Un bon label, c'est généralement un qui sait choisir de ce qui doit être publié ou non, ce qui vaut le coup, qui choisit le disque qu'on aura toujours envie d'écouter plusieurs années plus tard, et pas seulement le dernier truc à la mode. Mais c'est aussi celui qui décide de provoquer des rencontres, qui favorise des collaborations inédites tout en sachant qu'elles seront passionnantes. Et pour le dire clairement, erstwhile, c'est les deux à la fois : un label qui favorise les dernières expérimentations et qui commande des rencontres inédites, un label qui est une aide majeure pour les musiques nouvelles et aventureuses depuis des années.
Et My trust in you, c'est encore ça, une rencontre inédite entre deux musiciens créatifs et aventureux. Marc Baron et Lucio Capece présentent d'ailleurs un parcours assez similaire même si leur musique n'a jamais été très proche. Tous les deux étaient saxophonistes dans les années 2000 et participaient activement aux musiques improvisées et réductionnistes en France pour le premier (au sein de Narthex ou du quartet de saxophones Propagations),et en Allemagne pour le second (aux côtés de Burkhard Beins, de Rhodri Davies et d'Axel Dörner entre autres). Puis au courant des années 2010, Marc Baron a abandonné le saxophone pour se tourner vers une musique électroacoustique composée principalement à partir de bandes manipulées et d'enregistrements trouvés. Lucio Capece continue d'utiliser le saxophone, comme on peut l'entendre dans ce disque, mais il compose dorénavant une musique plus proche de l'installation sonore qui est concentrée sur les processus de perception et d'audition (notamment à travers des dispositifs de haut-parleurs placés dans des ballons).
Malgré les similarités, ces deux musiciens produisent des musiques vraiment différentes pourtant, et c'est certainement ce qui fait toute la richesse de cette rencontre. La collaboration s'est faite à distance, à partir de matériaux sonores échangés, parmi lesquels on retrouve des manipulations de bande, des field-recordings quotidiens (voix, plage), du saxophone, un "solo" de cymbales sur boîte à rythmes, des nappes de bruit blanc jouées sur un filtre de synthé, et j'en oublie. On reconnaît souvent assez bien chacun des musiciens, ils proposent chacun quelque chose de différent, et pourtant le tout est homogène, les réponses et les modifications apportées à chaque proposition sont cohérentes. Mais surtout, c'est la finesse et la sensibilité qui règnent durant tout le disque qui font la cohésion de l'ensemble. Tout semble beau et fin, mélancolique à l'image de ces longues notes de saxophones que tient Capece, soutenue par une boucle nostalgique en retrait, le tout de manière harmonique. Si les matériaux et les atmosphères sont hétérogènes, il y a quand même une sorte de sensibilité, une forme de poésie et de manière de dialoguer qui reste de mise durant tout le disque. Peu importe que le dialogue soit composé de bribes d'enregistrements, de bandes retournées et découpées, de saxophone, de bruits synthétiques, il s'agit avant tout de faire dialoguer ces éléments variés pour composer une musique nouvelle et belle.
Est-ce que le duo s'est fixé un objectif, vers quelle direction il voulait aller, quelle idée il a tenté d'explorer ? Je n'en sais rien. Mais le résultat est une musique qui marque surtout par sa beauté, sa cohérence, et son goût pour l'exploration de territoires connus, mais sous un angle différent. Les sons utilisés semblent souvent familiers pour quiconque écoute un peu de musique expérimentale, mais c'est l'angle d'approche qui surprend. On a l'impression de voir un paysage connu à travers un objectif nouveau, ou un cadrage inhabituel. La "matière sonore" exploitée ici est riche, mais pas autant que cette manière de l'exploiter. Capece et Baron semblent "décadrer" tout ce qu'ils utilisent, à travers des ralentissements, des étirements, des coupures, des répétitions. Chaque son est remis en perspective, et ainsi, tout ce qui est manipulé par ces musiciens devient juste beau. Beau, touchant et envoutant, intense et sensible.
