travail sur le son personnel et intéressant, qui s'inspire des préparations de Keith Rowe tout en utilisant l'intensité et la persévérance du drone ou du sludge, avec une utilisation inventive et réduite des guitares, des préparations, des dispositifs et de l'installation sonore.

[présentation, informations, extrait & téléchargement gratuit: http://www.insubordinations.net/releasescd08.html]

Insub Meta Orchestra - Archive #2 (insubordinations, 2012)

Sept mois après une première publication sur le même label, l'IMO revient avec deux pièces d'environ vingt minutes chacune. On retrouve de nombreux musiciens présents lors de la première session, d'incise et Cyril Bondi bien sûr, mais aussi Bertrand Gauguet, Christian Müller, Christoph Schiller, Dragos Tara, Hans Koch, Jacques Demierre, Rodolphe Loubatière, Sébastien Branche, Yann Leguay, et de nombreux autres... Et à vrai dire, peu importe qui joue, car toutes les personnalités s'effacent sous la direction de Bondi et de d'incise... Notamment lors de la première pièce présentée ici, un long drone composé de notes étirées au maximum, de longues fréquences qui s'ajoutent les unes aux autres pour former une grande masse sonore qui évolue et grossit très progressivement jusqu'à ce qu'elle s'évanouisse dans le silence. Une pièce très belle, homogène, où la masse s'enrichit de manière minimaliste et presque insensiblement. Quant à la seconde et dernière pièce, il s'agit d'une succession de blocs sonores qui trouvent leur cohésion dans le timbre et les instruments. Tout commence avec des frottements de cordes principalement, mais aussi d'objets et de sons abstraits par exemple, puis, petit à petit, on arrive à une magnifique strate composée de souffles mis en résonances par les instruments à vent, des souffles forts et puissants. Puis on glisse lentement vers un autre bloc composé de fréquences et de hauteurs plutôt basses, et ainsi de suite.  L'IMO se dirige apparemment vers une forme d'improvisation de plus en plus contraignante, mais aussi et surtout de plus en plus cohérente et limpide, et trouve ainsi une intensité et une puissance rares pour un si gros orchestre. Hâte d'entendre leurs prochains travaux.

[présentation, informations, extrait & téléchargement gratuit: http://www.insubordinations.net/releases40.html]

[al maslakh]

Charbel Haber -  It ended up being a great day, Mr. Allende (Al Maslakh, 2012)

Premier solo du guitariste libanais Charbel Haber (qu'on peut entendre dans le groupe Scrambled Eggs), It ended up being a great day, Mr. Allende est une suite de quatre longue pièces orientées vers un  post-rock parfois proche du drone. Avec ces deux derniers disques, le label Al Maslakh s'écarte de l'improvisation libre pour deux publications beaucoup plus rock.

Des longues nappes, cordes ouvertes laissées en résonances, des textures qui rappellent un orgue électrique, textures où s'accumulent au fur et à mesure des pièces des strates de plus en plus imposantes. Charbel Haber pense ses pièces avec un sens aiguisé de la temporalité et de la couleur. La construction en strate se fait sur la longueur, sur un temps lisse qui n'est jamais ennuyeux, et qui révèle une facette toujours nouvelle de la construction sonore en cours. Je ne sais pas si c'est original par rapport aux autres groupes de post-rock, car je ne connais pas vraiment cette scène, mais j'ai quand même l'impression que Haber se rapproche ici d'une musique plus drone, comme une sorte de post-drone. En tout cas, Charbel Haber possède un sens de la mélodie et de l'harmonie assez exceptionnel pour de la musique expérimentale, d'une mélodie cosmique qui peut s'étirer dans une temporalité extérieure à nos perceptions habituelles, ce qui peut par contre se retrouver chez de nombreux groupes de post-rock. Peut-être se démarque-t-il d'eux surtout pour l'approche plus électronique et moins orchestrale que certains (je pense à Godspeed! You Black Emperor par exemple). En tout cas, original ou non, il s'agit d'une suite dont la construction est riche, complexe et précise, un travail de longue haleine, mûr et réfléchi, où les textures déployées révèlent des univers et des ambiances surprenants, variés et envoûtants.

