Premier solo de Will Guthrie depuis 2006, Sticks, Stones & Breaking Bones, coproduit par quatre labels en édition vinyle et CD, est le résultat de plusieurs années de recherches et d'expérimentations. Des recherches épurées de l'électronique et des micro-contacts pour un retour aux sources peut-être moins expérimental, mais tout aussi radical, sinon plus. Car sur ce solo, WG n'use plus que de sa batterie, en acoustique, sans fioritures, sans l'axer sur les timbres et les textures, un retour aux fondements de la batterie, à son essence pulsée et rythmique.
Tout commence avec "Sticks", une pièce composée de cellules entrecoupées par des pauses. Des pauses où la résonance peut lier les cellules entre elles, mais qui ne sont pas là du tout pour jouer avec le silence. Car les courtes phrases qui forment les cellules sont toujours en lien les unes avec les autres, même pulsation, des éléments rythmiques ou sonores se répondent, il y a une forme de continuité malgré les ruptures incessantes. Puis très vite, une longue phrase surgit, rapide, dense, polyrythmique, puissante, elle ne s'arrête plus, les résonances ne trouvent plus leur place, il ne s'agit plus que d'une longue explosion linéaire de peaux, de métaux, de cymbales, qu'aucune force ne peut arrêter. Quelques minutes avant la fin seulement, elle pourra se modifier, mais pour augmenter en densité, en violence, pour intégrer de nouveaux éléments et multiplier sa véhémence.
"Stones" est sans aucun doute la pièce la plus diversifiée et la moins répétitive de cette suite, la plus narrative et la plus aérée, durant la première partie du moins... Tout attentionné qu'il est, WG prend garde de ne pas fatiguer l'auditeur avec une suite ininterrompue de pulsations rapides, complexes et fortes. Il se consacre donc au début de "Stones" à l'exploration sonore de cymbales, de bols tibétains, et de peaux, qu'il frotte et percute tout en laissant place aux résonances, en laissant une grande place au déplacement du son dans l'espace et dans le temps. Mais les aspects aérés et spacieux de cette pièce prennent fin vers la moitié de la pièce avec l'absence totale de résonances au profit d'une exploration de la matière sonore percutée. Il ne s'agit plus du déplacement des sons dans l'espace et de leur étirement dans le temps, mais du dialogue et de l'interaction qu'on peut établir entre eux en les frappant de manière rapide et dynamique. Une pièce virtuose, sensible, aussi intéressante pour les structures rythmiques complexes et précises que pour les textures développées.
Quant à "Breaking Bones", la dernière pièce, elle est surement la plus radicale de toutes, mais aussi la plus virulente, la plus énergique et la plus primitive. Sur une boucle rapide et puissante au tom basse et à la grosse caisse, une rythmique entre la musique chamanique et le grindcore, WG dessine une ligne grasse et immuable sur laquelle quelques ornements viennent se greffer: des contretemps et des motifs très précis apparaissent et surgissent comme en filigrane, des cellules qui viennent soutenir la pulsation originelle ou dialoguer avec. Une pièce répétitive, obsédante et envoûtante, très énergique et puissante, mais surtout très dense et intense: superbe! Car au-delà de l'aspect répétitif primordial, au-delà de ce squelette entêtant exclusivement produit par les peaux avant l'ultime coup de cymbale qui clôture ces pièces, WG parvient également à dessiner des ombres mouvantes, des traits vivants par un simple contretemps à la caisse claire et des motifs généralement simples, légèrement décalés, ou au contraire, qui appuient la pulsation, mais qui dialoguent et vivent toujours avec la pulsation primordiale de cette pièce.
C'est d'ailleurs avec cette pièce qu'on ressent le mieux l'influence que le projet The Ames Room a pu avoir sur sa pratique de la batterie, à moins que ce soit l'inverse. Car de la même manière que sur Bird Dies, mais aussi, parfois dans une moindre mesure, sur les deux premières pistes de ces enregistrements, WG explore et puise toute l'énergie possible des sons par le biais de la pulsation, de l'obstination, de la patience et de la répétition. C'est pourquoi on peut facilement qualifier cette musique de primitive, car elle revient à ce principe utilisé dans beaucoup de musiques de transes et plus généralement, rituelles, qui consiste à puiser et à former des énergies grâce à la répétition. Mais il ne faut pas non plus s'arrêter à ce paramètre, car Will conserve l'ouverture d'esprit et la liberté de créer parallèlement aux différents motifs répétés des formes musicales surprenantes, virtuoses, complexes, extrêmement précises et nouvelles.
En comparaison avec les nombreux solos de percussions enregistrés ces dernières années, pour la plupart très axés sur le timbre et les techniques étendues (innombrables sur une batterie), Will semble revenir en arrière dans la mesure où il réintègre rythmes et pulsations. Cependant, j'ai tout de même l'impression que c'est un des disques les plus originaux et les plus puissants qu'il m'ait été donné d'entendre depuis un bout de temps, même au-delà des solos de batterie. Un renouveau, et une tuerie. Un chef d’œuvre d'originalité, de sincérité et de sensibilité!