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Jonas Kocher - Plays Christian Kesten & Stefan Thut

Accordéoniste suisse qu'on a pu entendre aux côtés de Michel Doneda, Hans Koch, Jacques Demierre et bien d'autres improvisateurs, Jonas Kocher s'est illustré comme un instrumentiste délicat, précis, innovant et minimaliste. Ceci-dit, hormis au sein de l'Apartment House, je ne pense pas l'avoir déjà entendu réaliser les pièces d'autres compositeurs, ni même les siennes. C'est maintenant chose faite avec ce deuxième disque en solo, consacré cette fois non plus à une exploration intime de l'accordéon, mais à la réalisation de deux pièces écrites par Christian Kesten (pour Jonas Kocher) et Stefan Thut.
La précision, la délicatesse et la subtilité dont pouvait faire preuve Jonas Kocher quand il improvisait sont ici mises au service de ces deux compositeurs. Pour untitled (solo for accordion), de Christian Kesten, Jonas Kocher joue uniquement sur les deux octaves les plus hautes de son instrument. Deux octaves choisies par Kesten car elles offrent une multitude de possibilités microtonales et de tremblements dus à la fragilité des anches. Kesten et Kocher se rejoignent ici dans une volonté d'explorer les plus subtils mécanismes de l'accordéon, d'explorer sa richesse, ses "défauts", et ses surprises. Ils les explorent de manière fine et minimale, il ne se passe pas grand chose, Jonas Kocher jouent deux ou trois longues notes tenues superposées, mais ce quelque chose est toujours intéressant. On ne sait jamais à quelle vitesse les notes vont se frotter les unes aux autres, de quelle manière elles vont remplir l'espace ni combien de temps dureront-elles. La beauté de cette pièce tient à un équilibre suprenant entre la réduction drastique des moyens et la richesse des effets. Car si Kocher n'explore qu'une partie réduite de son clavier, il n'empêche que toutes sortes d'accords surgissent et produisent des harmoniques qui se renouvellent sans cesse et créent un espace sonore toujours neuf, très humain, sensible et organique.

La seconde pièce présentée sur ce disque, eine/r, 1-6 de Stefan Thut, offre une musique qui paraît plus mathématique et hasardeuse, mais aussi plus abstraite et minimale. Ici encore, les moyens sont réduits et Jonas Kocher n'utilise qu'une très faible partie de son clavier, quelques notes disséminées à travers un environnement quotidien. On ne sait plus trop si la musique vient ponctuée le silence, si elle remplit l'espace, si c'est le bruit de fond qui constitue l'espace sonore dans lequel les notes disparaissent ou si la musique est constituée d'un silence qui tente vainement de prendre place. Il s'agit là encore d'une musique délicate et précise. Jonas Kocher sait choisir l'attaque et le volume qui conviennent à l'étrange univers radicalement minimal de Stefan Thut. Les premières notes d'accordéon, et plus particulièrement les basses, dramatisent l'espace sonore, le quotidien auquel elles appartiennent. Puis, peu à peu, à force de répétitions, chaque note devient de plus en plus monotone, et les bruits de fond de plus en plus importants, jusqu'à ce que l'accordéon s'évanouisse, qu'il s'efface dans l'espace sonore qu'il a lui-même créé. Tout paraît simple et banal au premier abord, mais il fallait une grande précision, une approche très sensible et une écoute profonde pour arriver à ce résultat. C'est ici que l'on se rend compte que les années passées par Jonas Kocher à trifouiller les moindres recoins de son instrument, jusqu'aux plus infimes détails, ont fait de lui un musicien exceptionnel, capable de réaliser les musiques les plus subtiles et exigeantes.


JONAS KOCHER plays Christian Kesten & Stefan Thut (CD, Bruit, 2016)


Stefan Thut & Mitsutetu Takeuchi - equinox | solstice

THUT/TAKEUCHI - equinox | solstice (Rhizome.s, 2014)
Parmi les membres du collectif Wandelweiser, Stefan Thut et Manfred Werder font certainement partie des plus extrêmes et des plus austères, mais aussi de ceux qui s'intéressent le plus à l'environnement sonore et au son du monde. Pour ces deux, le monde sonore semble déjà être musical, il le prenne en temps que tel en tout cas, et de nombreuses compositions de ces deux musiciens sont ainsi dédiés à l'environnement sonore.

