John Coxon / Evan Parker / Eddie Prévost - Cinema (Fataka, 2012)

Pour beaucoup, Evan Parker fait partie de ces musiciens qui marquent toute une vie. Un musicien qui change notre vision de la musique, de l'improvisation, de l'individualité esthétique, etc. Car il s'agit d'une des personnalités musicales les plus fortes qui soient, et aussi - mais peut-être avant tout - d'un des instrumentistes les plus talentueux de la musique improvisée européenne. Quel saxophoniste n'aura pas été marqué par le phénomène Evan? et au-delà, quel musicien n'aura pas été grandement marqué par son duo avec Paul Lytton, par sa pratique solo de l'improvisation ou encore par le fameux trio Parker/Guy/Lytton? tout ça sans oublier le Spontaneous Music Ensemble et le Schlippenbach trio bien entendu, mais je vais m'arrêter ici, car la liste serait interminable... Et vous l'avez déjà compris, ce type est un des musiciens qui m'a le plus retourné et marqué, notamment au niveau des musiciens qui pratiquent la musique dite efi.

Pour ce trio inédit enregistré en 2008, le saxophoniste anglais est accompagné du percussionniste Eddie Prévost (autre figure légendaire des musiques improvisées) et de John Coxon (guitare et basse électriques). Cinema, c'est une seule improvisation de 55 minutes, une improvisation riche et dense, sans jamais être saturée. Les jeux de Prévost et Coxon surtout, sont variés, éclectiques, mêlent archets sur cymbales, peaux frottées, larsens, cordes frottées et grattées, des volumes puissants puis presque silencieux. Tout au long de cette petite heure, personne ne se marche dessus, l'heure est à l'écoute, au respect de la prise de parole, et à l'aération. Jamais personne ne sera couvert par l'autre ou les autres. Ni au niveau du volume, ni au niveau de l'esthétique d'ailleurs, car l'individualité et le son de chacun sont constamment maintenus, la personnalité du discours de chacun est conservée et n'est jamais subordonnée au son de groupe. Il en résulte dès lors une musique fraîche et nouvelle, paradoxalement basée sur des formes de discours connus et déjà utilisés. C'est d'ailleurs en grande partie la force d'un Evan Parker, le pouvoir de se renouveler à chaque représentation en utilisant le même matériau, la force d'interagir de manière très intime avec une multiplicité hallucinante de musiciens sans jamais se départir de sa personnalité. Car ici, encore, Evan Parker continue d'user, avec modération, de son jeu sur le souffle continu, sur les attaques et leur puissance, ainsi que sur les phrases multiphoniques.

J'aimerais vous en dire plus, mais la musique de Parker semble souvent réticente au discours. Une ou deux choses à savoir quand même: premièrement, cette nouvelle collaboration conserve l'intensité propre à Evan Parker tout en la renouvelant, en lui offrant un nouveau contexte et un nouvel environnement où il peut librement se déployer. Deuxièmement et dernièrement, c'est juste... mortel! A écouter!

(informations & extraits: http://fataka.net/recordings/1.html)