Alors oui il s'agit de deux musiciens très créatifs au niveau sonore, deux musiciens qui explorent de nombreuses possibilités sonores. Mais ce qui marque ici, c'est surtout la manière dont ces sons ont été arrangés, c'est surtout la composition qui marque en somme. Il ne s'agit pas seulement d'interactivité et de sensibilité, ni de recherche sonore pure, il s'agit de réflexion sur la composition même. Et c'est là où on ne sait plus trop qui, de Capece et Baron, travaille, c'est là que le travail vraiment en commun intervient, au-delà des interventions musicales, pour produire une pièce homogène. C'est dans la composition que les sons acquièrent cette dimension nouvelle, cette remise en perspective et cet angle nouveau qui font de ce disque un disque unique, beau, et aventureux. Un excellent disque en somme.
LUCIO CAPECE & MARC BARON - My trust in you (CD, erstwhile, 2018)
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Marc Baron - Un salon au fond du lac
Bizarrement, si Marc Baron était toujours saxophoniste, on ne dirait pas à chaque sortie qu'il utilise encore son saxophone alto, et pourtant, maintenant qu'il fait de la musique électroacoustique, j'ai du mal à commencer à écrire sans évoquer le fait qu'il utilise toujours un dispositif analogique basé principalement sur des bandes magnétiques. Bien sûr, n'importe quel instrumentiste ou compositeur ne pourrait pas faire la musique qu'il fait en utilisant un autre instrument, ou un autre outil, mais ça paraît encore plus vrai dans le cadre de la musique de Marc Baron, qui est en grande partie construite sur la condition physique des matériaux (bandes) utilisés.
Les structures et les compositions présentées sur ce nouveau solo sont fondées sur le collage, le cut-up, et il y a certainement des liens à faire avec les poètes surréalistes, avec Rimbaud ou les dadaïstes, mais ce ne sont pas tellement ces méthodes qui font le véritable intérêt des compositions électroacoustiques de Marc Baron. Le plus intéressant réside dans le contenu plus que dans la forme, dans la manière d'explorer plus que dans la manière d'agencer ces explorations.
Dans ces trois pièces de 2014, des field-recordings ordinaires et naturalistes se mêlent à des sons synthétisés, des bandes musicales décomposées s'assemblent à des bruits bruts. L'intérêt de tout ça : créer une zone d'indétermination où le bruit n'est pas plus musical que la musique n'est abstraite. Marc Baron nous invite à traverser un monde sonore unique et inédit fait de dégradation, de décomposition, de synthèses sonores floues, de musicalité concrète et d'enregistrements abstraits. Chaque vignette sonore possède son langage, ses émotions, son ambiance et son univers ; chaque vignette, qu'elle soit contrastée, floue, claire, sombre, granuleuse, courte, longue, concrète, musicale, réelle, ou imaginaire, évoque quelque chose d'unique, quelque chose qui nous fait avancer toujours plus dans des territoires sonores inédits.
La construction est parfois continue, parfois découpée brutalement, le contenu peut être très réaliste ou complètement abstrait. On ne sait jamais où on va arriver, si nous aurons des repères ou si Marc Baron va une fois de plus nous inviter à visiter des contrées obscures et inconnues. Et la magie de ces pièces ne réside pas cette construction, mais dans cette incertitude. Le voyage dans le salon ou dans le fond du lac n'est pas seulement beau de par sa construction ingénieuse, fluide et précise, il est magnifique de par son incertitude et son talent à créer des espaces sonores ambivalents.
MARC BARON - Un salon au fond du lac (CD, Potlatch, 2016) : http://www.potlatch.fr/records/316/main.html
Marc Baron - Carnets
Le "retour" de Marc Baron sur la scène, son troc du saxophone pour un kit de synthétiseurs et de magnétophones, et son tournant donc, vers une musique électroacoustique, ont été largement remarqués avec Hidden Tapes, un disque superbe qui a fait l'unanimité. Pourtant, l'aventure électroacoustique de Marc Baron ne s'arrête pas là, un autre disque est sorti quelque mois plus tard, où l'intérêt de ce dernier pour la dégradation des bandes et la diffusion du son restent au premier plan, il s'agissait de Carnets.