equinox | solstice est donc une de ces compositions de Stefan Thut dédiée au monde sonore, et elle est réalisée ici par le compositeur suisse lui-même en compagnie de l'artiste japonais Mitsutetu Takeuchi. Le principe de la composition est d'enregistrer le monde à un moment donné, sans se soucier du lieu. Les deux artistes ont donc simultanément enregistré leur environnement sonore respectif au Japon et en Suisse à quatre moments x de l'année 2011, qui correspondent comme le titre l'indique aux deux équinoxes et solstices de l'année. Les enregistrements ont ensuite été remixés ensemble, apparemment sans édition, sur deux canaux différents (le canal de droite pour Thut et celui de gauche pour Takeuchi), pour former trois longs "cycles" de 25 minutes chacun.

Les enregistrements ont principalement été réalisés dans des environnements naturels avec de nombreux chants d'oiseaux, du vent ou de la pluie selon les saisons, et un trafic routier lointain, la ville semble plus proche à certains moments tout de même, quand il ne s'agit pas de ce qui ressemble à une zone industrielle. Il s'agit d'enregistrements bruts, quotidiens, austères. Rien de remarquable et très peu de mise en forme hormis le montage, le découpage et le collage. Thut et Takeuchi ont laissé l'univers sonore s'exprimer dans sa pureté. Une confiance aveugle est confiée au monde, et les interventions humaines sont absentes (ou n'apparaissent pas en tout cas). Il s'agit ici de laisser l'univers s'exprimer à quatre moments clés de l'année, qui correspondent aux passages d'une saison à l'autre. Je ne sais pas si c'est atteint, je ne le ressens pas vraiment, peut-être faute d'attention, mais l'impression est là que les deux artistes semblent avoir voulu laissé le temps s'exprimer à travers ces enregistrements. Une expressions pure et dure de la temporalité sur un lieu à l'échelle annuelle. On remarque bien sûr des changements, les animaux ne sont pas les mêmes, le temps (météo) non plus, l'atmosphère se modifie, mais ce n'est pas non plus flagrant et il est difficile de repérer clairement à quelle saison correspondent les enregistrements.

Evidemment, ce n'est pas évident à écouter. C'est vraiment austère je trouve comme enregistrement. Ceci-dit, la démarche est intéressante et cette voie qui consiste à explorer l'action du temps sur l'environnement sonore est vraiment remarquable. Après, je trouve cette contemplation du monde sonore radicale et jusqu'au boutiste. Thut et Takeuchi laissent véritablement le monde s'exprimer, très loin de la musique concrète ou du field-recording, ils ne considèrent pas le monde comme une matière ou un matériau sonore à explorer/exploiter, mais comme la musique même, attitude que je trouve admirable pour sa radicalité.

Stefan Thut - drei, 1-21

STEFAN THUT - drei, 1-21 (Wandelweiser, 2013)
A partir du début des années 2000, Stefan Thut a entamé une série de partitions nommées en fonction du nombre d'interprètes, un peu à la manière des dernières oeuvres de Cage. De un performer à sept, en passant par les plus indéterminées : some et many... Il s'agit à chaque fois de partitions très ouvertes, complètement indéterminées, avec quelques indications écrites (limitées en gros à la restriction du volume sonore), plus une sorte de fil conducteur à suivre (composé de lettres, de traits, etc.) lors du déroulement de la performance, sans indication de durée, de forme, etc. Pourquoi pas, donc, réaliser cette partition à distance, j'imagine sans que les performers aient connaissances de ce que les autres peuvent jouer ? C'est le parti pris de Johnny Chang (violon), Jürg Frey (clarinette) et Sam Sfirri (mélodica) qui ont enregistré cette réalisation entre la Suisse et les Etats-Unis, sur un intervalle d'une année, et ont également choisi de réaliser chaque partie sur une durée de 3 minutes (parti pris certainement liée à la "structure" des pièces autant qu'à la contrainte de pouvoir insérer chaque partie dans un disque).

Les 21 parties de drei sont composées de la même manière : chaque membre du trio se voit attribuer deux blocs de traits à jouer (entre un et trois). C'est la reproduction que l'on peut trouver à l'intérieur de la pochette en tout cas, et je ne sais pas si la pièce originale comporte des indications écrites supplémentaires. En tout cas, le trio joue cette partition uniquement avec des notes, simples, sensibles et régulières. Des notes plus ou moins longues, qui durent entre trois et vingt secondes peut-être, séparées par de longs silences. L'espace sonore est délicatement sculpté par les notes, le silence semble comme creusé par les interventions, à moins que ce ne soit les interventions qui ne soient sculptées par le silence. Il est difficile de séparer les deux, car dans ces partitions, c'est certainement la durée qui sépare chaque son qui importe le plus.