Dead Country feat. Alfred 23 Harth - Gestalt et Death (Al Maslakh, 2012)

Dead Country est un quartet entre rock et improvisation libre originaire de Turquie. On y retrouve le leader de konstruKt Umut Çağlar (guitare électrique, synthétiseur monophonique, tape delay) en compagnie de Şevket Akinci (guitare électrique), Murat Çopur (basse électrique) et Kerem Öktem (batterie & percussions). Pour cet album publié sur le label Al Maslakh, on retrouve également le musicien allemand Alfred 23 Harth, au saxophone alto principalement, mais qui se permet également quelques excursions vocales, à la clarinette et à l'électronique. Ce dernier a collaboré plusieurs fois avec John Zorn, avec l'orchestre jazz d'Otomo Yoshihide ou encore avec des membres de Zu. Autant d'influences qu'on retrouve au sein de ces sept morceaux orientés vers une sorte de free-rock, assez saturée et énergique. Parfois, quelques teintes de funk, de punk ou de dub apparaissent, mais elles sont la plupart du temps noyées dans l'aspect free-noise de ce quintet. Un quintet qui sonne très fin des années 90, début 2000 en somme, très Zornien, genre Painkiller pour l'énergie et Naked City pour les collages et l'aspect éclectique. L'énergie est là bien sûr, avec un aspect très boute en train et assez surprenant, mais c'est tout de même déjà entendu. Ravira certainement les fans de free-rock, mais pour ma part, je trouve quand même que ça manque d'innovation, même si c'est plutôt agréable à écouter.

[fataka]

D'un côté, je suis partagé sur le pullulement de labels, notamment depuis l'arrivée d'internet. Mais là, avec Fataka, qui a commencé à publier en fin d'année dernière, je me dis que ça fait quand même du bien de voir arriver de nouveaux labels de très haute qualité. Un label de plus bien sûr, qui pourrait nous y perdre, mais avec seulement quatre publications, ce label se révèle très prometteur pour l'instant, et n'offre que de la musique improvisée de très haute qualité. Après le duo Matthew Shipp/John Butcher et le trio John Coxon/Evan Parker/Eddie Prevost, Fataka revient avec encore deux nouvelles et excellentes publications d'improvisation libre.

John Edwards / Okkyung Lee - White Cable/Black Wires (Fataka, 2013)

Depuis les débuts de l'improvisation libre, on a compris que l'Angleterre était LE pays par excellence où l'on avait le plus de chance d'entendre les meilleurs créations de cette musique. Ce qui est plus étonnant, c'est que cette situation semble perdurer, en tout cas pour une partie de cette musique (efi), qui a aussi tendance à se figer. Mais en même temps, avec ce duo, du contrebassiste John Edwards et de la violoncelliste Okkyung Lee, tout semble indiquer que les possibles restent encore ouverts.

Même si certains codes restent en œuvre, on ne peut pas nier l'inventivité et la créativité mises en œuvre par ce duo (enregistré dans une chapelle par Sebastien Lexer). Car John Edwards & Okkyung Lee jouent sur de nombreuses inventions mélodiques, sur des rythmiques complexes qui s'enchevêtrent, et sur des sonorités inattendues. L'improvisation est libre des codes musicaux passés, mais également des codes propres à l'improvisation libre, en ce sens qu'elle refuse pas systématiquement ni méthodiquement mélodies et pulsation par exemple, tout en produisant une musique qui se fonde aussi sur des techniques étendues et des textures nouvelles. Car rien que l'instrumentation a quelque chose de nouveau dans cette formule, une instrumentation de musique de chambre incomplète.

Et c'est peut-être cet aspect tronqué qui donne au duo toute cette énergie, une énergie incroyable qui semble tenter à tout prix de combler les lacunes des cordes manquantes, en raclant des harmoniques ou en jouant des double-cordes. Car sur ces cinq improvisations, généralement réactives et fortes, il y a un aspect énergique et puissant omniprésent, avec une tension présente même lors des passages plus calmes et contemplatifs. On ne se lasse pas de ce duo, on aimerait que ça dure, et on se laisse facilement happé par cette interaction profonde, où les jeux de question-réponse sont aussi créatifs que l'inventivité de chacun pris individuellement. Un grand moment d'improvisation libre, organique, viscéral, puissant, créatif et sans concession, qui redonne de la fraîcheur et de la vigueur à cette musique. Recommandé.


Pat Thomas - Al-Khwarizmi Variations  (Fataka, 2013)

Des variations dédicacées au mathématicien perse Al Khawarizmi, une reproduction d'une céramique mamelouk (ces esclaves insoumis qui renversèrent et prirent le pouvoir à de nombreuses reprises en Egypte, en Syrie et en Irak) datant du XVe siècle, autant de références aux civilisations arabes et persanes qui ne paraissent pas avoir grand chose en commun avec ce solo de piano de Pat Thomas. Mais bon, vu la cote du Hedjaz, de l'Iran, du Machrek et de l'Egypte à l'heure actuelle, je reste reconnaissant devant cet hommage même s'il est incongru.