Pourquoi ces Carnets passent-ils plus inaperçus que Hidden Tapes ? Ok, peut-être que Glistening Examples, le label de Jason Lescalleet a moins de notoriété que Potlatch (qui a sorti HD), oui une édition vinyle éditée en tirage très limité (70 exemplaires) ambiance œuvre d'art est certainement moins accessible qu'un gros tirage CD, mais pourtant, ces Carnets sont aussi remarquables que la première incursion de Marc Baron dans le domaine des bandes.
Ces deux disques sont assez proches dans la forme comme dans le contenu, mais on va quand même arrêter là les comparaisons : peut-être que je vais me répéter mais peu importe, il s'agit de deux disques différents. Les Carnets rassemblent quelques unes des premières expérimentations de Marc Baron avec des installations analogiques et électroacoustiques. Des bandes, des synthétiseurs, des magnétophones, et des enceintes. Le changement paraît radical par rapport au saxophone, car l'installation électracoustique permet des juxtapositions et des collages, mais pourtant, les précédents projets de MB ne sont pas si éloignés de cette nouvelle forme de solo. Quand j'ai vu ce dernier avec le trio OZ en 2007 ou avec le quartet Propagations en 2009, ces formations étaient pleinement conscientes de comment certains types d'ondes (acoustiques ici, du moins instrumentales) se propagaient dans tel ou tel lieu (en fonction de l'architecture, des matériaux de construction, du public), et ils en jouaient autant que MB aujourd'hui avec son projet électroacoustique.
Dorénavant, Marc Baron peut intégrer les haut-parleurs ou le casque ainsi qu'une foule de possibilités électriques et analogiques à son répertoire de "sons à projeter". Sa musique est faite de bandes vieillies, filtrées ou manipulées, d'ondes et de sons synthétiques, de bruit blanc et de triturations électriques ou électroniques. Autant d'élements parfois bruitistes, parfois mélodiques, parfois harsh et parfois méditatifs, concrets ou abstraits, qui forment une longue symphonie d'éléments sonores qui se font écho, qui se superposent, qui se découpent, qui s'entremêlent. Les techniques et les sources sont vastes : on retrouve des sons de synthé, des bandes de field-recordings, des enregistrements musicaux, du bruit électrique, le tout monté à la manière d'un collage, ou découpé abruptement parfois, avec des effets naturels dus aux bandes ou d'autres dus à des filtres, à un égaliseur, à de la reverb, à la stéréo, etc. Donc oui, le répertoire de Marc Baron est vaste, très vaste, parfois convenu, et parfois inattendu, et l'espace ne cesse de se remplir d'une symphonie orchestrée de manière équilibrée, personnelle et intelligente.
Mais le plus surprenant reste peut-être le rapport au temps et à la narration. Car oui, la musique électroacoustique a cette particularité de sonner vieille et moderne en même temps. Toutes ses bandes vieillotes et ses outils pas tout jeune travaillés de manière contemporaine, travaillés de manière à explorer leur dégradation, tout cela nous plonge dans un univers sans âge. Il y a donc le son propre au matériel d'un côté, qui amène ce côté atemporel, mais la construction également de ces pièces. Marc Baron évolue dans le son de manière fluide souvent, comme un nageur, avec douceur. La temporalité de chaque événement semble noyée dans le tout, dans la narration. On ne sait jamais combien de temps un élément sera utilisé, ni combien viendront se joindre à lui et pour combien de temps. Le temps se déroule ici comme dans un rêve, avec une logique propre mais inconsciente, ce qui est accentuée par le travail sur la vitesse de lecture et les filtres. Est-ce un travail sur la mémoire, sur le temps, sur la dégradation du son, sur la narration ? Peut-être tout cela en même temps, en tout cas c'est ce que j'apprécie certainement le plus dans ces travaux : une exploration onirique et atemporelle de phénomènes sonores vastes et subtilement agencés.
