Splinter Orchestra est un collectif qui existe depuis maintenant une quinzaine d'années, au sein duquel on a pu retrouver la plupart des improvisateurs et musiciens expérimentaux australiens des années 2000 et 2010. Aucun disque n'était sorti depuis dix ans (à l'époque où ce projet évoluait avec Chris Abrahams, Clayton Thomas, Clare Cooper, Monika Brooks, Mike Majkowski, ou encore Dale Gorfinkel), mais l'orchestre revient aujourd'hui avec un triple CD dans lequel on retouve quelques musiciens phares tels Jim Denley, Laura Altman ou encore Cor Fuhler.
Un triple CD pour trois mouvements qui se déroulent dans divers lieux à divers moments : à l'aube dans un parc naturel, à midi dans un batiment en bois, et en pleine nuit sur une piste d'atterrissage. A chaque fois, ils étaient une vingtaine de musiciens à suivre quelques consignes ouvertes sur les placements et les déplacements par rapport aux microphones, mais surtout à prêter une attention extraordinaire à l'espace comme au temps pour créer trois pièces complètement différentes, le reflet de là où elles se déroulaient.
Il ne s'agit pas du tout d'enregistrements de terrain à chaque fois, l'environnement est présent certes, mais surtout pas au premier plan. Ce dont il s'agit, c'est d'un dialogue hors du commun entre une vingtaine de musiciens, avec un certain lieu à un moment x. L'orchestre entame une sorte de dialogue avec l'espace sans pour autant faire de ce dernier un élément musical. En fait, l'espace et le temps semblent être des éléments compositionnels plutôt que sonores ou "instrumentaux". Le dialogue n'est pas sonore et concret, il est plutôt abstrait. Les lieux d'enregistrements semblent former des partitions qui invitent les musiciens sur des territoires sonores différents et uniques, des territoires qui n'auraient jamais pu se former ailleurs à un autre moment.
Ceci-dit, si les ambiances et les environnements changent au fil de ces trois disques, il s'agit toujours du même orchestre et des mêmes musiciens qui jouent, et de fait, il y a quand même une cohésion et une unité entre ces trois disques. L'orchestre navigue régulièrement entre quelque chose d'abstrait et abrasif, et quelque chose de mélodique et archaïque. Les instruments frottent et craquent d'un côté, mais chantent aussi de manière primitive et simple. Les flûtes, les voix et les percussions primitives côtoient des cordes triturées et des objets incongrus ainsi que des saxophones comme fissurés. Il y a quelque chose d'atmosphérique mais étrangement intense et captivant, comme un univers imprévisible et exotique qui se déroule sous nos yeux. On est toujours à cheval entre une musique apaisante et tendue, mélodique et abstraite, maximaliste et réductionniste.
Je dois dire que je n'écoute plus beaucoup de musiques improvisées, que je me lasse de nombreux improvisateurs. Mais là, il s'agit de ces disques qui me font aimer l'improvisation, qui me font aimer l'expérimentation. Car il s'agit d'un disque qui contrairement à beaucoup d'autres, possède son univers propre, une ambiance personnelle, des sonorités créatives. Il ne s'agit pas seulement d'improvisation, de concept sur l'espace et le temps, de dialogue avec l'environnement, il s'agit d'un acte créatif, d'une proposition fraiche et innovante qui donne du sens à l'improvisation ainsi qu'à la musique expérimentale. Une beauté.
SPLINTER ORCHESTRA - Mungo (3CD, Splitrec, 2017)
Splinter Orchestra - Mungo National Park March 2016 from Axel Powrie on Vimeo.