Car avec ce solo, Pat Thomas ne semble s'inspirer en rien des musiques arabes, persanes ou kurdes, il n'est pas du tout question de maqâm (sous ses formes arabes, ottomanes, ouzbeks, kurdes ou persanes) ni de sama' ou d'une quelconque forme de musique populaire - profane ou sacrée - originaire du Moyen-Orient. Pat Thomas est ici ancré dans une exploration au contraire typiquement occidentale d'un instrument archétypal de l'Occident - le piano. Mais en dix variations, Pat Thomas en explore une multitude de possibilités. Des possibilités purement sonores grâce aux préparations, des possibilités polyrythmiques, tonales et mélodiques, atonales, dynamiques. Avec autant d'aisance, Pat Thomas joue ici sur les inflexions, les attaques, les modes de jeux, l'opposition entre consonance et dissonance, entre musique pulsée et lisse. Pat Thomas glisse d'un registre à un autre selon les variations. Le piano paraît ici être visité et revisité selon tous les modes possibles, une relecture monumentale, virtuose et surtout inventive d'un instrument pourtant déjà largement exploré. Une démonstration de force vraiment créative, intense, profonde et encore organique. Conseillé à tous les amateurs de piano.

MICHEL DONEDA

Doneda / Lasserre / Pontevia - Miettes et Plaines (Petit Label, 2012)

Enregistré au cœur du vignoble de Saint-Emilion dans les chais d'un château, Miettes et Plaines, publié par le Petit Label, est un concert à l'instrumentation plutôt originale. On y retrouve Michel Doneda aux saxophones soprano et sopranino (ainsi qu'à la radio) entouré de deux percussionnistes: Didier Lasserre (caisse claire et cymbales) et Mathias Pontevia (batterie horizontale).

Un casting impressionnant, pour une musique étonnante et poétique. Les trois musiciens nous proposent ici un voyage éclairé, aéré, et spacieux. Des improvisations calmes, qui se baladent avec langueur sur des coteaux de peaux et des sommets d'harmoniques et de polyphoniques. Ceci-dit, l'intensité et la puissance son parfois de la partie, et ces moments sont tout aussi jouissifs. La notion d'espace est appréhendée avec finesse, jamais les trois musiciens ne se marchent dessus, chacun a sa place, une place qu'il tient souvent sur la longueur. Les idées sont tenues longtemps, et se chevauchent parfois, ou sont appuyées par une autre idée. Place au silence, aux dynamiques surprenantes et hautes en reliefs et en couleurs. Des couleurs qui ne manquent pas grâce à la virtuosité de chacun, aux techniques étendues multiples et connues de Doneda, à la persévérance de Lasserre, et à la sensibilité de Pontevia qui manipule peaux et cymbales avec un sens de l'à-propos détonant. Comme chacun de ses compagnons j'ai envie de dire en même temps. Car oui, l'écoute est profonde, tout comme l'écoute du lieu, de l'espace, ainsi que l'attention aux textures - individuelles et collectives, au silence et aux résonances. La rencontre improbable de ces instruments est donc surprenante pour ces aspects, pour tout cet espace très dégagé qui se déploie sous nos oreilles, pour cette unité et cette cohésion dans les textures, pour la langueur et la douceur de cette errance dans les coteaux de Saint-Emilion.

Michel Doneda & Pierre-Olivier Boulant - Sopranino/Radio (Fringes, 2003)

A l'occasion de la sortie de ce nouveau trio plutôt excellent, j'en profite pour revenir sur un ancien projet de Michel Doneda paru il y a maintenant dix ans. Il s'agit donc ici d'un duo encore plus surprenant, aujourd'hui encore, un duo comme son titre l'indique pour saxophone sopranino et radio, ou "microphonographies", en compagnie de Pierre-Olivier Boulant.

Un projet franchement étonnant donc, notamment dans sa structure. En effet, Sopranino/Radio est composé de 63 pièces qui ne durent pas plus d'une minute, et d'une longue pièce de 40 minutes. Un format singulier, pour des pièces qui se suivent sans que l'on remarque tellement les coupures. Un rythme particulier s'installe, le rythme d'une fresque minimaliste où les très discrètes "phonographies" de Boulant se fondent littéralement dans le saxophone sopranino de Doneda. Souffles et fréquences radios se confondent aussi bien que les harmoniques avec les fréquences suraiguës. Dans la dernière pièce, les textures ne sont jamais développées très longtemps, un silence les coupe avant de passer à autre chose, une autre chose abstraite et assez proche de ce qui la précédait. C'est pourquoi il est difficile de vraiment délimiter cette pièce des autres qui sont construites de la même manière, des touches colorées et des points minimalistes qui se ressemblent et se succèdent à l'infini.