MARC BARON - Carnets (LP, Glistening Examples, 2015) : https://glisteningexamples.com/2015/12/16/marc-baron-carnets-glex1503/
Pourquoi ces Carnets passent-ils plus inaperçus que Hidden Tapes ? Ok, peut-être que Glistening Examples, le label de Jason Lescalleet a moins de notoriété que Potlatch (qui a sorti HD), oui une édition vinyle éditée en tirage très limité (70 exemplaires) ambiance œuvre d'art est certainement moins accessible qu'un gros tirage CD, mais pourtant, ces Carnets sont aussi remarquables que la première incursion de Marc Baron dans le domaine des bandes.
Ces deux disques sont assez proches dans la forme comme dans le contenu, mais on va quand même arrêter là les comparaisons : peut-être que je vais me répéter mais peu importe, il s'agit de deux disques différents. Les Carnets rassemblent quelques unes des premières expérimentations de Marc Baron avec des installations analogiques et électroacoustiques. Des bandes, des synthétiseurs, des magnétophones, et des enceintes. Le changement paraît radical par rapport au saxophone, car l'installation électracoustique permet des juxtapositions et des collages, mais pourtant, les précédents projets de MB ne sont pas si éloignés de cette nouvelle forme de solo. Quand j'ai vu ce dernier avec le trio OZ en 2007 ou avec le quartet Propagations en 2009, ces formations étaient pleinement conscientes de comment certains types d'ondes (acoustiques ici, du moins instrumentales) se propagaient dans tel ou tel lieu (en fonction de l'architecture, des matériaux de construction, du public), et ils en jouaient autant que MB aujourd'hui avec son projet électroacoustique.
Dorénavant, Marc Baron peut intégrer les haut-parleurs ou le casque ainsi qu'une foule de possibilités électriques et analogiques à son répertoire de "sons à projeter". Sa musique est faite de bandes vieillies, filtrées ou manipulées, d'ondes et de sons synthétiques, de bruit blanc et de triturations électriques ou électroniques. Autant d'élements parfois bruitistes, parfois mélodiques, parfois harsh et parfois méditatifs, concrets ou abstraits, qui forment une longue symphonie d'éléments sonores qui se font écho, qui se superposent, qui se découpent, qui s'entremêlent. Les techniques et les sources sont vastes : on retrouve des sons de synthé, des bandes de field-recordings, des enregistrements musicaux, du bruit électrique, le tout monté à la manière d'un collage, ou découpé abruptement parfois, avec des effets naturels dus aux bandes ou d'autres dus à des filtres, à un égaliseur, à de la reverb, à la stéréo, etc. Donc oui, le répertoire de Marc Baron est vaste, très vaste, parfois convenu, et parfois inattendu, et l'espace ne cesse de se remplir d'une symphonie orchestrée de manière équilibrée, personnelle et intelligente.
Mais le plus surprenant reste peut-être le rapport au temps et à la narration. Car oui, la musique électroacoustique a cette particularité de sonner vieille et moderne en même temps. Toutes ses bandes vieillotes et ses outils pas tout jeune travaillés de manière contemporaine, travaillés de manière à explorer leur dégradation, tout cela nous plonge dans un univers sans âge. Il y a donc le son propre au matériel d'un côté, qui amène ce côté atemporel, mais la construction également de ces pièces. Marc Baron évolue dans le son de manière fluide souvent, comme un nageur, avec douceur. La temporalité de chaque événement semble noyée dans le tout, dans la narration. On ne sait jamais combien de temps un élément sera utilisé, ni combien viendront se joindre à lui et pour combien de temps. Le temps se déroule ici comme dans un rêve, avec une logique propre mais inconsciente, ce qui est accentuée par le travail sur la vitesse de lecture et les filtres. Est-ce un travail sur la mémoire, sur le temps, sur la dégradation du son, sur la narration ? Peut-être tout cela en même temps, en tout cas c'est ce que j'apprécie certainement le plus dans ces travaux : une exploration onirique et atemporelle de phénomènes sonores vastes et subtilement agencés.