Et le trio fait justement attention à ceci : les interventions sonores sont monotones, discrètes et délicates, pour justement ne pas trop se mettre en avant, pour que ce soit au contraire la durée entre chacune des interventions sonores qui soit au premier plan. Une réalisation très précise dans la mesure où chaque son est toujours égal aux autres en volume et en intensité, et que l'interaction entre les sons est oubliée et niée au profit de l'interaction entre les sons et le silence. C'est beau, fin, précis, et exigeant.

Stefan Thut & Johnny Chang - two strings and boxes

STEFAN THUT/JOHNNY CHANG - two strings and boxes (Flexion, 2013)
Quand on pense au collectif Wandelweiser, on pense encore souvent à Beuger, Frey, Pisaro et Werder, mais Stefan Thut n'est pas un nom qui revient si souvent (trop peu à mon goût en tout cas), alors qu'il fait partie des compositeurs les plus radicaux de Wandelweiser pourtant. A mon sens, ses compositions, et surtout leurs réalisations par lui-même, font parties des plus sensibles, radicales et intéressantes du collectif, comme peut le montrer encore ce disque, enregistrement live d'une de ses compositions.

Avec two strings and boxes, réalisée par Stefan Thut et Johnny Chang à la cithare et une boîte en carton, le compositeur continue son travail sur la répétition et les variations microtonales, sur la lenteur du mouvement, et l'absence de distinction entre le son et l'environnement. La matière instrumentale est extrêmement réduite et minimale: deux cordes frottées par un e-bow, plus la résonance d'une boîte. Il y a donc trois éléments: les notes de la cithare, les sons des boîtes, et l'environnement qui peut être considéré soit comme du bruit soit comme un silence vivant et dynamique, selon les auditeurs. Mais ces trois éléments parviennent à se fondre les uns dans les autres, à intégrer un flux ou une durée qui semblent préexistants à la réalisation de l'oeuvre. Tout est joué de manière sensible, faible et continue, chaque élément est maintenu et semble vouloir se fondre dans la musique et son environnement plutôt que d'en émerger.

La lenteur des progressions, la monotonie des répétitions, le minimalisme des variations s'accordent parfaitement avec la temporalité extérieure et naturelle. Avec cette réalisation, ce n'est pas seulement la hiérarchie entre les voix et l'ego des musiciens qui sont annihilés, c'est également la supériorité de l'art et de l'homme sur la nature. Tout semble être mis en oeuvre pour réintégrer la temporalité naturelle, rien n'est fait pour la dominer et l'asservir. Il y a une sorte de passivité qui peut sembler austère, froide et ennuyeuse, mais ce sont la précision, l'attention à l'environnement extrêmement sensible, ainsi que la radicalité avec lesquelles cette pièce est réalisée qui font de cette captation un grand disque.

Si l'asservissement à l'extérieur et à l'environnement semble passif et austère, la radicalité avec laquelle il est observé parvient à dépasser ces inconvénients et fait de cette performance un moment unique et beau où auditeurs comme musiciens peuvent se retrouver connectés au cosmos. Hautement recommandé.

Wandelweiser und so weiter: Drifts (another timbre, 2012)