Un duo remarquable et étonnant qui ne perd ni de sa fraîcheur ni de sa singularité dix ans après.

deszpot

Regina Dürig, Christian Müller, Frank Heierli & Beni Weber - Inventuren (Deszpot, 2012)

Inventuren est une suite de 24 pièces de musique électroacoustique et de textes récités. Les textes, entre la prose sensible et la poésie réaliste, "24 miniatures", sont lus et écrits par Regina Dürig, une jeune poète allemande qui réside en suisse. Quant au musicien, on trouve Christian Müller, fondateur de ce nouveau label qui publie ce disque, à la clarinette contrebasse et à l'électronique, Beni Weber au violoncelle et Frank Heierli à la batterie et à l'électronique. La voix uniquement parlée est monotone, les textes sont fondés sur la répétition, et à ses côtés la musique (improvisée la plupart du temps) est principalement électronique et souvent assez minimaliste. L'univers produit par ces quatre artistes sort des catégories et des étiquettes, il s'agit avant tout d'une tentative et d'une expérimentation pluridisciplinaire, il s'agit de faire cohabiter l'écriture, la poésie, la musique et l'improvisation. Ces 24 propositions sont en ce sens plutôt réussie, il y a une véritable communauté artistique où chacun a sa place en-dehors et à l'intérieur de sa fonction (musicale, sonore, signifiante, littéraire, etc.). Les quatre individus sont un appui pour chacun, ce n'est pas une musique d'accompagnement et la voix n'est pas en mode soliste ni récitative et uniquement chargée de sens. Ceci-dit, la musique manque parfois de consistance et l'aspect répétitif et monotone peut paraître redondant ou rébarbatif. Une tentative néanmoins intéressante et originale de conciliation des disciplines fondée sur l'intimité et une bonne écoute.

[informations, présentations & extraits: http://www.deszpot.ch/desz002_e.html]

Marc Lardon Solo -  Mörder in der Pulvermühle (Deszpot, 2012)

Également paru sur le label suisse Deszpot, Mörder in der Pulvermühle est un solo de Marc Lardon pour clarinette basse, contrebasse et électronique analogique. Il s'agit de six pièces enregistrées dans une immense usine désaffectée à la réverbération colossale. Des improvisations qui paraissent complètement composées dans la mesure où il s'agit de pièces polyphoniques d'une précision assez rare. Des pièces qui évoquent des marches symphoniques, mais aussi le rock progressif et RIO pour l'aspect martial et binaire de certains passages. Marc Lardon superpose les couches électroniques, acoustiques et la réverbération, et il en résulte un son unifié, lourd, saturé, très proche du rock (on croirait même entendre des riffs de death à certains moments). Les sources sonores sont souvent indistinctes, car la musique de Lardon a quelque chose de massif et lourd, de gras et pesant, malgré l'aspect polyphonique qui laisserait supposer une claire distinction des couches de son. de manière plus générale, c'est assez intense et plutôt prenant et enivrant - c'est assez plaisant en somme. Une musique qui plaira surement aux fans de Colin Stetson (pour l'utilisation spectaculaire de l'instrument, ainsi que pour les boucles et les riffs proches du rock et du post-rock), mais aussi, j'imagine, aux amateurs de RIO, peut-être plus qu'aux aficionados de musique improvisée...

[informations, présentation & extraits: http://www.deszpot.ch/desz001_e.html]

Takahiro Kawaguchi & Choi Joonyong - Suncheon Hyanggyo (Balloon & Needle, 2012)

60 mètres² d'herbe, au milieu d'une cour d'école coréenne, par une après-midi grisâtre. Au centre de cette cour, une étrange installation de chaises empilées. Et deux artistes qui gravitent autour. Il s'agit de Takahiro Kawaguchi et de Choi Joonyong. Ils ne gravitent pas sans rien faire bien sûr, et le terrain est déjà préparé avec des micros et des objets dans les proches environs. Kawaguchi et Choi utilisent pleinement le lieu avec tout ce qu'il offre (arbres, chaises, bouche d'aération, tubes en carton) et en apportant leur propre matériel (micros, amplis, harmonica, moteurs).

On pourrait se dire qu'il s'agit encore de deux artistes qui ont pris au pied de la lettre la célèbre déclaration de John Cage selon qui TOUT est musique. Mais je crois que ça va plus loin, ou dans une autre direction, pour cette installation/performance/concert. Pour le duo nippo-coréen, il semblerait qu'il s'agisse avant tout de mettre en musique un lieu. D'affirmer, de dévoiler et de déployer les potentialités sonores d'un espace de représentation. Le duo se situe dans un espace scénique ambigu qui mélange improvisation, installation sonore et performance "artistique" (je ne suis pas sûr de pourquoi je rajoute cet adjectif...). Cette pièce d'une trentaine de minutes captée pour Suncheon Hyanggyo est effectivement improvisée dans la mesure où il n'y a pas de structure ni de forme préétablie, les deux musiciens agissent en liberté et avec spontanéité - du moins c'est ce qu'ils laissent paraître - et aucune structure n'est apparente. Seulement, les choix sont tout de même déterminés par le lieu dans lequel la représentation a lieu. Choi & Kawaguchi choisissent peut-être de mettre cet espace en musique, mais c'est le lieu qui déterminera une grande partie de la performance, c'est en ce sens que l'on peut qualifier de performance ce dialogue entre la "scène" et les musiciens. Et il s'agit également d'une installation dans la mesure où le terrain est étudié et préparé pour finalement être musicalement et artistiquement habité par les deux artistes.