MARC BARON - Carnets (LP, Glistening Examples, 2015) : https://glisteningexamples.com/2015/12/16/marc-baron-carnets-glex1503/
Marc Baron - Hidden Tapes
Le label potlatch est connu pour être un des meilleurs labels certainement dans le domaine des musiques improvisées, même si elles tendent aujourd'hui à l'être de moins en moins. Ces derniers temps en tout cas, on a retrouvé de nombreux musiciens axés vers une musique de plus en plus minimalistes et/ou réductionnistes tels Alfredo Costa Monteiro, Sergio Merce, Seijiro Murayama ou même Keith Rowe dans une certaine mesure... C'est avec suprise donc que j'ai écouté Hidden Tapes pour la première puisqu'il s'agit ici d'un solo de Marc Baron consacré à la manipulation de bandes et d'enregistrements dans une veine proche de la musique concrète ou du noise.
Je n'ai pas encore beaucoup parlé de Marc Baron sur cette page qui est pourtant un saxophoniste que j'admire beaucoup. Qui était saxophoniste devrais-je dire par ailleurs puisqu'il a arrêté le saxophone dorénavant. Je l'avais découvert il y a quelques années au sein de son trio plutôt rock OZ, qui ne jouait déjà presque plus de "rock" mais plutôt de longues notes tenues et parfois extrêmes, de la même manière que dans Propagations, paru sur potlatch aussi (quartet "réductionniste" de saxophones avec Stéphane Rives, Guionnet et Bertrand Denzler), puis il s'est lancé dans une musique de plus en plus froide et minimale, une musique faite d'une note proche de la sinusoïde pour sa pureté, une note qui formait des formes qu'on ressent sans les comprendre. Il y a aussi eu cet excellent duo avec Guionnet dont j'ai déjà parlé ici, et Narthex avec Loïc Blairon que je ne connais pas... En tout cas, que Marc Baron soit un musicien apprécié et soutenu par Jacques Oger (potlatch), rien d'étonnant dans la mesure où il fait partie de ces nouvelles générations de saxophonistes hors-norme, mais que Marc Baron pratique la manipulation de bande et que cette sorte de musique concrète soit publiée sur Potlatch, voilà quelque chose que je n'aurais jamais soupçonné...
Mais bref, passons à la musique elle-même, qui est vraiment excellente. C'est un des types de musique que j'affectionne et recherche certainement le plus, et ce disque est du coup un des disques essentiels de l'année pour moi, un disque essentiel tout court d'ailleurs. Comme je l'ai déjà dit, Marc Baron utilise et manipule principalement des enregistrements : il semblerait par ailleurs que la plupart soient des bandes magnétiques, des cassettes et peut-être quelques vinyles... En regardant quels types d'enregistrements sont utilisés et de quelle manière, c'est parfois difficile de ne pas penser au GRM et à Jason Lescalleet. Le GRM car Marc Baron affectionne les modifications de vitesse, et Lescalleet pour les enregistrements familiaux et les morceaux de musiques populaires retravaillés. Ce n'est pas le seul point commun avec ce dernier d'ailleurs, car Marc Baron semble s'approcher de l'audio-vérité en utilisant des enregistrements qui proviennent de sa collection personnelle et intime comme le laissent penser certains titres.En tout cas, ce que je trouve le plus remarquable dans ce disque, outre le travail sur les supports (un travail qui paraît aussi simple que professionnel, rudimentaire et extrêmement précis à la fois), c'est l'équilibre entre les différents types de sources sonores. Marc Baron utilise par moments des sortes de field-recordings quotidiens, puis passe à un travail sur une matière précise comme dans la musique concrète (grincement de porte, marteau, etc.), avant d'entamer un travail sur des dialogues, sur une bribe d'un concert punk, d'une bande originale de film, ou je ne sais quoi encore, quand ce n'est pas la bande, vierge presque, n'utilisant que les parasites.