Sur ce troisième disque, et pas des plus faciles d'accès, trois pièces assez proches basées sur la répétition. Musiques répétitives qui n'étirent plus le temps, mais l'annihilent. Répétitions extrêmes et radicales, obsessionnelles et possiblement anxiogènes. Vous voulez un exemple? 2 ausführende (seiten 357-360) de Manfred Werder, interprété par Tim Parkinson et James Saunders avec des tuyaux d'orgue. Plus précisément, avec deux tuyaux d'orgue, séparés par un demi-ton chacun... Un accord minimaliste et arpégé d'une seconde mineure répété durant une demi-heure. Deux notes, deux demi-tons, d'une durée à peu près égale mais jamais identique, et séparées par des intervalles de silence irréguliers. Une pièce extrême, aérienne et tout en apesanteur, où l'attente d'un changement ne sera jamais comblée. Une œuvre où le temps devient durée éternelle, devient aboli et réduit à une pure durée sans référent. Voilà pour la conclusion de ce disque. Passons à l'ouverture maintenant, également interprétée par le duo Parkinson/Saunders: 't' aus 'etwas (lied)' composé en 1995 par Antoine Beuger. Il s'agit là d'une pièce de dix minutes consacrée uniquement à la consonne "t" (et au silence, toujours). Parkinson et Saunders émettent un "tétaiement " interrompu par de courts silences et tentent de donner un sens à cette lettre autonomisée. Beuger semble ici vouloir réduire la chanson (lied) à son fondement, une lettre seule dépourvue de mélodie, de structure, de tonalité et de rythme. Épreuve échouée à mon goût pour cette pièce qui s'écoute difficilement et peut même devenir irritante. La dernière pièce consacrée en grande partie à la réduction du matériel tonal et à la répétition est Vier, 1-12 du violoncelliste Stefan Thut. Cette œuvre, ma préférée de ce disque, est interprétée par le quatuor Angharad Davies (violon), Julia Eckhardt (alto), Stefan Thut lui-même et Dominic Lash (contrebasse). Moins systématique et formelle que les deux pièces précédentes, celle-ci propose des notes répétées et assemblées selon différentes combinaisons possibles (seules, à deux, trois ou quatre) durant un peu plus de vingt minutes. Il y a un aspect répétitif, le matériau sonore est réduit au minimum, mais la pièce est en constant mouvement, il y a une tension palpable à l'intérieur de cet espace sonore onirique où on ne sait jamais ce qui surviendra. C'est très répétitif et minimaliste sans jamais être redondant en somme, chaque intervention est une surprise et paraît épiphanique. Une œuvre interprétée en plus avec une précision, une attention, et une sensibilité grandioses (je crois bien en même temps que la violoniste Angharad Davies fait partie de mes interprètes favorites de ce coffret avec son archet minimaliste qui écorche les cordes de manière non-expressive).

On trouvera également deux autres pièces sur ce disque qui semblent nous aérer des espaces répétitifs et silencieux des trois œuvres précédemment citées. Il s'agit tout d'abord d'une pièce de Jason Brogan (dont je n'avais encore jamais rien entendu me semble-t-il) intitulée sobrement Ensemble et interprétée par crys cole, James Drouin, Lance Austin Olsen et Mathieu Ruhlmann, quatre musiciens crédités à l'électronique. Un bruit blanc entremêlé de sinusoïdes et de parasites discrets, une sorte de nappe assez proche des fréquences radios connues de tous. C'est plutôt statique mais tout de même entrecoupé de micro-évènements. Je ne sais pas trop où ils veulent en venir, ni où ils vont ni d'où ils sont parti. En tout cas, la pièce repose un peu rapport au reste du disque et elle est plutôt agréable mais si elle manque de profondeur. Et enfin, une autre pièce de James Saunders intutlée with the same material or still, to vary the material. On retrouve ici de nombreux interprètes habitués de ces œuvres, à savoir: Neil Davidson, Rhodri Davies, Jane Dickson, Patrick Farmer et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga, tous crédités cette fois aux objets frottés. Il s'agit là aussi d'une longue nappe, moins statique, et composée uniquement d'objets frottés par un archet. Métal, plastique, papier, bois, peaux, toutes sortes de matériaux sont mis en résonances pour former un tout assez unifié et en mouvement constant. James Saunders continue d'explorer le son dans toute sa profondeur et de manière radicale avec cette pièce purement sonore, concentrée sur une matière abstraite et des textures abrasives, froides et étrangement expressives.

[à suivre]

Wandelweiser und so weiter: Eddies (another timbre, 2012)

Wandelweiser und so weiter: quatrième partie. On est déjà à quasiment cinq heures de musique, et ça commence à faire long, heureusement qu'il y a de nombreuses pièces exceptionnelles pour donner envie de continuer.