Pour être plus concret, parlons maintenant de ce qu'on peut entendre durant ces 36 minutes. Tout et rien. La musique est abstraite par rapport aux canons musicaux (pas de notes, pas de rythmes, pas de mélodies, pas de formes, pas de hiérarchisation des sons) mais très figurative par rapport à la réalité. On y entend des portes claquer, des balles de ping-pong rebondir, des chaises tomber, des plastiques frottées les uns contre les autres, un aboiement de chien, une toux humaine, un tuyau résonner, une discussion, etc. Certains qualifieront peut-être ça de non-musique, d'abstraction figurative, entre le field-recordings et l'installation sonore. Pour moi il s'agit avant tout d'une performance sensible, poétique, riche, délicate, à l'écoute de tout (du lieu au collaborateur en passant par les accidents possibles) et qui sait répondre de manière spontanée à chaque évènement. Très belle performance.

mikroton

Barbara Romen / Kai Fagaschinski / Gunter Schneider - Here Comes The Sun (Mikroton, 2012)

Ici, trois artistes que je ne connaissais pas: Barbara Romen au hammered dulcimer (sorte de cymbalum), Kai Fagaschinski à la clarinette, et Gunter Schneider à la guitare acoustique. Il s'agit d'une suite de six pièces improvisées, calmes, lentes, axées sur des longues notes et des nappes interminables qui évoluent par micro-variations. Il n'y a pas vraiment de techniques étendues, il s'agit avant tout de notes qui forment des accords sans rapport hiérarchique ni structurel. Les notes sont jouées pour leur qualité sonore et acoustique, avec une grande attention portée sur les attaques, l'intensité et les propriétés acoustiques propres à chaque instrument. Un jeu sur une texture faite de notes frappées, soufflées et pincées. Une musique assez sensible mais qui ne retient pas forcément l'attention, car les textures ne sont pas beaucoup développées dans la durée et l'ambiance reste sensiblement similaire tout au long des pièces. Reste un timbre et un univers sonore singuliers, notamment du fait de l'instrumentation. Pour les curieux et amateurs d'improvisation minimaliste et contemplative.


Alessandro Bosetti / Chris Abrahams - We Who Had Left (Mikroton, 2012)

Je ne crois pas qu'il y ait besoin ici de présenter Chris Abrahams et Alessandro Bosetti, j'en ai déjà parlé plusieurs fois au cours de ces chroniques. Sur Who Who Had Left, également publié par le label russe Mikroton, le premier est crédité au piano et le second à l'électronique et à la voix sur deux pistes. J'ai parfois quelques réticences vis à vis des derniers travaux de ce dernier, mais je dois avouer que cette collaboration est plutôt une réussite. Six pièces, improvisées en partie mais clairement structurées par un canevas généralement assez simple, où les deux personnalités semblent s'échanger leur rôle. Quelques fois, c'est Chris Abrahams qui semble jouer son grand piano en calquant son phrasé sur le langage, puis sur la piste suivante, c'est Alessandro Bosetti qui semble s'intéresser à de longues nappes de sons improvisées, qui produit des textures uniques et surprenantes comme sait si bien le faire Abrahams. Les morceaux sont tour à tour jazz, électro, noise, réductionnistes, sans jamais n'être rien de tout ça. Il s'agit d'une musique personnelle, où l'improvisation est basée sur quelques notes, une structure simple qui se complexifie dans la répétition et le décalage la plupart du temps. Une musique personnelle et sensible, mais aussi variée: chaque piste, chaque pièce, révèle un univers sonore et une ambiance uniques tout en restant cohérente avec le reste. La rencontre entre ces deux musiciens est la bienvenue, les deux personnalités s'accordent dans la créativité et la clarté des structures "déconstructivistes", mais aussi dans le timbre et les textures. Un accord dans le contenu comme dans la forme pour une rencontre surprenante, réussie, inventive et riche.

