MMMD - Pèkisyon Funebri

MMMD, c'est le nouveau nom du fameux trio Mohammad. Car vous l'aurez peut-être déjà vu ou entendu, mais depuis plusieurs mois, le trio n'est composé plus que de Nikos Veliotis et d'Ilios, d'où le discret changement de nom... Ceci-dit, le départ du contrebassiste Coti K et le changement de nom n'ont pas tellement affecté la musique de Mohammad, on reconnait toujours les mélodies post-doom, l'ambiance lourde et sombre caractéristique de cette formation grecque, il manque seulement quelques basses dorénavant.

MMMD revient un peu aux bases avec Pèkisyon Funebri. Un retour à une sorte de musique de chambre ambiance dark doom, agrémenté cette fois de voix fantomatiques. Lenteur, langueur, et obscurité. Mais il y a quelque chose de plus lumineux, dans les attaques franches du violoncelle, dans les mélodies sinusoïdales proches de lignes de Thérémine. Plus lumineux et plus naïf, certes, mais toujours sombre. MMMD explore toujours des mélodies graves et lentes, des mélodies répétitives et continues qui feraient la parfaite BO d'austères films nihilistes à la Béla Tarr (une affiliation que le duo ne semble pas renier).

Car MMMD semble être le point de jonction entre Béla Tarr et Sunn O))). Un orchestre de chambre qui n'en est plus vraiment un explore la lenteur et les basses, de manière mélodique, mais le genre de mélodie sans fin et sans espoir, le genre de mélodie poignante qui plonge dans le désespoir et l'angoisse. Les frottements de fréquences extrêmes aux limites de l'audible sont moins présents, et c'est surtout l'aspect majestueux et orchestral de Mohammad qui est mis en avant sur ces huit pièces.

Un orchestre ténébreux et nihiliste, l'orchestre de deux survivants qui n'ont pas fini de chanter la fin de la lumière, la fin de la musique, et la renaissance d'une masse sonore vibrante et poignante, solennelle et parfois kitsch, monolithique et médiévale.


MMMD - Pèkisyon Funebri (Antifrost, coffret vinyle 3x25 cm, 2016) : http://www.antifrost.gr/afro20713.html


Beat Keller, Tom Johnson, Joseph Kudirka - string trios

Beat Keller, Tom Johnson et Joseph Kudirka, trois compositeurs de deux générations différentes et de deux continents sont réunis autour d'un thème commun : des partitions pour trio à cordes, réalisées ici par le Haiku String Trio, soit Julia Schwob au violon, David Schnee à l'alto, et Nicola Romano au violoncelle.


L'ensemble des pièces présentées ici est teinté de minimalisme, de réduction des moyens, de répétitions et de pauses, mais pas uniquement. Toutes ces pièces sont aussi teintées d'une sorte de romantisme post-moderne. Les mélodies sont lourdes, graves, lentes et sombres, comme dans un film de Bela Tarr. Le Haiku String Trio a choisi un ensemble de compositions qui jouent avec des thèmes sans développement ou des mélodies dissonantes. Mais il ya toujours une recherche sur la musicalité, la tonalité ou l'harmonie. Il ne s'agit pas uniquement, loin de là, de répétitions ou de silences, tout se fait plutôt dans la douceur, dans le calme et la continuité. L'aspect romantique tient aux couleurs portées par ces compositions : elles peignent souvent des tableaux chargés et sombres, menaçants et émotifs.

Elèves de Pisaro ou de Morton Feldman entre autres, ces trois compositeurs seront facilement qualifiés de minimaliste. Bien sûr, il y a une recherche de nouvelles formes simples et claires, une réduction et une simplification de la structure ou de l'harmonie qui sont fortement présentes. Mais ce n'est pas forcément le plus important, même si ces choix contribuent au fort sentiment d'originalité et d'assister à quelque chose d'unique lors de l'écoute de ce disque. Pourtant, le plus marquant dans ce disque reste pour moi la beauté simple de toutes ces phrases, une beauté qu'on retrouve dans la mélancolie du String Trio de Kudirka, la poésie langoureuse des extraits de Networks de Johnson, la puissance organique et écrasante des String Trios de Beat Keller. Toutes ces pièces se suivent et s'emmêlent parfaitement dans une poésie romantique où la nature et les émotions prennent le dessus, où le son devient l'expression pure de sentiments exacerbés, des sentiments qui nous inondent et nous bercent. Recommandé.


