Avant que Will ne me parle de ce projet, j'avoue n'avoir jamais entendu parler de Schäfer: musicien qui s'est principalement concentré sur les musiques concrètes et électroacoustiques, qui a beaucoup collaboré avec Karkowski, pape des assauts sonores. Sa musique était apparemment dense et puissante, à l'image de son ami polonais peut-être, et un tournant a du être pris avec cette composition, puisqu'il s'agit là d'une pièce assez minimaliste et aérée, ouverte et délicate.
Thought Provoking III fut tout d'abord joué en solo par Helmut lui-même à l'orgue et à l'électronique, et lors d'une deuxième et d'une troisième performance, Elisabeth Gmeiner et Will Guthrie se sont adjoints à ce projet, au violon et aux percussions. Will a ensuite assemblé ("construit") et mixé ces performances datant de 2007 en hommage à ce musicien décédé depuis peu. Proche d'un drone de par son aspect très linéaire, cette pièce est tout de même trop riche pour en être un, mais le temps est tellement lisse et étiré que l’ambiguïté persiste tout du long. Une pièce pleine de tensions où les réponses à chaque intervention surgissent avec vivacité sans qu'aucune pulsation n'apparaisse ni aucune sensation de rupture. Une pièce toute en continuité et en tension, où chacun semble avoir peur de couvrir l'autre, où chaque son prend une importance démesurée tout en étant parfaitement intégré au son d'ensemble. Il est même parfois franchement difficile de distinguer l'étrange orgue du bourdon rocailleux (proche de la vielle) de Gmeiner ou des bols tibétains de Will. Interventions et réponses attentionnées et délicates, toutes en retenues, comme si chacun avait peur d'oppresser l'auditeur par la densité du son, mais sans laisser aucun silence concret. La musique écrite par Helmut est minimale et la plupart du temps pas très forte, mais parvient tout de même à être puissante et riche, sans parler de l'aspect envoutant de la temporalité lisse et étendue.
Une musique envoutante de par son aspect continu et linéaire, mais aussi de par son aspect cyclique: des éléments musicaux apparaissent en réponse instantanée à d'autres (comme cette puissante note grave qui met fin à une boucle mélodique et mélancolique d'Elisabeth Gmeiner), puis ressurgissent dans un tout autre contexte au fil de la pièce (tel le bol de Will Guthrie et certaines notes d'orgue). On était déjà perdu par l'absence de pulsation, mais ces répétitions et ces rappels nous perdent encore plus en sortant de leur contexte certains éléments qui semblaient intervenir selon une logique propre, logique qui disparaît lors de la répétition-décontextualisation. Répétition et continuité, linéarité et étirement du temps, tous ces aspects font de cette pièce une musique qui procure un sentiment d'éternité cyclique, d'une temporalité infinie extérieure à toute perception domestiquée.
Puisque ce disque se veut un hommage à Helmut Schäfer, il semble normal qu'on y trouve aussi Zbigniew Karkowski, ami et collaborateur de longue date du compositeur autrichien. Le disque se conclut donc sur un remix électronique de Karkowski, plus agressif et violent, mais aussi plus fracturée, et donc beaucoup moins linéaire. En soi, le remix n'est pas mauvais, c'est même une pièce plutôt pas mal, mais qui n'a tellement rien à voir avec l'originale, au niveau de la dynamique surtout, qu'elle me semble plus gâcher l'écoute de Thought Provoking III qu'autre chose, dans la mesure où la pièce principale réclame plus, pour finir, le silence, plutôt qu'un assaut sonore...
En tout cas, la pièce principale est vraiment superbe et puissante, extrêmement bien interprétée, avec rigueur et sensibilité, avec émotion et intensité. Tension, richesse, délicatesse, attention au temps et à l'espace, une œuvre vraiment intelligente et bien structurée, oui: hautement recommandée.