Pendant pas mal de temps, j'ai été très attiré par la japanoise et les musiques extrêmes japonaises. Depuis quelques années, je ne me suis concentré plus que sur ce qui s'y opposait, c'est-à-dire la scène onkyo. Je n'en pouvais plus des murs de sons et des performances basées uniquement sur le choc physique ou la provocation, il y a eu un moment où tout devenait gratuit et perdait du sens. Puis m'est arrivé ce disque, surprenant et nostalgique. Nostalgique car il me rappelait cette scène noise qui fut quand même foisonnante, et déterminante pour moi. Satanic Abandoned Rock&Roll, un quartet noise/drone fondé par le guitariste Tetuzi Akiyama, un quartet excellent, extrême, mais avec un sens de la musicalité et de la structure surprenant.
Quatre hommes, quatre instruments, quatre sortes de fréquence et quatre durées différentes. Le quartet est effectivement fondé avant tout sur quatre couche différentes, délimitées par la hauteur des fréquences. Tetuzi Akiyama aux fréquences extrêmes aiguës avec une guitare frottée par un sabre ("de samouraï"...), Naoki Miyamoto aux fréquences médiums aiguës avec une guitare électrique, Utah Kawasaki aux fréquences médiums basses avec un synthétiseur analogique, et Atsuhiro Ito aux fréquences extrêmes basses avec un "optron" (instrument de sa fabrication principalement composé d'un néon...).
En une longue plage de cinquante minutes, on n'entend que rarement les quatre musiciens jouer simultanément puisqu'ils s'octroient chacun une durée déterminée qui n'occupera toute la pièce pour personne. C'est seulement vers le milieu de la pièce que l'on a le plus de chance d'entendre un maximum de fréquences et de percevoir un mur d'une densité époustouflante. Ceci-dit, il ne s'agit pas non plus d'un climax, toute la pièce est jouée avec la même intensité hormis les premières (extrêmement graves) et les dernières minutes (extrêmement aiguës). Chaque seconde de cette longue plage linéaire -et ce malgré les ruptures individuelles - est jouée avec la même intensité que si le monde allait s'écrouler dans les minutes qui suivent. Un drone proche de la noise apocalyptique, solennel, et grave. Un drone où le temps semble s'écrouler au profit d'une durée psychologique interindividuelle, comme si plusieurs temps cohabitaient en un seul espace.
Bloody Imagination forme une lente plongée d'une intensité exceptionnelle dans les confins d'un marécage ensanglanté, une vision extatique d'un futur promis à la ruine et au massacre, un appel au secours désespéré. Satanic Abandoned Rock&Roll nous aura prévenu, il nous abandonne à une durée hors du temps, à une atemporalité qui baigne dans la saturation et la distorsion, mais sans être jamais chaotique. Car les fréquences se superposent de manière "claire et distincte" sans jamais s'entremêler, le mur de son est, de par sa clarté, sans appel. Le message est lancé. Attention.
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