A commencer par cette première apparition de Jürg Frey en tant que compositeur: Time Intent Memory. Pièce composée en 2012 et interprétée ici par Angharad Davies (violon), Jürg Frey (clarinette), Sarah Hughes (cithare), Kostis Kilymis (électronique), Dominic Lash (contrebasse) et Radu Malfatti (trombone). Mais aussi la plus importante - en durée (26 minutes) et en beauté - de ce disque. Time Intent Memory est composée de vagues de notes qui émergent et plongent dans le silence, un silence souvent perturbé  par des parasites électroniques. Tout semble harmonieux malgré l'absence de système tonal, les sons s'accordent entre eux de par leur dynamique et leur timbre, en-dehors de toute hiérarchie. Un harmonie qui passe aussi par la répétition et donc par la mémoire. Une musique qui nous parle des textures, du timbre, de l'espace et de la durée. Une musique magnifique où la temporalité est au service du son, à mois que ce ne soit l'inverse, il y a en tout cas une intimité profonde entre les couleurs et la durée. Les notes sont à peu près neutres, même si des écarts expressifs apparaissent parfois, y compris chez Malfatti dont le trombone n'est pas toujours aussi mécanique que d'habitude. Splendide.

Dans les pièces plus courtes, on trouvera sur ce disque Many, 1-4 de Stefan Thut interprétée par le Set Ensemble (Angharad Davies, Bruno Guastalla, Sarah Hughes, Daniel Jones, Dominic Lash, Tim Parkinson, David Stent et Paul Whitty). Une pièce où se succèdent des sons abstraits, des silences, des écarts brusques d'intensité, des notes simples et des bruits. Minimal, austère et riche, c'est une pièce plutôt équilibrée qui joue sur les oppositions. Également, deux réalisations de for the choice of directions de Sam Sfirri. La première est interprétée par Sfirri lui-même au mélodica accompagné de Jason Brogan aux ondes radio. Des ondes statiques qui forment un drone sur lequel se greffe de longues notes sporadiques au mélodica. Les ondes sont interrompues au deux-tiers de la pièce par l'environnement et la musique se fait beaucoup plus calme, aérée et espacée. Une très belle réalisation intime, minimale, et sensible. La deuxième réalisation est plus courte (cinq minutes contre dix) et est due à un ensemble instrumental composé de Neil Davidson (guitare et objets), Rhodri Davies (harpe), Jane Dickson (piano), Patrick Farmer (diapason) et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga (cithare). Une interprétation beaucoup plus axée sur les instruments et leur interaction donc, où se confrontent longues notes frottées (cithare et guitare) et courtes notes pincées ou frappées (piano et harpe), un peu à la manière par laquelle se confrontaient les longues ondes radios de Brogan et les notes de mélodica de Sfirri sur la première réalisation.

On retrouve cette même formation pour une improvisation d'un quart d'heure sobrement intitulée #08.01.12. Seuls deux instruments sont modifiés, Rhodri Davies emploie ici une harpe électrique tandis que Patrick Farmer troque son diapason contre des objets et "lecteurs CD ouverts". Une session qui nous montre encore une fois de quelle manière les pratiques du collectif Wandelweiser, même si elles sont associées à la musique écrite, ont pu interférer sur la musique improvisée, qui a elle-même joué une grande part dans les méthodes de compositions des membres de Wandelweiser. Il s'agit donc ici d'une improvisation toujours basée sur de longues notes (ou de longs bruits plutôt), sur des répétitions et sur l'étirement du temps. Une écoute sensible et attentionnée pour une pièce abstraite et riche, faite de bruits divers qui s'accordent envers et contre tout. De son côté, Taylan Susam propose avec for maiike schoorel (dédié à la peintre minimaliste hollandaise) une courte pièce qui ressemble dans l'esprit à du Webern ou du Schoenberg réinterprétée par Wandelweiser, une sorte de klangfarbenmelodie, mais entrecoupée de longs silences. Une pièce interprétée par le edges ensemble et dirigée par le pianiste Philip Thomas.

Pour finir, on trouvera également sur ce disque une pièce d'une dizaine de minutes composée en 2010 par le contrebassiste et improvisateur Dominic Lash, intitulée for five, et interprétée par le Set Ensemble encore, avec Angharad Davies au violon, Bruno Guastalla au bandonéon, Dominic Lash à la guitare acoustique sur table, Tim Parkinson au mélodica et David Stent à la guitare. Suite d'instruments frottés, raclés, préparés ou de notes neutres et abstraites qui deviennent purement sonores, le tout toujours entrecoupé de silences. Différentes combinaisons sonores et instrumentales sont abordées, il est difficile de prévoir ce qui va suivre malgré la réduction des matériaux, et le tout manque peut-être un peu d'homogénéité ou de linéarité. Cette pièce est tout de même réalisée avec précision, sensibilité et créativité. L'univers et les matériaux sonores sont plutôt orignaux et singuliers, un contenu singulier pour une forme courante à l'intérieur du collectif.

