Des orgues lointains, un harmonica tout droit sorti de Bagdad Café, des enregistrements de terrain obscurs, des voix très discrètes, étouffées et fantomatiques, des rythmiques lentes et épurées, des nappes ambiant moites, des machines qui déraillent discrètement, des ponctuations électroniques improbables. La liste n'est pas exhaustive, j'en oublie sûrement. Les sources techniques, instrumentales et sonores à la base de ces deux pièces sont nombreuses, mais le trio les utilise avec parcimonie, elles sont assemblées en plusieurs niveaux dans un mixage parfait. Rien ne sort du lot, rien n'est étouffé, tout se mélange en une délicate masse sonore composée de différents cycles. Les sources possèdent leur propre rythme et leur propre cycle qui sont superposés pour fabriquer deux pièces au déroulement fluide et progressif, mais inattendu et onirique, irréel et liquide.
Les deux pièces de Pale Calling sont toutes les deux des longues formes fluides, lentes, cycliques, et répétitives. Il y a quelque chose de sombre et d'inévitable, une ambiance un peu pesante et moite qui pourrait faire penser à Bohren & der club of gore, surtout la première pièce avec son orgue spectral et sa basse profonde. Mais la comparaison s'arrête là, car ce trio est incomparable. On peut reconnaître la patte d'Oren Ambarchi éventuellement, cette touche ambiant électroacoustique composée de couches sombres et délicates, mais quant à Rushford et Jaeger, je ne les avais jamais entendu auparavant, donc je ne peux rien en dire.
De toute manière, je ne crois pas que l'important soit de savoir qui fait quoi, et comment, et encore moins de chercher des influences ou des comparaisons, car ce serait passer à côté de ce disque. S'il y a bien une chose qui fait tout son intérêt, c'est son aspect unique et hors du commun. Pale Calling est d'une fraîcheur suprenante, c'est un disque qui pourrait nous bercer pendant des heures, qui peut nous accompagner à tous moments. C'est un disque extrêmement dense techniquement, et d'une simplicité déroutante. Toutes les couches et tous les cycles sont assemblés pour former une musique douce, fine, soyeuse, mélodique. Le trio propose ainsi une sorte de voyage construit comme un rêve, avec sa logique propre, avec son déroulement et ses associations irréels, un voyage beau et déroutant, moite et lumineux, poétique et berçant.
OREN AMBARCHI, KASSEL JAEGER, JAMES RUSHFORD - Pale Calling (LP, Black Truffle, 2016) : http://www.blacktrufflerecords.com/