Matthias Muche / Philip Zoubek / Achim Tang - Excerpts From Anything (Creative Sources, 2011)

Matthias Muche (trombone), Phillip Zoubek (piano préparé) et Achim Tang (contrebasse) sont trois musiciens d'origines allemande et autrichienne qui vivent actuellement à Cologne. Ce trio avait déjà publié un disque (que je n'ai jamais eu l'occasion d'écouter) chez Creative Sources, et ils reviennent aujourd'hui à la charge avec un nouvel opus sur le même label, Excerpts from anything.

Chacune des cinq pièces sans titre présentées ici est différente, et je vais donc les décrire une par une. La première est très ancrée dans l'esthétique du label CS, une longue nappe d'une dizaine de minutes exempte de toute pulsation et de ligne mélodique. Les trois couleurs formées par chacun des instruments se superposent et se mêlent en un volume monochromique rempli d'aspérités (vibrato au trombone, quelques notes percutées au piano). Les strates modifient le son global en se modulant imperceptiblement et très sensiblement, une pièce très délicate et tendue, linéaire sans être statique, aux textures riches et profondes, même si elles ne sont pas très originales.
La deuxième pièce est en rupture totale avec ce style d'improvisation et le choc est frontal tant la forme diffère radicalement de ce dans quoi le trio nous avait plongé précédemment. Car la deuxième pièce joue très fort, très rapidement, avec des attaques brutales et des notes très courtes, cette pièce, une sorte de morceau de grindcore acoustique, juxtapose des notes dans une perspective uniquement percussive et intensive, et il devient très difficile de distinguer le trombone du piano et de la contrebasse, sauf à la fin où l'espace se dégage quelque peu, car on a plus affaire à un long decrescendo qu'à une forme linéaire ici. Une improvisation intense et puissante, violente et agressive, beaucoup plus tendue encore que la première, où l'attaque devient timbre, et le timbre percussion, et on pense alors à l'utilisation de certains instruments dans les rites de transe de possession. L'espace est saturé, mais se dégage petit à petit jusqu'à ce que le trombone esquisse des lignes plus que des frappes, mais des lignes très courtes et serrées, des tirets en quelque sorte.
La troisième piste serait peut-être la synthèse des deux précédentes. L'attaque a une grande importance, mais pas autant que la résonance qui s'ensuit. L'espace est beaucoup plus détendu, les sons peuvent surgir à leur aise, et résonner librement, l'ambiance est plus proche d'une sorte de pointillisme sonore, un pointillisme qui laisserait la place nécessaire aux résonances qui s'entremêlent et se mélangent jusqu'à produire un tableau équilibré et harmonieux. En soi, cette improvisation n'est pas mal, mais ne présente rien d'extraordinaire, de la forme linéaire aux sonorités entendues mille fois, mais c'est plutôt au sein de ces cinq pistes qu'elle prend sens. Je crois vraiment que cet univers reposant pile à la moitié du disque était nécessaire, en tout cas son insertion à ce moment précis est plutôt judicieux. C'est simplement dommage qu'elle soit la plus longue alors qu'il n'y a que très peu de tension et de puissance, ni de créativité, seulement un dialogue minutieux et sensible entre trois musiciens qui savent très bien s'écouter apparemment.
Ensuite, nous tombons presque dans le réductionnisme, des souffles, le bois du piano et de la contrebasse frotté, les cordes différemment agitées et triturées. Il y a ici plus d'inventivité peut-être, plus de créativité dans la production de timbres et de sonorités nouvelles, d'un son collectif sensible, harmonieux et frais. Mais la forme reste linéaire et peu féconde: les timbres s'allongent et le temps s'étire au profit d'une durée exclusivement produite par les couleurs des instruments. Un style plus abstrait que précédemment, un son plus brut et primitif, mais qui n'a somme toute rien de surprenant.
Pour finir, nous retournons à une sorte de drone fait de longs et quelque peu mélancoliques glissandos où les pentes se mêlent indistinctement les uns aux autres pour aboutir à des nappes tendues, riches et profondes. Durant sept minutes, chaque couleur augmente en volume, en hauteur, en intensité, ou bien descend, simultanément aux deux autres. Des descentes abyssales et interminables, qui offrent un sentiment d'éternité toujours grâce à l'absence totale de pulsation et d'attaque perceptible. Une pièce très belle qui nous plonge dans un torrent de désespoir et de tristesse, mais également dans une forme radicale et moins convenue.

Même si chaque pièce a quelque fois du mal à sortir des lieux communs provenant des musiques improvisées, la variété des formes et des univers, une variété qui fait de chaque pièce l'antithèse de chaque autre parfois, ou la synthèse de plusieurs, cette variété donne donc à ces improvisations dans leur ensemble quelque chose de frais et de neuf, comme une relecture des différentes possibilités propres à l'improvisation dite libre, comme idiome musical (ce qui n'est pas sans remettre en cause la soi-disant liberté à l'oeuvre dans cette pratique musicale). Une musique globalement talentueuse et sensible, où l'écoute est intense et les formes précises, variées et claires, et la gestion des tensions assez équilibrée. Pas exceptionnel, mais du bon boulot quand même.