Stefan Thut & Taku Unami - Am Wind / d±50 (Winds Measure, 2011)

Stefan Thut est un violoncelliste et compositeur membre du collectif Wandelweiser, et il présente sur cette cassette une composition interprétée par lui-même, Am wind, ainsi qu'une composition de Taku qu'ils jouent tous les deux sur la deuxième face. La première pièce, réalisée par Stefan Thut, se compose de deux field-recordings séparés par 1 minute 32 de silence, deux long plan-séquences de 17 minutes chacun. On a donc durant cette pièce qui met en scène le vent saisi par un micro, deux blocs de sons urbains, saisis la nuit, selon la volonté de la composition qui revêt ici la forme d'un haïku: "at night/somewhere/close to the wind/(as a field recording: unprocessed)". L'espace dans lequel s'inscrit l'enregistrement semble désertique, seules quelques portes claquent, une voiture passe au loin, une cloche fantomatique sonne, mais pourtant l'espace sonore est presque saturé par la présence du vent. Un vent fort, pris au vif par le micro, un vent dont le grain s'épaissit grâce à la matière de la cassette; et ce vent est plein de vie et de variations. Voilà pour la description, aussi sommaire soit-elle. Quoiqu'il en soit, je n'arrive toujours pas à accrocher à ce genre d'enregistrements "objectifs" qui prétendent retranscrire la réalité par le biais d'une représentation sans artifice,  représentation censée sublimer ou transcender la réalité dont elle est l'empreinte. L'intention musicale ne suffit pas selon moi à pallier l'absence de mise en forme des sons, et je n'arrive pas à considérer le silence qui conclut les deux parties comme une mise en forme. Une pièce qui me laisse indifférent, perplexe, et froid, du fait de sa forme sommaire et de son matériau réduit, je n'ai qu'un mot pour expliquer l'émotion que peut susciter ce genre d'enregistrement chez moi: l'incompréhension.

Comme je le disais plus haut, la deuxième face de cette cassette est une composition de Taku Unami: d±50, et comme toutes les pièces/performances/installations de cet artiste, elle réclame une attention/immersion totale de la part de l'auditeur (de la même manière que Am Wind par ailleurs, mais malheureusement, j'en suis incapable...). Comme vous pouvez vous en douter, le matériau sonore est plutôt léger, Stefan Thut produit un long drone sur la même note assez grave, tandis que Taku utilise quelques ondes sinusoïdales tremblantes très proches du drone de Stefan. A noter qu'encore une fois, la prise de son est très sensible, l'environnement est très présent, chaque mouvement des musiciens peut s'entendre, tout comme le trafic extérieur. Parfois le drone s'arrête, une note pizzicato surgit, et le drone reprend de manière microtonale, à un intervalle très serré. L'ambiance est très calme et méditative, le temps est lisse et étiré, mais ce drone, même s'il est assez froid, ne ressemble pas non plus à quelque chose de figé et de mort. Le fonds sonore environnemental donne du relief à cette nappe de 34 minutes, même si les deux musiciens n'interagissent pas avec, et l'archet de Stefan Thut produit comme une pulsation intérieure et invisible, une pulsation organique qui se plie plus à la musique comme nécessité corporelle que comme convention ou norme musicale, tout comme le tremblement et les frottements des ondes produites par Taku Unami. Ces drones s'imbriquent les uns dans les autres, se frottent et se mêlent, puis se laissent simultanément de la place dans une structure très étirée qui produit une forme poétique, répétitive et minimaliste.

Si je n'arrive pas à pénétrer la pièce solo de Stefan Thut, j'ai trouvé d±50 complètement envoûtant par contre. La pièce de Taku appelle une immersion totale, une noyade dans cette nappe vivante et hospitalière, belle et triste, sensible et délicate. Si les deux musiciens ont voulu tester les capacités d'écoute et d'attention de l'auditeur, cette dernière pièce est une vraie réussite puisque sa monotonie même parvient à tenir l'auditeur en haleine durant les 34 minutes. Malgré la simplicité de la structure, sa longueur et sa répétition, la puissance du violoncelle de Stefan tout comme l'interaction avec la sinewave de Taku peuvent nous emporter dans un univers peut-être froid mais beaucoup plus hospitalier qu'il n'y paraît. Une très belle composition.