60 mètres² d'herbe, au milieu d'une cour d'école coréenne, par une après-midi grisâtre. Au centre de cette cour, une étrange installation de chaises empilées. Et deux artistes qui gravitent autour. Il s'agit de Takahiro Kawaguchi et de Choi Joonyong. Ils ne gravitent pas sans rien faire bien sûr, et le terrain est déjà préparé avec des micros et des objets dans les proches environs. Kawaguchi et Choi utilisent pleinement le lieu avec tout ce qu'il offre (arbres, chaises, bouche d'aération, tubes en carton) et en apportant leur propre matériel (micros, amplis, harmonica, moteurs).
On pourrait se dire qu'il s'agit encore de deux artistes qui ont pris au pied de la lettre la célèbre déclaration de John Cage selon qui TOUT est musique. Mais je crois que ça va plus loin, ou dans une autre direction, pour cette installation/performance/concert. Pour le duo nippo-coréen, il semblerait qu'il s'agisse avant tout de mettre en musique un lieu. D'affirmer, de dévoiler et de déployer les potentialités sonores d'un espace de représentation. Le duo se situe dans un espace scénique ambigu qui mélange improvisation, installation sonore et performance "artistique" (je ne suis pas sûr de pourquoi je rajoute cet adjectif...). Cette pièce d'une trentaine de minutes captée pour Suncheon Hyanggyo est effectivement improvisée dans la mesure où il n'y a pas de structure ni de forme préétablie, les deux musiciens agissent en liberté et avec spontanéité - du moins c'est ce qu'ils laissent paraître - et aucune structure n'est apparente. Seulement, les choix sont tout de même déterminés par le lieu dans lequel la représentation a lieu. Choi & Kawaguchi choisissent peut-être de mettre cet espace en musique, mais c'est le lieu qui déterminera une grande partie de la performance, c'est en ce sens que l'on peut qualifier de performance ce dialogue entre la "scène" et les musiciens. Et il s'agit également d'une installation dans la mesure où le terrain est étudié et préparé pour finalement être musicalement et artistiquement habité par les deux artistes.
Pour être plus concret, parlons maintenant de ce qu'on peut entendre durant ces 36 minutes. Tout et rien. La musique est abstraite par rapport aux canons musicaux (pas de notes, pas de rythmes, pas de mélodies, pas de formes, pas de hiérarchisation des sons) mais très figurative par rapport à la réalité. On y entend des portes claquer, des balles de ping-pong rebondir, des chaises tomber, des plastiques frottées les uns contre les autres, un aboiement de chien, une toux humaine, un tuyau résonner, une discussion, etc. Certains qualifieront peut-être ça de non-musique, d'abstraction figurative, entre le field-recordings et l'installation sonore. Pour moi il s'agit avant tout d'une performance sensible, poétique, riche, délicate, à l'écoute de tout (du lieu au collaborateur en passant par les accidents possibles) et qui sait répondre de manière spontanée à chaque évènement. Très belle performance.