C’est en 2012 qu’a été publiée la première partie du projet Stones, Air, Axioms, qui réunit Jean-Luc Guionnet et Thomas Tilly à l’intérieur de bâtiments
religieux. La première installation s’était déroulée à la cathédrale de
Poitiers (qu’on peut retrouver en CD), la deuxième dans une église polonaise,
et enfin, dans la synagogue de Delme. Il s’agit dans ce projet d’investir une
architecture particulière de manière sonore. Alors bien sûr, ce ne sont pas les
premiers à exploiter la réverbération et l’acoustique propre à ce type d’architecture,
mais Guionnet et Tilly vont beaucoup plus loin ici. Car après un examen des
plans architecturaux, ils relèvent les dimensions du bâtiment pour les
transposer, d’une part en fréquences sonores, puis en notes. L’architecture n’est pas seulement
instrumentalisée dans ce projet, elle est la matière même de la musique.
Le premier volume de ce projet ne m’a pas laissé beaucoup de
souvenirs après ces années. Ce dont je me rappelle, c’est d’un enregistrement
assez froid, austère, majoritairement composé de sinusoïdes, mais qui manquait
un peu de vie. Mais avec ces années, il semblerait que Guionnet et Tilly aient continué de peaufiner ce projet et de l’enrichir de manière spectaculaire. Durant cette installation, des haut-parleurs étaient disposés au
sein de la synagogue ainsi qu’à l’extérieur, ces derniers diffusaient toujours
des sinusoïdes (de manière aléatoire), des voix récitant une prière Dogon (en
français, en sigi so et en hébreu), des témoignages mystico-spirituels d’amis,
et des enregistrements instrumentaux (percussions, violon alto et cornemuse).
Si la « matière » sonore du premier volume de ce
projet n’était composé que d’orgue et de sinusoïdes, on voit qu’elle s’est
beaucoup enrichie ici. Mais l’élargissement n’est pas que sonore : l’introduction
d’enregistrements vocaux, mais aussi d’instrumentistes et d’amis, confère à
cette installation certaines dimensions qui ne sont plus qu’artistiques et
esthétiques. Cette dernière possède également des côtés très intimes, mystiques
et spirituels qui d’une part, font écho à la synagogue et sa fonction bien sûr,
mais donne surtout plus de vie à cette installation qui sort un peu de l’abstraction
et du formalisme. Tous ces « objets » - comme ils les nomment - sont
autant d’univers différents empreints de beauté et de charme. Des univers
dédiés à des haut-parleurs qui font vivre la synagogue aussi bien que la
synagogue paraît vivre à travers eux. Toutes ces touches personnelles, ces
objets, s’ils ne retranscrivent peut-être pas exactement l’architecture du
lieu, permettent néanmoins de la ressentir. Car tout ce qu’il y d’humain dans ces enregistrements, tout le signifiant
de ces objets, permet une approche commune du lieu, qu’on soit présent ou non.
Guionnet et Tilly ont également fait un grand effort « postproduction »
si l’on peut dire. Ils ne se sont pas contenté de faire de simples captures
sonores de l’installation mais ont véritablement composé une nouvelle pièce
pour la publication. Dans les 20 pièces qui forment ce disque, on retrouve
certains des objets diffusés (enregistrements vocaux ou instrumentaux), ainsi que
des doubles enregistrements mobiles, des enregistrements stéréo, statiques ou
non, mais toujours bruts. Le montage de ces différentes sources et techniques
rend le tout encore plus vivant et accueillant, il ne cesse de surprendre.
De manière générale ce disque est une vraie surprise et une
vraie réussite. Il partage la profondeur du mysticisme, la beauté sonore du
field-recording, l’intelligence formelle et la sensibilité esthétique de l’art
sonore, l’intensité et l’aspect organique de la musique. Un disque comme on n’en
a jamais entendu et qui ne se laissera pas oublier.
JEAN-LUC GIONNET & THOMAS TILLY - Stones, Air, Axioms / Delme (2xLP, Fragment Factory, 2018)