Martin Küchen - Hellstorm (Mathka, 2012)

Hellstorm est le titre d'un ouvrage sur la mort du nazisme en Allemagne, écrit par Thomas Goodrich. Un titre repris par le saxophoniste Martin Küchen car l'histoire de son père a rencontré cette partie de l'histoire européenne et internationale. Une histoire qui se répercute encore aujoud'hui sur des milliers de destins familiaux et individuels. Un titre provenant d'un ouvrage historique américain sur la seconde guerre mondiale, une photo anonyme datant de 1945 ornant la pochette du vinyle, des titres de morceaux qui font références à des oeuvres relatives à la seconde guerre mondiale - comme Allemagne, année zéro, un des films phares du néo-réalisme italien -, vous l'aurez compris, Martin Küchen s'inscrit explicitement dans l'histoire. Explicitement, de par les titres et les références, mais non concrètement, ni musicalement.

Car avant tout, il s'agit d'un solo de saxophone, un saxophone parfois discrètement et légèrement accompagné par une radio, une tampura, ou de l'électronique. En tout cas, il n'y a pas de référence concrète et vulgaire à la seconde guerre mondiale (mélodies klezmer, extraits de discours nazis, enregistrements de tirs). Martin Küchen choisit une méthode beaucoup plus personnelle que John Zorn par exemple avec Kristallnacht. Avant tout, MK fait de la musique improvisée, fait sa musique à lui en tout cas. Car elle ne ressemble certainement à aucune autre. Une musique brute, primitive, organique, personnelle, sensible, lyrique, sombre, et mélancolique. La plupart du temps, c'est le saxophone baryton qui est à l'honneur, le saxophone où l'on entend le plus le bois, le moins métallique et cuivré des saxophones. Et cet aspect boisé, ce roseau qui tremble entre des lèvres, n'est certainement pas choisi au hasard. Car entre le bois et les alliages de métaux, entre le végétal et le minéral, c'est certainement le premier qui est le plus organique. Et la musique de Küchen est organique! Une musique de longs souffles, où l'air expulsé se transforme en mélodie sans même passer par l'anche parfois. Une musique où l'on trouve quelques techniques étendues, mais des techniques qui personnalisent l'univers sonore de MK avant tout. Il s'agit de créer un univers singulier comme chez beaucoup d'explorateurs sonores, mais pas un univers abstrait. La musique de MK est à chaque fois hautement lyrique. Le saxophone chante des complaintes primitives, le saxophone matérialise des émotions précises et inavouées en même temps. Les émotions et l'histoire de MK en un souffle "mélodifié" par le saxophone.

Martin Küchen fait partie de ces rares innovateurs, notamment dans la musique improvisée, qui parviennent un créer un langage nouveau, clairement expérimental, sans tomber dans l'abstraction froide. Car MK n'hésite pas, par-dessus des drones discrets de parasites et d'harmoniques, à poser de longues phrases mélodiques, des mélodies qui transmettent de nombreuses émotions et sensations, qui vous prend aux tripes et pourrait vous faire pleurer. Mais des mélodies qui ne ressemblent pas à grand chose, qui ne reprennent pas les codes d'autres esthétiques. Comme une mélodie inconsciente et organique, le même genre de mélodie que l'on trouvait déjà sur son premier solo, des mélodies qui auraient pu être jouées lors d'enterrements néolithiques... MK propose encore une des musiques les plus humaines que j'ai entendu, une musique qui provient du corps avant toute codification et détermination sociale. Une musique abstraite du déterminisme. L'individu surplombe l'histoire, et la contemple de son regard sombre et blasé, triste et solitaire. Une contemplation qui donne naissance au chant de Küchen, un chant corporel mélodieux et très singulier, un chant primitif et expérimental. Un disque fantastique, lyrique, unique, et émotionnellement très puissant: hautement, très hautement conseillé!

Informations, écoute et extraits: http://www.mathka.pl/martin-kuchen-hellstorm/