Ferran Fages - Llavi vell (L'innomable, 2011)

Publié par le label slovène L'innomable (le catalogue commence à devenir vraiment impressionnant), Llavi vell est une composition du guitariste espagnol Ferran Fages, il s'agit d'une seule pièce, où sont utilisés une guitare, des micro-contacts et des enceintes. Je ne sais pas à quoi peut ressembler la partition, peut-être que la pochette en représente des extraits, en tout cas, il ne s'agit certainement pas d'une portée, sinon elle ne pourrait qu'être saturée de notes indistinctes.

Car Llavi vell est avant tout une masse sonore de 45 minutes, une "masse fluide" comme le dit Ferran, qui peut facilement faire penser aux mouvements océaniques. Le mouvement de l'archet paraît être régulier et précis, mais le fourmillement d'harmoniques fait toujours la différence entre chaque aller et chaque retour de l'archet. Différence et répétition? Il ne s'agit pas de musique répétitive pour autant, la masse est comme informe, et même si elle peut paraître statique au premier abord, il y a toujours du mouvement, un mouvement pas franchement perceptible certes, très discret et sensible, mais toujours présent. Une masse sonore océanique, dont l'éternel mouvement est constamment différencié par des aspérités physiques ou des accidents météorologiques. Jamais une guitare acoustique n'aura produit une masse sonore aussi puissante et riche que Llavi vell, Ferran Fages a su ici en déployer une richesse encore insoupçonnée, en produisant à partir de cet instrument un mur de son aussi étendu que dans une performance noise électronique. Sauf que l'utilisation de la guitare acoustique comme base matérielle à cette masse sonore apporte une touche de finesse, de rondeur subtile, et de sensibilité chaleureuse, qu'aucun moyen technologique numérique n'aurait pu produire. Toute la beauté de Llavi vell repose en effet sur le mélange de ces deux aspects: l'intensité et la puissance d'une masse compacte, puis la finesse harmonique et la chaleur de l'instrument acoustique. D'un côté, Ferran exploite l'accumulation des sons jusqu'à la saturation pour obtenir une masse compacte et intense, une forme pachydermique en mouvement, mais il équilibre cette masse en exploitant également toute la richesse des cordes frottées, avec ses harmoniques ornementales et mélodiques qui ressortent sans cesse.

Le mur de son est inquiétant au premier abord, puis le mouvement perpétuel de l'archet rassure, et enfin les harmoniques et les infimes différences qui animent la vie de cette masse peuvent nous bercer tranquillement. Ferran Fages parvient ici à bercer l'auditeur avec une masse sonore imposante et linéaire, il le berce dans un paysage océanique, dans un océan de sons où le temps paraît s'être aboli. Le mouvement prend fin dans un entrecroisement de larsens, ce qui nous prépare au retour dans le temps, à notre sortie de cette esquisse d'éternité. Avec cette composition, Ferran Fages semble renouer avec une tradition musicale où la musique pourrait être la traduction humaine du temps cosmique et des mouvements qui animent ce cosmos. Une pièce intimement connectée aux mouvements de l'univers, à ses mouvements perpétuels, comme à sa temporalité, une forme de temps uniquement déterminée par tel ou tel mouvement. Magnifique!