BEAT KELLER, TOM JOHNSON, JOSEPH KUDIRKA - string trios (CD, wandelweiser, 2016) : http://www.wandelweiser.de/_e-w-records/_ewr-catalogue/ewr1605.html








Essential Listenings #46

Trois compositions d'Eric La Casa commandées à l'occasion de différentes créations (filmiques et théâtrale). Avec la participation de Jean-Luc Guionnet.
herbal international
bandcamp

Installation électroacoustique pour 8 canaux de diffusion et deux trompettes, composée et réalisée par Nate Wooley en duo avec Peter Evans.
mnoad
youtube (extrait)
youtube (concert)

the earth and the sky, triple CD réunissant 11 compositions pour piano de Pisaro, réalisées par Reinier van Houdt.
erstwhile

Cassette épuisée de France Sauvage, parue en 2011 chez tanzprocesz.
free music archive

Great Waitress - Hue

Great Waitress, voilà un excellent trio qu'on aimerait entendre plus, mais qui publie "seulement" un disque tous les deux ou trois ans, et qu'on voit rarement en programmation par ici. Pour les concerts, ça se comprend, Magda Mayas vit en Allemagne, tandis que Monika Brooks et Laura Altman résident en Australie, donc niveau logistique et défraiement, ce n'est pas simple. Mais quand même, je suis sûr qu'en cherchant bien, elles possèdent assez d'enregistrements pour mulitplier les disques, et on serait ravis d'en entendre plus. Ceci-dit, c'est peut-être cette rareté qui fait le charme de chacun de ces disques aussi, et c'est peut-être le choix de ce trio de ne pas être omniprésent, pour que chaque instant conserve sa magie.
Tout ça pour dire que l'arrivée de Hue, leur troisième disque (en LP cette fois), a été accueilli avec enthousiasme ici. La formule n'a pas vraiment changé depuis leur premier disque en 2011, mais le charme opère toujours. Un accordéon, une clarinette et un piano, quelques techniques étendues, des textures abstraites, de l'improvisation réductionniste. Ca ne donne pas forcément envie dit comme ça, parce qu'on en a entendu beaucoup, voire trop du réductionnisme, ces dernières années. Mais avec Great Waitress, il y a un quelque chose en plus.

Leur univers sonore est bien particulier, il a quelque chose d'absorbant, de magique, les sons nous enveloppent comme un drone réussi. Il y a des longues notes, des extrêmes, des frottements et tout ce qu'on peut trouver dans l'improvisation réductionniste de ces dernières années, avec en prime une sorte de mélodie abstraite qui relie chaque musicienne. Une mélodie holistique où chaque individualité a sa place et est nécessaire à la création sonore. Il ne s'agit pas de s'imiter les unes les autres, ni de se démarquer, mais de créer un univers sonore et musical ensemble, en accordant autant d'importance à chaque musicienne, quelque soit sa place, son instrument ou sa personnalité.

Et Great Waitress compose ainsi un monde sonore à la fois poétique et liquide, onirique et lisse, étrange et doux. Un univers qui nous attire puis nous englobe, qui stimule et rafraichit.


GREAT WAITRESS - Hue (Another Dark Age, LP, 2016) : http://anotherdarkage.bigcartel.com/product/great-waitress-hue-pre-order


Essential Listenings #45

Carlos Zingaro : violon
cipsela
bandcamp 

José Miguel Pereira : contrebasse ; João Camões - alto, mey et percussions ; Burton Greene : piano et percussion ; Marcelo dos Reis : guitare et voix
cipsela
bandcamp

Daniel Levin : violoncelle ; Rob Brown : saxophone alto
cipsela
bandcamp

Angélica V. Salvi : harpe ; Marcelo dos Reis : guitare et voix
cipsela
bandcamp


Joe McPhee : saxophone alto
cipsela
bandcamp

Joëlle Léandre : contrebasse ; Théo Ceccaldi : violon
cipsela
bandcamp

Dernier solo de Marc Baron. Composition électroacoustique de 2014.
potlatch
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Magda Mayas : piano ; Monika Brooks : accordéon ; Laura Altman : clarinette
another dark age
soundcloud

Jérémie Ternoy : Fender Rhodes ; Ivann Cruz : guitare ; Peter Orins : batterie ; Christian Pruvost : trompette ; Sakina Abdou : saxophones ; Jean-Baptiste Rubin : saxophones ; Maxime Morel : tuba, trombone
circum disc
youtube




Essential Listenings #44

Deux pièces de notes soutenues juxtaposées, un drone pour cithare et l'autre pour orgue, par Tasos Stamou.
moving furniture
bandcamp