Marc Baron a ici composé cinq pièces électroacoustiques époustouflantes. On passe de l'abstraction la plus pure et la plus austère à un chaleureuse incursion dans le domaine de la pop, du dialogue ou de la porte concrets aux parasites les plus durs. Tout un travail très précis et équilibré est fait sur les différentes dynamiques de chaque matière sonore, de chaque manipulation, mais aussi sur les couleurs bien sûr. Marc Baron développe une palette extrêmement large et unique de timbres, de textures et d 'atmosphères différentes sur Hidden Tapes. Un travail virtuose, unique, qui se suffit à lui-même, qui n'a pas besoin d'explication. Marc Baron a en effet accompli ici son travail le plus absorbant je trouve : une exploration minutieuse et intime, riche et dense, des bandes sonores. Hautement recommandé.
MARC BARON - Hidden Tapes (CD, Potlatch, 2014) : lien
Je n'ai pas encore beaucoup parlé de Marc Baron sur cette page qui est pourtant un saxophoniste que j'admire beaucoup. Qui était saxophoniste devrais-je dire par ailleurs puisqu'il a arrêté le saxophone dorénavant. Je l'avais découvert il y a quelques années au sein de son trio plutôt rock OZ, qui ne jouait déjà presque plus de "rock" mais plutôt de longues notes tenues et parfois extrêmes, de la même manière que dans Propagations, paru sur potlatch aussi (quartet "réductionniste" de saxophones avec Stéphane Rives, Guionnet et Bertrand Denzler), puis il s'est lancé dans une musique de plus en plus froide et minimale, une musique faite d'une note proche de la sinusoïde pour sa pureté, une note qui formait des formes qu'on ressent sans les comprendre. Il y a aussi eu cet excellent duo avec Guionnet dont j'ai déjà parlé ici, et Narthex avec Loïc Blairon que je ne connais pas... En tout cas, que Marc Baron soit un musicien apprécié et soutenu par Jacques Oger (potlatch), rien d'étonnant dans la mesure où il fait partie de ces nouvelles générations de saxophonistes hors-norme, mais que Marc Baron pratique la manipulation de bande et que cette sorte de musique concrète soit publiée sur Potlatch, voilà quelque chose que je n'aurais jamais soupçonné...
Mais bref, passons à la musique elle-même, qui est vraiment excellente. C'est un des types de musique que j'affectionne et recherche certainement le plus, et ce disque est du coup un des disques essentiels de l'année pour moi, un disque essentiel tout court d'ailleurs. Comme je l'ai déjà dit, Marc Baron utilise et manipule principalement des enregistrements : il semblerait par ailleurs que la plupart soient des bandes magnétiques, des cassettes et peut-être quelques vinyles... En regardant quels types d'enregistrements sont utilisés et de quelle manière, c'est parfois difficile de ne pas penser au GRM et à Jason Lescalleet. Le GRM car Marc Baron affectionne les modifications de vitesse, et Lescalleet pour les enregistrements familiaux et les morceaux de musiques populaires retravaillés. Ce n'est pas le seul point commun avec ce dernier d'ailleurs, car Marc Baron semble s'approcher de l'audio-vérité en utilisant des enregistrements qui proviennent de sa collection personnelle et intime comme le laissent penser certains titres.En tout cas, ce que je trouve le plus remarquable dans ce disque, outre le travail sur les supports (un travail qui paraît aussi simple que professionnel, rudimentaire et extrêmement précis à la fois), c'est l'équilibre entre les différents types de sources sonores. Marc Baron utilise par moments des sortes de field-recordings quotidiens, puis passe à un travail sur une matière précise comme dans la musique concrète (grincement de porte, marteau, etc.), avant d'entamer un travail sur des dialogues, sur une bribe d'un concert punk, d'une bande originale de film, ou je ne sais quoi encore, quand ce n'est pas la bande, vierge presque, n'utilisant que les parasites.