[extraits: https://soundcloud.com/mikrotonrecs/sets/alessandro-bosetti-chris]


Satanic Abandoned Rock&Roll Society - Bloody Imagination (Mikroton, 2012)

Pendant pas mal de temps, j'ai été très attiré par la japanoise et les musiques extrêmes japonaises. Depuis quelques années, je ne me suis concentré plus que sur ce qui s'y opposait, c'est-à-dire la scène onkyo. Je n'en pouvais plus des murs de sons et des performances basées uniquement sur le choc physique ou la provocation, il y a eu un moment où tout devenait gratuit et perdait du sens. Puis m'est arrivé ce disque, surprenant et nostalgique. Nostalgique car il me rappelait cette scène noise qui fut quand même foisonnante, et déterminante pour moi. Satanic Abandoned Rock&Roll, un quartet noise/drone fondé par le guitariste Tetuzi Akiyama, un quartet excellent, extrême, mais avec un sens de la musicalité et de la structure surprenant.

Quatre hommes, quatre instruments, quatre sortes de fréquence et quatre durées différentes. Le quartet est effectivement fondé avant tout sur quatre couche différentes, délimitées par la hauteur des fréquences. Tetuzi Akiyama aux fréquences extrêmes aiguës avec une guitare frottée par un sabre ("de samouraï"...), Naoki Miyamoto aux fréquences médiums aiguës avec une guitare électrique, Utah Kawasaki aux fréquences médiums basses avec un synthétiseur analogique, et Atsuhiro Ito aux fréquences extrêmes basses avec un "optron" (instrument de sa fabrication principalement composé d'un néon...).

En une longue plage de cinquante minutes, on n'entend que rarement les quatre musiciens jouer simultanément puisqu'ils s'octroient chacun une durée déterminée qui n'occupera toute la pièce pour personne. C'est seulement vers le milieu de la pièce que l'on a le plus de chance d'entendre un maximum de fréquences et de percevoir un mur d'une densité époustouflante. Ceci-dit, il ne s'agit pas non plus d'un climax, toute la pièce est jouée avec la même intensité hormis les premières (extrêmement graves) et les dernières minutes (extrêmement aiguës). Chaque seconde de cette longue plage linéaire -et ce malgré les ruptures individuelles - est jouée avec la même intensité que si le monde allait s'écrouler dans les minutes qui suivent. Un drone proche de la noise apocalyptique, solennel, et grave. Un drone où le temps semble s'écrouler au profit d'une durée psychologique interindividuelle, comme si plusieurs temps cohabitaient en un seul espace.

Bloody Imagination forme une lente plongée d'une intensité exceptionnelle dans les confins d'un marécage ensanglanté, une vision extatique d'un futur promis à la ruine et au massacre, un appel au secours désespéré. Satanic Abandoned Rock&Roll nous aura prévenu, il nous abandonne à une durée hors du temps, à une atemporalité qui baigne dans la saturation et la distorsion, mais sans être jamais chaotique. Car les fréquences se superposent de manière "claire et distincte" sans jamais s'entremêler, le mur de son est, de par sa clarté, sans appel. Le message est lancé. Attention.

Recommandé.


chistophe berthet

ATRL - R.1 (autoproduction, 2012)

Un premier disque très court - à peine vingt minutes - pour ce duo composé de Raphaël Ortis (basse électrique et objets) & Christophe Berthet (saxophone soprano). A en croire le site de Raphaël Ortis, il semblerait que Sébastien Bouhana ait également participé à ce projet durant un temps, regrettable qu'il ne soit pas de la partie ici. Mais enfin. Pour ce premier jet, trois petites pièces aux ambiances différentes et toutes les trois plutôt originales.

R.1 s'ouvre avec un drone monolithique, une basse pesante et océanique, accompagnée d'un saxophone qui pose de longues à partir desquelles s'échappent des harmoniques et des souffles instables et accidentels qui rendent cette pièce exceptionnellement vivante et organique. La deuxième partie est déjà un peu plus énergique, les techniques étendues fusent au saxophone, tout en restant assez calme tout de même, mais l'énergie vient surtout de la basse préparée avec des bouts de métaux qui mettent progressivement en place une rythmique proche du dub et aux sonorités indus. Quant à la dernière plage, elle est plus ancrée dans l'improvisation libre non-idiomatique: une piste très calme aux sonorités incongrues et recherchées. Ortis et Berthet développent un univers sonore singulier, dans un continuum envoutant, et explorent des registres extrêmes et bruitistes de cordes raclées, d'amplification saturée, d'harmoniques et de multiphoniques, de grésillements cuivrés et de crépitements soufflés. Très bon premier disque.

[écoute et téléchargement: http://atrl.bandcamp.com/album/atrl-r-1]

Berthet / Vonlanthen / Bondi - Silo (Leo, 2012)

L'autre projet plus conséquent (en terme de durée et de publication, et pas nécessairement en terme de qualité) de Christophe Berthet est un trio instrumental suisse composé de Vinz Vonlanthen à la guitare, de Cyril Bondi aux percussions et de Christophoe Berthet aux saxophones et à la clarinette.

