Guillaume BELLANGER

Guillaume Bellanger - T-One (autoproduction, 2012)

T pour témoignage, et one pour premier. Guillaume Bellanger entame donc avec ce disque une série sur l'évolution de son rapport au saxophone soprano et au solo. En l'écoutant, difficile de ne pas penser à Evan Parker: souffle continu et phrases multiphoniques sont constamment de la partie. La même verticalité aussi, mais avec des éléments mélodiques plus fréquents ainsi qu'un intérêt qui commence à pointer pour une musique plus horizontale, aux accents parfois étonnamment baroques. Deux manières de jouer donc qui se superposent parfois, qui s'entrechoquent ou se confrontent à d'autres moments.

Le saxophoniste tourangeau nous propose ici une musique dense, riche, et puissante. Mais aussi personnelle et intime. La musique de Bellanger semble se produire dans l'urgence, avec tous les accidents techniques et les imperfections que ceci suppose. Mais tous ces "accidents" sont transformés en musique, ils deviennent partie intégrante de l'improvisation du moment que le saxophoniste les assume entièrement et les intègre à son improvisation.

A l'intérieur de ces longs flux continus, de ces phrases interminables d'une dizaine de minutes, de longs silences s'imposent par moments, des silences reposants, qui ne donnent que plus d'intensité à ce qui a précédé et à ce qui s'ensuivra. Et il ne faut pas le nier, devant la densité et l'intensité du déluge de notes propre à une grande partie de ce solo, les silences ont une valeur de repos inestimable, une valeur de résolution magique. Car malgré quelques écarts mélodiques et harmonieux, la majeure partie de ce disque est construite sur des flux continus atonaux et extrêmement tendus, et durant presque une heure, la tension est plus que palpable, ce qui, en contre-partie, donne également une valeur inestimable aux quelques pauses sonores qui s'imposent.

A propos de tension, il ne faudrait pas croire non plus que les passages et séquences plus mélodiques sont dénoués de tension, car ils sont en grande partie partie fondés sur la répétition, sur la répétition obstinée d'un arpège ou de deux ou trois notes dans lesquelles s'insèrent parfois des harmoniques ou des multiphoniques, d'une manière qui pourrait rappeler un Colin Stetson, mais en acoustique et en beaucoup plus intense et certainement plus virtuose que le saxophoniste canadien, et surtout, bien plus riche en émotions et en sensations. C'est d'ailleurs cette conception du solo que Guillaume Bellanger va privilégier par la suite, comme me l'a fait entendre une superbe démo à paraître bientôt j'espère [voir la vidéo ci-dessous].


Grente / Bellanger / Ziemniak - Live au Préau (Fiasco, 2011)

Si les noms des trois musiciens sont inscrits sur la pochette, on connaît aussi ce trio sous le sobre nom de BGZ aujourd'hui. B pour Guillaume Bellanger (saxophones ténor et soprano), G pour Patrice Grente (contrebasse) et Z pour Étienne Ziemniak (batterie). Avec leur premier album enregistré en live, le trio BGZ nous propose une courte pièce de 26 minutes, très agressive et intense. Sous quelques aspects, cette formation a des airs de certains projets de Guionnet (The Fish d'un côté, ou Return of the New Thing), pour l'absence de crescendo, et pour le caractère parfois répétitif et obstiné. Mais la comparaison s'arrête là. Sur ce Live au Préau, le trio BGZ nous offre une improvisation très très énergique et puissante, une performance qui doit aussi beaucoup au free jazz bien sûr. Au free jazz, mais aussi à la noise, deux catégories intégrées mais auxquelles ils échappent, formellement en tout cas. Noise car l'énergie ne s'essouffle jamais, BGZ est toujours à fond, la section rythmique ne respire pas, la tension est toujours maximale, et le saxophone est un long cri ininterrompu. Mais la référence au jazz est en même temps bien plus discrète (bien que présente comme on peut l'entendre dans les phrasés coltraniens du ténor autour de la seizième minute), elle se confond avec les influences de musiques extrêmes comme la noise, ou le punk. Cependant, il n'y a pas de place ici pour une réactivité formelle et réfléchie comme dans l'improvisation libre, tout se joue dans l'urgence, dans un cri primal et rituel, un cri qui provient du corps avant tout.

26 minutes d'énergie pure et de musique organique, où les trois instruments se confondent dans un joyeuse orgie bancale et chaotique.

[je m'excuse pour la reproduction, c'est la seule que j'ai pu trouver sur le net...]

Guillaume Bellanger / Étienne Ziemniak - 39'05 (autoproduction, 2010) Autre formation: autre musique. Finis les accents baroques du solo de GB et les influences américaines du free jazz présentes dans le trio BGZ. Ce duo saxophone/batterie avec Guillaume Bellanger et Étienne Ziemniak est autrement plus minimaliste que les deux disques chroniqués plus haut. Enregistré dans une église, cette improvisation de 39'05 minutes commencent par le léger frottement d'une caisse claire et la répétition lente et métronomique de slaps pendant une dizaine de minutes - et dès lors, c'est l'influence des musiques dites "réductionnistes" qui se fait sentir. Viennent ensuite des cymbales percutées et frottées soigneusement et précautionneusement, ainsi que les cadres métalliques et les peaux. Je n'aime pas vraiment les comparaisons et les catégories - solution de facilité - mais ici encore, deux duos me viennent à l'esprit: le duo Guionnet/Murayama et Rives/Murayama. Pour ces longues plages et nappes sonores interminables, ces flux continus et minimalistes qui étirent le temps et nous plongent dans une temporalité inhabituelle. Mais ici, le duo semble bien plus plongé dans la temporalité même et le son, que dans l'espace - comme dans les deux duos précédemment cités. Le duo Bellanger/Ziemniak explore les confins minimalistes de la batterie et du saxophone, la peau, le bois et le métal du premier, le souffle, le roseau et le cuivre de l'autre. Tout comme le temps est étiré, les techniques de jeux sont aussi "étendues" comme on dit; le son est personnel et minimaliste, en osmose avec le lieu et sa résonance ainsi qu'avec le collaborateur. 

Une longue et lente plongée contemplative et sonore dans les profondeurs et les hauteurs de l'église de Meslay, une plongée mystique, minimale, très sensible et quelque peu spirituelle dans les abysses du saxophone et de la batterie. Recommandé.