Tetuzi Akiyama & Takuji Kawai - Transition (Ftarri, 2011)

Depuis une dizaine d'années surtout, deux tendances ont fortement marquées les musiques improvisées et expérimentales, ainsi que certains compositeurs, le mouvement japonais Onkyo mais aussi la scène dite "réductionniste". Ces deux tendances se croisent dans plusieurs grandes personnalités comme Toshimaru Nakamura et Taku Sugimoto (avec qui Akiyama a souvent collaboré) ou encore Sachiko M pour ne citer que les plus connus; et c'est au Japon que leur influence est certainement la plus décisive et la plus fertile même si elle s'étend au-delà (en Europe et en Amérique à travers le collectif Wandelweiser par exemple). Le guitariste Tetuzi Akiyama ainsi que le pianiste Takuji Kawai s'inscrivent tous les deux dans cette lignée, et leur première rencontre publiée par le label japonais Ftarri, Transition, donne au silence et aux textures leurs lettres de noblesse.

Pour ces huit improvisations de durée moyenne, Kawai n'utilise qu'un piano ainsi que quelques préparations (des boulons et du fil) tandis que Tetuzi Akiyama réduit son instrumentation à une simple guitare acoustique qu'il joue la plupart du temps de manière traditionnelle sauf sur une piste où il la prépare. L'espace sonore est très aéré, les interventions sont éparses et les attaques extrêmement soignées, sans faire non plus dans le pointillisme. Chaque phrase jouée par Akiyama et Kawai est produite autant pour ses qualités musicales (construction d'un discours à partir de hauteurs déterminées, mais également et surtout à partir de textures/timbres spécifiques) que pour ses qualités acoustiques et physiques, c'est-à-dire pour sa résonance, l'empreinte qu'une phrase laissera après son attaque, soit la durée et la persistance d'un son dans le silence. Le silence en tant que tel est présent d'une certaine manière, même s'il est toujours orné d'un grain omniprésent (présence fantomatique de la machine enregistreuse ou du support matériel de l'enregistrement), d'une sorte de souffle, mais une place beaucoup plus considérable est accordée à la résonance, à la diffusion et à l'évolution du son dans l'espace comme dans le temps.

A l'écoute de Transition, on a souvent l'impression que deux pôles se superposent. Il y a d'un côté un pôle musical purement intentionnel, qui est la production du son et la construction des textures, des notes, ces phrases souvent arythmiques et atonales, ces fils non-idiomatiques qui se mêlent et tissent un réseau interactif complexe. D'un autre côté, un pôle plus aléatoire, que les musiciens contrôlent plus difficilement, même si une certaine maîtrise reste possible: je pense encore à la résonance. Il y a comme deux phases qui se superposent, s'opposent et sympathisent: la production d'une texture donnée, d'un son spécifique, puis le déplacement et l'évolution de ce son, acceptés et voulus par les instrumentistes, qui laissent tout de même la texture accomplir sa destinée spatiale. Et par moments, ces couches se croisent et s'entremêlent, la production sonore intentionnelle se retrouve traversée par la présence d'une résonance incontrôlable et magnifique.

Fondamentalement assez simples notamment lorsqu'ils sont pris individuellement, les discours de Kawai et Akiyama finissent par se complexifier lorsqu'ils s'entremêlent en un réseau complexe aux fonctions rhizomatiques. Les textures sonores produites par les instruments servent de base organique à une autre couche musicale composée par la résonance physique de Transition, une résonance poétique et fantomatique, libre et exaltée. Très beau!

Tracklist: 1-Continuation / 2-Superposition / 3-Confrontation / 4-Variation / 5-Transmission / 6-Realization / 7-Penetration / 8-Intervention