Réalisation radicale de trois pièces de Manfred Werder par Erik Carlson, Stephanie Richards, et Edward Davis. Triple CD avec beaucoup, beaucoup de silences.
wandelweiser

Enregistrements de terrain de Martin Kay sur un stade de cricket à Melbourne. Pas de transformations, enregistrements bruts et atypiques comme sur son précédent disque enregistré dans des cours d'immeubles parisiens.
avant whatever
soundcloud

Grand ensemble d'improvisation électroacoustique par une nouvelle génération de musiciens mexicains. Field-recordings, instruments, silences, drone, sinusoïdes, objets et larsens répartis pour quatorze improvisateurs.
caduc
youtube

bandcamp
youtube

Nouveau solo de Thomas Tilly issu d'une installation de 2007. Plus d'électricité, moins d'insectes.
drone sweet drone
bandcamp

Valerio Tricoli - Clonic Earth

Si à partir de sa collaboration avec Thomas Ankersmit en 2011, le nombre de publications de Valerio Tricoli a considérablement augmenté, il n'est tout de même pas de ceux qui sortent des disques trois fois par an (hormis cette année peut-être...). Mais, après deux publications sur Pan (en solo et avec Ankersmit), ce musicien a fini par se faire largement remarquer et est considéré comme une des grandes figures de la musique électroacoustique italienne, et européenne. Clonic Earth, son nouveau solo, ne passera certainement pas inaperçu maintenant.

Et tant mieux, car franchement, Valerio Tricoli fait partie de ces artistes que l'on doit avoir écouté. Il n'est pas question d'aimer ou non, mais je pense que ça vaut le coup de s'arrêter sur son travail, de prendre le temps de s'y plonger au moins une fois dans sa vie, car il fait partie de ceux qui renouvellent la musique électroacoustique. Et je pense spécialement à ceux qui pourraient imaginer la musique électroacoustique comme un montage hystérique de bruits de train entrecoupés de ressacs avec des interludes de bandes accélérés.

Clonic Earth n'a rien à voir avec tout ça. Même si Tricoli utilise des bandes à l'occasion, qu'il les triture aussi parfois, il ne se fait pas le porte parole du monde sonore. Il est uniquement le porte parole de sa propre imagination, le porte parole de son monde sonore. La parole a toute son importance dans ce disque d'ailleurs. Le monde de Tricoli est un monde où la parole est omniprésente. De nombreuses voix parcourent chaque pièce pour raconter ce monde, pas tellement avec des mots, mais seulement avec des intentions, des intonations. Les voix de Clonic Earth sont des voix ralenties, des spectres de voix, des discours fantomatiques qui hantent cet univers ténébreux et chaotique. La parole donne l'impression de raconter quelque chose, d'être narrative, comme la forme de ces pièces, mais elle est surtout utilisée pour son aspect psychologique, pour donner du caractère à chaque pièce et la faire avancer vers un territoire psychologique nouveau, plus que pour prononcer une narration logique.

La psychologie a aussi son importance ici. Si la qualification de psychoacoustique n'était pas tant connotée, on l'accolerait facilement à Clonic Earth. Tricoli ne joue pas sur des volumes forts, ni sur des fréquences extrêmes, il ne s'agit pas de faire mal, non, mais de faire peur, d'immerger. Les sons de synthèses, les progressions lentes et les voix transformées nous invitent à une plongée dans un univers sombre, infernal et chaotique. Il y a quelque chose de sombre, mais pas non plus de cauchemardesque. Parce que Tricoli sait apporter la lumière nécessaire au bon moment. Il nous plonge dans un univers effrayant mais sait rassurer quand il faut pour ne pas plonger l'auditeur dans l'angoisse. Ce n'est plus vraiment un plongeon dans les flammes de l'enfer, mais plutôt un survol, ou une traversée, guidée avec bienfaisance et virtuosité.

Quant au travail sur le son lui-même, Tricoli fait juste preuve d'une originalité rare. Les textures, les grains et les structures utilisées ne renvoient à rien d'autre qu'à l'imagination de Tricoli. On est loin des cuts survoltés, des fréquences stridentes et des filtrages classiques. Tricoli construit un univers sonore unique fait de synthèses étranges et décalées, de voix fantomatiques, le tout dans une structure qui ne laisse rien présager. Il construit un univers qui paraît limpide mais qui cache toujours quelque chose. Il utilise des sons simples mais aux connotations complexes, ce qui permet de construire un univers clair et riche. Un univers étonnant, puissant, et riche.


VALERIO TRICOLI - Clonic Earth (2LP, Pan, 2016) : http://p-a-n.org/release/pan-71-valerio-tricoli-clonic-earth/