Marc Baron a ici composé cinq pièces électroacoustiques époustouflantes. On passe de l'abstraction la plus pure et la plus austère à un chaleureuse incursion dans le domaine de la pop, du dialogue ou de la porte concrets aux parasites les plus durs. Tout un travail très précis et équilibré est fait sur les différentes dynamiques de chaque matière sonore, de chaque manipulation, mais aussi sur les couleurs bien sûr. Marc Baron développe une palette extrêmement large et unique de timbres, de textures et d 'atmosphères différentes sur Hidden Tapes. Un travail virtuose, unique, qui se suffit à lui-même, qui n'a pas besoin d'explication. Marc Baron a en effet accompli ici son travail le plus absorbant je trouve : une exploration minutieuse et intime, riche et dense, des bandes sonores. Hautement recommandé.
MARC BARON - Hidden Tapes (CD, Potlatch, 2014) : lien
Jean-Luc Guionnet & Marc Baron [DL]
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JEAN-LUC GUIONNET - Qlinam (Moka Bar, 2013) |
Enregistrée en 2011 je ne sais pas dans quelle église et publiée en 2013, cette longue improvisation est dure, austère, et très vivante en même temps. Les lecteurs de ce blog connaissent l'intérêt que Guionnet peut porter au son dans sa réalité physique et dans sa relation à l'espace. C'est quelque chose qui a en grande partie façonné son jeu au saxophone, mais qui est complètement exacerbé à l'orgue. Peut-être est-ce cette pratique de l'orgue qui l'a amené à s'intéresser à ces paramètres par ailleurs, c'est peut-être le fait d'être organiste qui l'a conduit à envisager la musique de cette manière.
L'orgue est un instrument très vaste et imposant, au niveau acoustique surtout, pas au niveau spatial. Les lieux où ils reposent par contre le sont également, et offrent souvent une belle réverbération qui amplifient naturellement l'instrument. Une situation rêvée pour Guionnet qui en explore ici toutes les possibilités (enfin pas toutes, mais un large éventail en tout cas). Les deux claviers et le pédaliers sont la plupart du temps nettement séparés : un élément est utilisé de manière continue et linéaire, l'autre de manière heurtée, les médiums forment des nappes douces, les basses des drones simples, les medium-aigus des clusters brusques, les aigus des fréquences épurées. C'est une sorte de base qui est régulièrement renversée et inversée en fonction de la direction que Guionnet veut donner au son, en fonction de la place qu'il veut que l'acoustique prenne dans l'espace, mais aussi bien sûr en fonction de la densité, de l'intensité, de la couleur et du volume qu'il veut donner à la matière sonore. Guionnet utilise différentes combinaisons pour donner du relief et de la profondeur au son, mais également pour l'aplanir. Un reflief et des aplats qui ne sculptent pas que le son, mais également le fil que ce dernier suit, c'est à dire la progression, ou la forme.
Ici, l'orgue dicte la forme de la musique, c'est le relief, la profondeur, les contrastes, les différentes combinaisons et oppositions entre chaque partie de l'orgue, de même que l'intensité avec lequel il est joué, qui forment la musique dans sa dimension temporelle - ce qui la rend extrêmement vivante. Guionnet joue avec les différentes possibilités acoustiques de l'orgue pour créer une musique organique - en lien très fort avec l'interprète - vivante dans sa relation à l'espace et au son, très riche de manière abstraite, et extrême.
