Stefan Thut & Taku Unami - Am Wind / d±50 (Winds Measure, 2011)

Stefan Thut est un violoncelliste et compositeur membre du collectif Wandelweiser, et il présente sur cette cassette une composition interprétée par lui-même, Am wind, ainsi qu'une composition de Taku qu'ils jouent tous les deux sur la deuxième face. La première pièce, réalisée par Stefan Thut, se compose de deux field-recordings séparés par 1 minute 32 de silence, deux long plan-séquences de 17 minutes chacun. On a donc durant cette pièce qui met en scène le vent saisi par un micro, deux blocs de sons urbains, saisis la nuit, selon la volonté de la composition qui revêt ici la forme d'un haïku: "at night/somewhere/close to the wind/(as a field recording: unprocessed)". L'espace dans lequel s'inscrit l'enregistrement semble désertique, seules quelques portes claquent, une voiture passe au loin, une cloche fantomatique sonne, mais pourtant l'espace sonore est presque saturé par la présence du vent. Un vent fort, pris au vif par le micro, un vent dont le grain s'épaissit grâce à la matière de la cassette; et ce vent est plein de vie et de variations. Voilà pour la description, aussi sommaire soit-elle. Quoiqu'il en soit, je n'arrive toujours pas à accrocher à ce genre d'enregistrements "objectifs" qui prétendent retranscrire la réalité par le biais d'une représentation sans artifice,  représentation censée sublimer ou transcender la réalité dont elle est l'empreinte. L'intention musicale ne suffit pas selon moi à pallier l'absence de mise en forme des sons, et je n'arrive pas à considérer le silence qui conclut les deux parties comme une mise en forme. Une pièce qui me laisse indifférent, perplexe, et froid, du fait de sa forme sommaire et de son matériau réduit, je n'ai qu'un mot pour expliquer l'émotion que peut susciter ce genre d'enregistrement chez moi: l'incompréhension.

Comme je le disais plus haut, la deuxième face de cette cassette est une composition de Taku Unami: d±50, et comme toutes les pièces/performances/installations de cet artiste, elle réclame une attention/immersion totale de la part de l'auditeur (de la même manière que Am Wind par ailleurs, mais malheureusement, j'en suis incapable...). Comme vous pouvez vous en douter, le matériau sonore est plutôt léger, Stefan Thut produit un long drone sur la même note assez grave, tandis que Taku utilise quelques ondes sinusoïdales tremblantes très proches du drone de Stefan. A noter qu'encore une fois, la prise de son est très sensible, l'environnement est très présent, chaque mouvement des musiciens peut s'entendre, tout comme le trafic extérieur. Parfois le drone s'arrête, une note pizzicato surgit, et le drone reprend de manière microtonale, à un intervalle très serré. L'ambiance est très calme et méditative, le temps est lisse et étiré, mais ce drone, même s'il est assez froid, ne ressemble pas non plus à quelque chose de figé et de mort. Le fonds sonore environnemental donne du relief à cette nappe de 34 minutes, même si les deux musiciens n'interagissent pas avec, et l'archet de Stefan Thut produit comme une pulsation intérieure et invisible, une pulsation organique qui se plie plus à la musique comme nécessité corporelle que comme convention ou norme musicale, tout comme le tremblement et les frottements des ondes produites par Taku Unami. Ces drones s'imbriquent les uns dans les autres, se frottent et se mêlent, puis se laissent simultanément de la place dans une structure très étirée qui produit une forme poétique, répétitive et minimaliste.

Si je n'arrive pas à pénétrer la pièce solo de Stefan Thut, j'ai trouvé d±50 complètement envoûtant par contre. La pièce de Taku appelle une immersion totale, une noyade dans cette nappe vivante et hospitalière, belle et triste, sensible et délicate. Si les deux musiciens ont voulu tester les capacités d'écoute et d'attention de l'auditeur, cette dernière pièce est une vraie réussite puisque sa monotonie même parvient à tenir l'auditeur en haleine durant les 34 minutes. Malgré la simplicité de la structure, sa longueur et sa répétition, la puissance du violoncelle de Stefan tout comme l'interaction avec la sinewave de Taku peuvent nous emporter dans un univers peut-être froid mais beaucoup plus hospitalier qu'il n'y paraît. Une très belle composition.