1985, c'est mon année de naissance, donc je ne pourrais pas trop parler
de cette époque, mais seulement de comment je l'imagine. Pour moi
c'était quand on parlait d'indus à la place de noise, quand Throbbing
Gristle et Nurse With Wound étaient les chefs de file des musiques
extrêmes et expérimentales. C'était avant que l'ordinateur ne se
généralise, avant les copinages entre la noise et l'improvisation (avant
l'arrivée de Zorn au Japon donc). Une époque où la musique improvisée et l'indus avaient déjà connu leurs heures de gloire et où
il fallait que quelque chose de nouveau arrive. Et ce quelque chose
c'est peut-être bien Merzbow, l'homme qui a donné une seconde vie
à l'indus, qui a dédié sa vie au bruit sous toutes formes, qui est le
fondement du japanoise et du harsh noise.
Cependant, après plusieurs centaines de publications depuis plus de trois décennies, je pense qu'on est maintenant pas mal à être fatigué de Merzbow. Le trip bondage, les murs de bruit harsh, les multiples collaborations avec les stars de l'indus, du drone, de la noise ou de l'impro, ça ne prend plus vraiment. Mais un retour en arrière parfois ça fait du bien. De mon côté, j'ai commencé à écouter Merzbow dans les années 2000 seulement, alors que l'ordinateur occupait une grande place dans sa musique, que la japanoise avait un gros succès en Europe et aux Etats-Unis (grâce à Tzadik entre autres), etc. Le rythme de publication de Merzbow étant ce qu'il est, je n'ai jamais vraiment pris le temps d'écouter ses premières publications, de faire de retour en arrière pour voir comment il avait commencé, et voilà qu'aujourd'hui j'écoute Life Performance, cette réédition d'une cassette de 1985 (éditée par ZSF, le label de Masami Akita et par le label français Le Syndicat à l'époque), une réédition vraiment bienvenue et renversante en fait, qui me fait aimer à nouveau la superstar japonaise du harsh noise.
Life Performance, ou Nil Vagina Mail-Action, est une longue suite d'une heure composée uniquement avec du matériel analogique. Le plus surprenant dans ce CD reste certainement l'utilisation très fréquente de tape loops. Une bribe de chants retournée sur elle-même, saturée, et rythmée qui laisse présager les futurs innovations de Jason Lescalleet ou Aaron Dilloway. Des boucles qui font le lien entre l'indus et la noise. Merzbow les utilise pas tellement dans un but politique et pour détourner la technologie, mais parce qu'il avait ça sous la main pour faire du bruit. Peu importe les sources avec Merzbow souvent, seul le résultat compte. Et ce résultat, ce sont des murs de bruit blanc, des fréquences extrêmes, une tension permanente, le bruit blanc et les ultrabasses explorés dans toute leur intensité, pour une musique organique, une méditation de l'extrême.
Les larsens, le bruit blanc, les voix poussées à l'extrême sont présents, mais il y a ces tape loops. Ces boucles qui donnent du rythme, qui détruisent les médias, ces boucles subliminales et entêtantes qui entrecoupent chaque mur de harsh noise, ou qui en forment la source. Les tape loops sont superposées, fracturées, saturées, enrichies de larsens extrêmes, passées au filtre de pédales d'effets pour former une longue symphonie bruitiste de la destruction et de la déconstruction des bandes. Mais il ne s'agit pas d'une destruction nihiliste, il s'agit avant tout de créer une nouvelle musique, les bandes sont une source sonore comme une autre qui vont créer les textures bruitistes que l'on continuera d'utiliser pendant encore quelque décennies : ces tetxtures extrêmes, sauvages, brutales, inaudibles pour certains, jouissives pour d'autres, toujours d'actualité en 2016, ou totalement obsolètes pour d'autres musiciens. Il s'agit des premiers pas de cette musique donc qui a chamboulé les années 90 surtout, mais qui n'a pas dit ses derniers mots.
MERZBOW - Life Performance (CD, Cold Spring, 2016) : http://coldspring.co.uk/discography/csr218cd/#.V0fUYeTpzO8