Alessandro Bosetti - Royals (Monotype, 2011)


Alessandro Bosetti: compositions, textes, voix, électronique, field-recordings, wurlitzer piano, soprano saxophone, guitare, harpe, etc.
Fernandah Farah, Ksenija Stevanovic, Christopher Williams: voices
Rozemarie Heggen: contrebasse

Le compositeur d'origine milanaise est surtout connu pour ses collaborations au soprano dans le domaine de la musique improvisée, notamment aux côtés de Michel Doneda, d'Anette Krebs, Peter Kowald ou encore au sein du collectif Phosphor. Mais attention, lorsque Bosetti quitte son saxophone et écrit, la démarche est radicalement différente et n'a franchement rien à voir avec l'improvisation. Royals, également publié par le label polonais Monotype, rassemble trois nouvelles pièces, toutes axées sur une obsession propre à Bosetti: le rapport entre musique et langage.

Je ne ferai pas un détail de chacune des pièces, car elles sont toutes assez proches dans l'intention, et diffèrent surtout dans la structure formelle. Au commencement donc, le Verbe, matériau fondamental de ces trois pièces: des boucles de paroles, des dialogues, des traductions de poèmes, etc. Le discours oral sous différentes formes: littéraires, dialogiques, monologiques, et enfin, surtout musicales. Car le but de ces trois pièces est certainement, en premier lieu, de faire surgir la musicalité, à travers les intonations et le rythme, inhérente à toute forme de langage oral. Ainsi, Bosetti dédouble le discours en l'accompagnant d'instruments à l'unisson avec la voix, les voix. Les trois pièces offrent une prosodie parfaite où la musique se calque intégralement à la voix pour mieux en déployer l'essence musicale. Mais à l'inverse, la musique peut aussi servir de contrepoint et elle acquiert dès lors une signification extra-musicale, une signification qui prend corps par la relation au texte. Le verbe devient musique, et inversement, la musique se fait verbe. Royals réunit trois polyphonies prosodiques où langage et musique se confrontent et se recoupent, trois pièces qui déploient les points de fuite et de rencontre entre ces deux modes d'expression.

Concrètement, comment Bosetti arrive-t-il à ces résultats? Il y a tout d'abord les unissons omniprésents entre la voix et la musique, quand le texte devient mélodie et la musique langage. Il y a aussi les contrepoints dramatiques et sémantiques comme je viens de le noter. Sans oublier un entrelacement assez fréquent des voix qui se superposent, s'enchevêtrent et s'imbriquent, en plus de la musique qui tente de les soutenir. Mais pour ne rien rater, Bosetti créé souvent des boucles, une phrase est inlassablement répétée, à outrance, jusqu'à ce qu'on puisse réellement en saisir les propriétés musicales sans être gêné par le sens qui de toute façon s'évanouit, ce pourquoi il peut comparer sa musique à des formes de mantras: le langage devient en effet véritablement envoutant et nous submerge grâce à son rythme et sa mélodie. Ensuite, le sens, qui le préoccupe aussi grandement: déployé selon plusieurs modes (le dialogue rationnel, le monologue, la récitation, la traduction, ou l'incompréhension mutuelle), il affecte insensiblement et progressivement la musicalité, et pour ne pas qu'il absorbe trop l'auditeur donc, Bosetti le contourne par la répétition, le détournement ou le contournement par la submersion dans la mélodie. En somme, un mélange inextricable de sens et de musique.

Si les compositions peuvent rappeler la musique minimaliste de Terry Riley, on entend de nombreuses cellules répétées en boucle qui se construisent et se déconstruisent progressivement, et les textes les performances récentes de poésie sonore, le mélange des deux ne ressemble à rien de commun. Trois compositions écrites dans un style sauvagement original et passionnant, qui posent des questions essentielles à la compréhension de la musique et offrent des possibilités inouïes. Les potentialités ouvertes par cette approche de la musique (entre" composition musicale, chanson, poésie, essai littéraire et mantra athée") semblent infinies et peuvent explorer un territoire véritablement neuf et frais, même s'il rappelle quelque fois les recherches de Berio lorsqu'il écrivait sa Sinfonia ou encore Laborintus II par exemple. En tout cas, impossible de décrocher de ce disque, je me suis retrouvé complètement charmé, au sens magique, par cette exploration interstitielle des rapports entre musique et langage. Je suis totalement envoûté par cette polyphonie passionnante qui réussit pleinement à déployer la sémantique propre à la musique et la musicalité propre au langage. Magnifique!

Tracklist: 01-Gloriously Repeating / 02-Life Expectations (d'après un texte de Chris Heenan et Fernanda Farah) / 03-Dead Man (d'après des vers de W.G. Sebald tirés de After Nature)