Il s'agit de musique improvisée prise dans son acceptation courante. Une musique instrumentale qui l'accorde de l'importance au son et aux techniques étendues d'un côté, mais qui accorde surtout beaucoup de place à la spontanéité, la liberté et la réactivité. Après, le trio ne refuse les influences idiomatiques telles que le post-rock, le RIO, le jazz et le free, ou même la fusion par moments. Une musique improvisée plutôt facile d'accès donc, à écouter en famille. Le trio possède un aspect inventif dans son talent à mélanger ces influences tout en créant une musique assez personnelle, mais il possède surtout une énergie assez remarquable, et parvient à faire durer la tension durant toute l'heure de ces 13 pièces. Une musique vraiment plaisante, variée, créative et personnelle, libre, et énergique.

Christophe Berthet - Malval (creative sources, 2012)

Pour finir, un solo assez court d'une trentaine de minutes pour saxophones alto et soprano, par Chrsitophe Berthet toujours. Le soprano est le plus souvent à l'honneur durant ces six pièces improvisées, joué dans un style assez proche des solos de John Butcher. Une grande attention aux attaques, aux silences et aux résonances d'un côté, mais aussi au timbre et aux couleurs de manière plus générale. Christophe Berthet utilise de nombreuses techniques étendues qui vont des souffles aux jeux de clés, en passant par les multiphoniques et les harmoniques. Et lorsque des notes surgissent, elles sont la plupart du temps longuement étirées et assez statiques. Des notes altérées de manière minimaliste et microtonale, les nappes et les textures proposées par le saxophoniste suisse évoluent par micro-variations et s'ancrent dans des univers et des ambiances solidement établies. Enregistrées dans une chapelle genevoise, ces six improvisations sont empreintes de résonances circulaires et de sonorités aux consonances mystiques et contemplatives. Une suite de belles pièces proches de l'improvisation libre et du réductionnisme, des pièces pas nécessairement très créatives, mais plutôt sensibles et poétiques, sincères et tout de même desservies par un saxophoniste techniquement talentueux.

[présentation & écoute intégrale: http://christopheberthet.bandcamp.com/]

random

Ernie Althoff - Tide Shelf (Avant Whatever, 2012)

Tide shelf est une collection de six pièces enregistrées entre 1988 et 2012 par Ernie Althoff, un artiste et compositeur australien né en 1950. Il s'agit uniquement d'installations sonores, basées sur le rythme, la texture, et des processus de composition aléatoire. Les installations sont composées de nombreux éléments percussifs comme des peaux et des toms, des cymbales, du bois et du métal, mais aussi parfois de cordes. Les couleurs restent donc très proches des couleurs instrumentales traditionnelles mais pourtant, quelque chose de vraiment singulier persiste.

Cette singularité provient du fait que les instruments sont actionnés, percutés, frappés et frottés de manière plus ou moins aléatoire. On peut parfois avoir l'impression que des centaines de roue de Faraday sont agitées par des courants et des contre-courants chaotiques à la sortie d'une écluse. Les rythmiques sont déstructurées, déconstruites, et complexes. Ce n'est pas pulsé, mais le temps n'est pas non plus lisse comme dans une pièce micropolyrythmique. Une suite désordonnée et paradoxalement mécanique de couleurs rythmiques qui s'enchevêtrent en un continuum complexe et strié. Intrigant, surprenant et inventif: Ernie Althoff est une sorte d'ingénieur et de savant doté d'une grande sensibilité musicale et sonore.

[présentation & extraits de chaque pièce: http://www.avantwhatever.com/?p=1000]

Kostis Kilymis - More Noise Ahead (Entr'acte/Organized Music from Thessaloniki, 2012)

MNA est une suite de dix pièces miniatures publiées en coproduction par les labels Entr'acte et Organized Music from Thessaloniki. Dix pièces par le musicien grec aujourd'hui résidant en Angleterre Kostis Kilymis. Tout un collage de matériaux divers enregistrés dans des lieux différents (studio, extérieur, concert). Principalement, on entend une table de mixage bouclée sur elle-même, avec ses nombreux buzzs et larsens, mais également quelques samples, boucles, cassettes manipulées. Une musique plutôt glitch, d'aspect quelque peu dadaïste et surprenant. KK colle, superpose et enchaîne des plaques sonores qui s'opposent et qui ne se répondent pas. Des strates sonores généralement assez simples qui se suivent comme les pensées dans un flux de conscience.

De manière assez attendue quand il s'agit de courtes pièces, l'ensemble est assez inégal, parfois les constructions sonores sont vraiment surprenantes et créatives, les collages peuvent être vraiment inventifs, mais le contraire arrive aussi. Malgré de bonnes trouvailles, pas très marquant.

