C'est encore l'été. Les fenêtres restent ouvertes, et les bruits urbains sont omniprésents. Tramways, bus, voitures, avions, passants, pleurs, rires, bribes de discussions, musiques, vents, etc. Présents sur ce disque d'une part, mais chez moi aussi. A chaque écoute, c'est un nouveau disque qui surgit. Car la musique de Christian Wolff et Keith Rowe est très ouverte. Minimale et aride certes, mais aussi chaleureuse grâce à son ouverture et à sa délicatesse. Le dialogue entamé par les deux musiciens est très aéré, les sons sont faibles, discrets, et laissent par conséquent une grande place aux sonorités externes. Une musique ouverte sur le monde et l'environnement en somme. On reconnaît là l'influence de Cage, fidèle ami de CW, qui sait ménager l'espace sonore, qu'il soit musical ou extra-musical. Car durant 47 minutes, il y a toujours une place pour une possibilité sonore externe au dialogue entre ces deux géants.
Je ne suis pas très familier de Wolff, mais il a apparemment toujours été une grande influence pour KR. Et à entendre la joie qui semble surgir de cette collaboration, il semblerait que l'admiration soit réciproque. Ce n'est pas qu'on entende des mélodies joyeuses ou des rythmes dansants, il s'agit d'une joie abstraite, d'une joie qui se manifeste par des soubresauts inattendus, par des hausses de volumes surprenantes au vue du calme attentif et concentré qui règne la plupart du temps, qui se manifeste aussi par des sons surprenants, enfantins et crédules (comme une note de piano seule au milieu de crépitements abrasifs, un tremolo de guitare, etc.).
Le duo ne joue pas vraiment sur la cohésion, chacun semble jouer sur la création d'évènements. Des évènements qui n'attendent pas nécessairement de réponses, ou qui attendent une réponse extérieure. Si les jeux de KR et CW ne se ressemblent pas, la démarche semble être la même. Une démarche provocante. Je ne pense pas à une provocation subversive, mais KR et CW semblent constamment vouloir provoquer une situation sonore, un évènement musical sous forme de question sans réponse. Cette longue pièce est comme une suite de points d'interrogation qui restent sans retours. Mais elle avance avec assurance. La concentration et la sensibilité sont toujours omniprésentes. Ce n'est pas forcément une attention à l'autre comme dans beaucoup de duo, c'est peut-être plus une attente qu'une attention d'ailleurs: CW et KR attendent et espèrent l'évènement, interne ou externe, l'évènement musical. La magie d'un évènement, qui répond à l'environnement, ou auquel l'environnement répond. Musique du possible. L'ouverture au monde toujours.
Enregistrée en live durant le festival Amplify en 2011, cette longue et incroyable improvisation nous parvient maintenant sur disque. Remerciements à Jon Abbey pour avoir organisé cette rencontre d'une part, mais également pour l'avoir publiée. Car aujourd'hui, c'est à nous de réinventer cette performance, de l'intégrer à un autre environnement, dans un autre cadre réceptif. Un cadre ouvert mais une base solide. La musique produite lors de cette performance reste encore créative. Une musique simple et plutôt minimale d'un côté - toujours les incontournables radios, les souffles d'amplis et de jacks, les manipulations de micro-contacts, quelques notes de piano, des trilles, des bruits divers aux aspects rugueux et arides. Mais la magie de ce duo, c'est de créer une musique dont la forme semble couler de source, on glisse lentement et avec plaisir le long de ces 47 minutes, j'ai presque envie de dire que c'est soyeux. Paradoxal? et bien c'est justement ce qui m'impressionne le plus: obtenir une forme soyeuse avec des éléments rugueux, produire une musique chaleureuse et envoutante à partir d'un contenu aride et austère, souvent abstrait et abrasif.
Une collaboration inespérée et merveilleuse qui sait accueillir l'auditeur avec douceur et chaleur - malgré un contenu aux aspects parfois austères. Cette improvisation parvient à absorber l'auditeur dans la musique elle-même, mais également dans les évènements externes qui peuvent ou non lui répondre parfois avec magie. La magie d'une rencontre souhaitée, d'une improvisation ouverte et talentueuse, mais aussi sensible et délicate. Je crois que c'est un des meilleurs KR que j'ai entendu depuis longtemps.