téléchargement (gratuit) et informations : http://mokabar.klingt.org/qlinam.html
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JEAN-LUC GUIONNET & MARC BARON - Non Solo / Form Proof (Moka Bar, 2013) |
Marc Baron est un
saxophoniste alto français qui a poussé l’épure à son maximum et de manière
très rapide, c’est certainement un des saxophonistes les plus extrêmes qu’il
m’ait été donné d’entendre. Je l’ai découvert au sein du trio OZ et
« jusqu’ici tout allait bien » j’ai envie de dire, le trio faisait
une sorte de mélange entre les musiques amplifiées, le post-rock, le jazz et le
free jazz, ça devait être en 2006 ou 2007. Puis avec ce même trio, au fil des
concerts, leur musique est devenue de plus en plus abstraite, de plus en plus
froide et se concentrait de plus en plus sur les fréquences extrêmes. Après il
y a eu Propagations : un quartet avec Jean-Luc Guionnet, Stéphane Rives et
Bertrand Denzler, quatuor de saxophones qui ne jouait que sur le souffle continu
et les notes tenues. Et enfin, Marc Baron a commencé à travailler seul, avec
une seule note, dans un registre aigu, toujours identique à elle-même, non sans
rappeler Radu Malfatti, avec un aspect beaucoup plus froid et clinique. Et
aujourd’hui j’apprends qu’il a arrêté le saxophone – un de plus sur la liste
des saxophonistes désabusés peut-être.
Quoiqu’il en soit, avant d’arrêter le saxophone, Marc Baron
a pris le temps de travailler avec un autre saxophoniste français très
important : Jean-Luc Guionnet
(qui ne joue ici qu’avec des enregistrements). Silences, bruits, saxophone.
Ainsi pourrait se résumer les cinq pièces de Non Solo/Form Proof. Guionnet installe des enregistrements
quotidiens, souvent bruts, parfois travaillés (comme cette mobylette inversée
et mise en boucle à la fin), et rajoute par moments quelques bruits de synthèse
électroniques. Les enregistrements sont très linéaires, instables, parasités et
continus, avec un aspect narratif. A ses côtés, ou à l’opposé, Marc Baron joue
la répétition, la monotonie, la froideur et le statisme. Une note, quelques
secondes plus tard, elle revient, avec la même attaque, la même durée, une note
toujours désincarnée, une note froide et mécanique qui laisse complètement
oublier la présence de l’instrumentiste. A la limite, c’est la présence du
silence et de Guionnet que l’on ressent le plus durant cette petite heure. Une
présence pourtant pas très forte, ni très longue, mais qui paraît bien plus
vivante et chaleureuse que le saxophone de Marc Baron. Mais c’est ce que je
trouve formidable chez Marc Baron : cet effacement total et radical dans
le son. Il n’y a plus aucune présence, plus aucune forme, plus aucun
concept : juste un son, un silence, le même son, le même silence. C’est
froid et mécanique, mais impressionnant car imperturbable. Qu’il y ait du
silence ou des bruits, la présence de Baron est la même : effacée derrière
une note simple et répétée (quand ce n’est pas un simple slap), mais pure, sans
fioriture ni forme. Une ligne droite, abstraite, parfaite.
Je parle beaucoup de Marc Baron car c’est la première fois
que je le chronique ici. Mais les enregistrements de Guionnet valent aussi le
coup. Il parvient à s’insérer finement tout en assumant sa présence dans le
monde de Baron. Ses enregistrements et bruits sont là, ils forment une
continuité et semblent assurer une sorte de structure. Et pourtant, on ne
parvient pas à saisir comment la musique se déroule, pourquoi, ni comment. Elle
est juste là, comme ces enregistrements parfois naturels, parfois humains, parfois
abstraits, souvent abstraits même. La rencontre de ces deux musiciens est
saisissante : on ne sait pas ce qui va arriver, ni comment ça arrive, il
s’agit d’une surprise constante, une surprise bien au-delà des recherches
réductionnistes, une surprise toute en abstraction la plus dure et en
simplicité la plus extrême. Recommandé.
téléchargement (gratuit) & informations : http://mokabar.klingt.org/nonsolo_formproof.html
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