[présentation & extrait: http://entracte.co.uk/project/kostis-kilymis-e147/]

improvised music from slovenia



v.a. – Neposlušno / Sound Disodedience (Zavod Sploh / L’innomable, 2012)

Neposlušno / Sound Disodedience est un double CD d’environ deux heures et demi, qui regroupe 13 morceaux improvisés par treize duos différents de musiciens slovènes. En vrac, on y retrouve Andrej Fon, Ana Kravanja, Tao G. Vhrovec Sambolec, Vid Drašler, Matija Schellander, Tomaž Grom, Samo Kutin, Marko Jenič, Žiga Pucelj, Marko Karlovčec, Vitja Balžalorsky, Boštjan Simon, Domen Gnezda, Jošt Drašler, Neža Naglič, et Irena Tomaži.

De plus, on trouvera dans ce coffret une postface écrite par Eddie Prevost et Primož Trdan qui soulève pas mal de questions intéressantes. Les rapports entre l’improvisation et la composition, comment l’improvisation libre s’inspire de la tonalité libre, du dodécaphonisme et de l’école de Vienne, comment elle peut s’opposer à Ligeti et à toutes formes de répétition ou de « retour en arrière ». Et surtout, elle soulève un point extrêmement important, à savoir comment l’improvisation libre non-idiomatique a pu s’ériger de manière contradictoire en genre ou en forme musicale reconnaissable. Comment une forme musicale qui s’est constituée dans l’opposition à la répétition de formes passées est devenue une forme passée en répétant de nombreux codes mis au point depuis Derek Bailey.

C’est d’ailleurs ce dernier point que l’on ressent le plus à travers l’écoute de cette compilation consacrée à l’improvisation libre en Slovénie. Si tous les musiciens ne concentrent pas leur attention sur les mêmes idées et les mêmes paramètres musicaux, il y a tout de même une grande ressemblance entre les différentes approches. Une même attention au son et aux techniques étendues, une même absence de répétition, de rythme et de système tonal ou modal. C’est un peu comme écouter une compilation consacrée à une école, ou à un collectif. Paradoxal pour qui se réclame de la musique non-idiomatique. Ceci-dit, ce problème se pose aujourd’hui bien au-delà de cette compilation, une constatation récurrente depuis une dizaine d’années, et très peu de musiciens semblent échapper à cet écueil.

Mais outre ce constat sur l’improvisation libre, les pièces présentes sur cette compilation sont globalement de très bonne qualité. On y trouve des approches différentes, axées parfois sur la spontanéité et la réactivité, ou sur les textures et des formes proches du drone, sur l’interaction et l’exploitation systématique d’une idée ou d’une direction, sur l’opposition entre électronique et acoustique, ou encore sur leur ressemblance. Certaines pièces sont vraiment surprenantes, comme l’étonnant duo Andrej Fon (cornemuse et clarinette) & Ana Kravanja (violon) qui n’est pas sans rappeler le monumental Om de Coltrane. Mais aussi l’extrêmement intense duo de contrebasses Matija Schellander/Tomaž Grom, ou les deux excellentes pièces pour un de mes instruments préférés, la vielle à roue, jouée ici par Samo Kutin en compagnie de Marko Jenič (violon) puis de Vid Drašler (batterie, percussions). Et il y aurait encore de nombreux exemples, la compilation est franchement réussie et présente de nombreuses pièces riches, intenses et créatives. Une très bonne initiative mettant plein de bons instrumentistes méconnus sur le devant de la scène, recommandé.
 
Ana Kravanja & Marko Karlovčec - Vraščanje / Ingrowth (Botanic, 2012)

La violoniste Ana Kravanja et le saxophoniste Marko Karlovčec était déjà présent sur la compilation Sound Disobedience, avec un duo de près de vingt minutes assez énergique et réactif. Sur Vraščanje / Ingrowth, le duo se réclame toujours de l'improvisation libre mais il s'agit ici d'une musique beaucoup plus minimaliste et souvent axée vers le drone. Chacune des huit pièces de ce disque a été enregistrée en extérieur et présente des caractéristiques sonores différentes, mais aussi des "accidents" de parcours parfois bienvenus (écoulement d'un ruisseau, oiseaux, la réverbération d'une caveetc.). Quant à la musique, le duo exploite souvent de longues nappes, une note étirée pendant de très longues minutes et qui ne varie que très sensiblement, de manière microtonale et minimale la plupart du temps. Les instruments ont tendance à se confondre et à fusionner quasiment tout le temps. Ceci-dit, il s'agit d'une musique très sensible, qui accorde une grande attention à l'écoute et au son, et qui parvient à créer un univers sonore acoustique et instrumental plutôt singulier, en n'usant de techniques étendues qu'avec modération. Un jeune duo prometteur.

[extraits: https://soundcloud.com/marko-karlovcec/sets/vrascanje-ingrowth]