Michel Doneda, Jonas Kocher, Christoph Schiller - ///Grape Skin (Another Timbre, 2011)


Michel Doneda: saxophone soprano & radio
Jonas Kocher: accordéon & préparations
Christoph Schiller: épinette & objets

Quelques mots sur cet étrange trio pour finir la série printanière d'Another Timbre. Michel Doneda (très prolifique en ce début d'année) au soprano et à la radio s'associe ici à Jonas Kocher à l'accordéon et à Christoph Schiller à l'épinette (sorte de clavecin oblique aux cordes pincées par des plumes). On le voit tout de suite, la formation instrumentale à elle seule abolit de nombreuses frontières: si l'épinette renvoie aux musiques anciennes de tradition écrite, l'accordéon fait plutôt référence aux musiques populaires tandis que saxophone et radio sont facilement associés au jazz et au XXe siècle. Le titre même de l'album, ///grape skin, est aussi énigmatique et paradoxal que la réunion de ces instruments et objets, dans la mesure où la peau des fruits renvoie au monde organique et réel tandis que les slashs proviennent du monde numérique et virtuel.

Au-delà de ces remarques introductives, regardons un peu la musique proposée par ce trio durant ces deux pièces nommées "membranes". Inutile de le préciser étant donné l'esthétique générale du label Another Timbre, on se doute facilement de l'importance accordée au timbre. La première pièce est constituée de longues nappes souvent monophoniques qui se distinguent par leur registre et leur hauteur. Ces trois nappes s'unifient sans jamais se confondre, même si le son est très homogène, nous pouvons toujours distinguer les trois sources sonores (sans nécessairement identifier la source de manière précise et individuelle). L’étendue sonore vit et se modifie à chaque modification ou fluctuation d'une des nappes, la moindre modulation donne corps à une nouvelle texture sans quitter réellement l'univers de celle qui la précède. Le temps lisse et le peu de variations d'intensité n'ont rien d'ennuyeux, nous sommes comme à l'intérieur d'un corps inerte en apparence, dont nous contemplerions la vie interne et organique, faite de flux, d'énergies et de rythmes énigmatiques.
La "seconde membrane" est composée d'interventions beaucoup plus courtes, volatiles et autonomes, mais toutes aussi marquées par la discrétion et la retenue. Si les nappes ont disparues au profit d'un discours plus dispersé et volubile, ce qui n'est pas sans modifier l'énergie du trio, la texture reste similaire et homogène, comme un écho survolté de la première pièce. Si un certain calme et une certaine sérénité sont conservés, la vie de cette "membrane" semble plus chaotique mais aussi plus organique et plus réelle car divers conflits et ententes, tensions et résolutions, apparaissent, surgissent, se résolvent et disparaissent constamment.

///grape skin refuse les barrières entre les époques, les genres, les traditions, toutes les oppositions ou confrontations sont annihilées au profit d'une musique cosmique, atemporelle et éternelle, belle au-delà de la beauté, sensible au-delà des sens, et intelligente au-delà de la raison discursive. La musique de ce trio est pleine d'attention à l'autre et à l'univers, attention à ses potentialités comme à ses difficultés qui sont toutes aménagées au profit d'une œuvre plus que collective (car il ne s'agit plus d'un collectif, mais du cosmos).

Tracklist: 01-First Membrane / 02-Second Membrane