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Anne Guthrie - Brass Orchids

Je me rappelle toujours, et je suis loin d'oublier, les premières écoutes de Perhaps a favorable organic moment en 2011, un des premiers disques d'Anne Guthrie où on la retrouvait jouant du Bach au cor anglais en faisant un usage prépondérant de l'environnement sonore. Un album où le jeu instrumental aussi bien que les techniques d'enregistrement ouvraient un monde musical nouveau. Je ne sais pas si celui-ci reste mon préféré parce qu'il est le premier que j'ai entendu, car pourtant, à chaque album, j'ai l'impression que cette artiste ne cesse de s'améliorer, de se réinventer et d'explorer des territoires sonores toujours plus profonds et nouveaux.

Brass Orchids est le quatrième album d'Anne Guthrie depuis 2010, et le deuxième vinyle qu'elle publie sur le label Students of decay. Sur celui-ci, il y a moins de présence instrumentale, son fameux cor n'est utilisé que sur la dernière piste, qui n'est pas forcément la plus conséquente. Mais avant cela, Anne Guthrie propose toute une première face composée de trois pièces où ne sont utilisés que des field-recordings, et c'est peut-être dans ce domaine qu'elle excelle dorénvant. Elle propose ici un minutieux montage d'enregistrements simples et quotidiens, intimes ou familiaux. Des enregistrements qui ont en commun de se noyer dans des effets naturels ou non de réverbérations et de filtrage et qui produisent au final un univers complètement fantomatique et spectral où la source ne se distingue pas toujours de l'effet. Parfois, on reconnaît très bien une voix, un piano, le traffic, et d'autres éléments, mais d'autres fois, on est comme plongé dans un nuage de sons réverbérés où la source sonore semble noyée. Ces nuages pourraient faire penser parfois à des pseudo recherches en EVP, s'il n'y avait cet aspect sensible et familier si caractéristique d'Anne Guthrie.

Après cette première face d'étranges quotidiennetés, le morceau Spider nous entraîne dans un nouveau territoire dont je n'avais pas souvenir. Ici Anne Guthrie tire vers les fréquences harsh et agressives et propose une de ses pièces les violentes que j'ai entendu.  Une pièce plus "électronique" où interviennent quand même des enregistrements concrets, mais qui est moins axée sur la recherche sonore que sur une construction musicale proche d'un long crescendo où les éléments s'accumulent et deviennent de plus en plus durs et rudes au fil du temps. C'est certainement un des plus beaux enregistrements de Guthrie je trouve, où on retrouve ce parfait équilibre entre le bruit pur, les éléments concrets, des mélodies déformés, le chaos et une organisation formelle, tout ça au service d'une pièce d'une intensité, d'une profondeur et d'une puissance rares. Moins de réverbération pour plus de distorsions, Spider nous plonge dans un cercle infernal et organique qui redonne foi en la noise et n'est pas sans rappeler quelques unes des meilleures productions de Kevin Drumm ou Jason Crumer.

Encore une fois je salue ce disque et cette artiste, qui reste pour moi une des plus passionnantes de ces dernières années. Je salue cette authenticité, cette originalité, tout le travail de recherche et de création de sonorités uniques, ce travail de composition qui fait preuve d'un équillibre remarquable entre des éléments apparemment inconciliables, et je salue surtout la profondeur et l'intensité de l'ensemble de ce travail. Recommandé !


ANNE GUTHRIE - Brass Orchids (LP, Students of Decay, 2018)






Anne Guthrie - Codiaeum Variegatum [LP]

ANNE GUTHRIE - Codiaeum Variegatum (Students of Decay, 2014)
J'ai déjà chroniqué la plupart des disques d'Anne Guthrie sur ce blog, ainsi que ceux auxquels elle a participé, et le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'ai jamais caché mon admiration pour cette jeune musicienne et artiste sonore américaine. En ce début d'année, quelques mois après son excellente collaboration avec Richard Kamerman, Anne Guthrie revient avec un nouveau solo (tous les précédents sont épuisés semble-t-il), publié cette fois en vinyle par le label américain Students of Decay.

Pour ceux qui la connaissent déjà, vous savez certainement que Guthrie pratique le cor d'harmonie d'un côté, et mène en parallèle de nombreuses recherches sur les phénomènes acoustiques, la réverbération naturelle d'espaces spécifiques, l'atmopshère des lieux, ses donnés acoustiques, et bien sûr la prise de son de tout ça. Pour ce nouveau disque, Anne Guthrie quitte les territoires urbains et humains pour n'utiliser que des prises de son provenant de lieux naturels, prises de son auxquelles s'ajoutent des interventions instrumentales (au cor par Anne Guthrie, avec la collaboration de deux autres musiciens à la contrebasse et au violoncelle).

Le plus remarquable dans le travail de cette artiste, c'est qu'elle n'utilise quasiment que des éléments très concrets, mais filtrés de manière si particulière et unique qu'ils paraissent complètement autre et abstrait. Ainsi sur Codiaeum variegatum, on reconnaît de nombreux éléments : des corneilles, des insectes, des sortes de réverbérations comme dans une grotte ; mais aussi les instruments, joués de manière traditionelle, pour leur timbre, ne jouant que des lignes mélodiques, des ostinato, le tout de manière tonale souvent en mode mineur, mais non pulsé, ou de manière très lente et lancinante, douce et suave, triste et sombre.

Au fur et à mesure des pièces, ces éléments tendent à se noyer sous les filtres. De plus en plus modifiés, ils deviennent au fil du disque du pur son, une matière sonore de plus en plus unique, atmosphérique et abstraite. Le son comme Guthrie l'envisage est d'une richesse unique, un son plein de réverbération, plein d'harmoniques, plein d'échos fantomatiques, que ce soit les instruments ou les prises de son qui semblent traités de la même manière.

Avec Codiaeum variegatum, Anne Guthrie propose une plongée dans les phénomènes acoustiques très douce, poétique, profonde, riche et mélodique : un équilibre très juste et fin entre les phénomènes naturels accidentels, la composition, le traitement sonore et les processus naturels, l'abstraction et la mélodie. Magnifique, et forcément hautement recommandé !