Ist gefallen in den Schnee est une longue pièce d'une heure écrite par le compositeur suédois Magnus Granberg et interprétée par l'ensemble Skogen, soit: Granberg lui-même au piano, accompagné de différents collaborateurs suédois, Anna Lindal au violon, Leo Svensson Sander au violoncelle, John Eriksson au vibraphone et crotales, Erik Carlsson aux percussions, Henrik Olsson aux bols et verres, Petter Wästberg aux objets, table de mixage et micro-contacts, ainsi que deux musiciens célèbres et étrangers, Angharad Davies au violon, et Toshimaru Nakamura à la table de mixage bouclée sur elle-même.
Dans l'interview de Granberg publié sur le site d'AT, on peut y lire que les sources rythmiques et tonales de cette pièce sont deux œuvres de Schubert d'un côté, et un standard de jazz de l'autre. Mais il faut le reconnaître, il est absolument impossible de reconnaître l'un des deux durant toute cette heure. Comme Simon Reynell et Granberg le reconnaissent, il est beaucoup plus facile d'entendre avant tout l'influence de Cage et de Feldman. La réappropriation des matériaux musicaux est entière, très subtile et intime, Granberg a su tirer parti d'un matériau ancien pour créer une musique extrêmement personnelle et nouvelle, sans aucun rapport identifiable à ses sources.
Qu'est-ce qui m'a frappé en premier lieu? Tout d'abord, c'est le caractère très aéré de cette pièce, relativement au nombre d'instrumentistes. Ist gefallen in den Schnee ressemble bien plus à la transposition d'une pièce pour piano qu'à une œuvre orchestrale, les instruments ne se superposent pas réellement, sauf durant quelques résonances, le silence intervient constamment entre chaque intervention pointilliste. Chaque instrument pointe une note, dessine une couleur qu'il répète, les notes pointées prédominent constamment et on ne trouve que rarement des accords ou des superpositions de couches sonores, sauf en guise de ponctuation au début ou à la fin d'une partie (parties qui sont délimitées de manière floue, mais qui empêchent tout de même de qualifier cette pièce comme étant linéaire, même si elle l'est d'une certaine manière), ou pour jouer sur l'intensité et la puissance.
Ensuite, c'est la durée, elle-même liée aux répétitions. Les répétitions inaltérables de notes précises (jouées avec précision sur la même hauteur, avec la même intensité, et durant une durée constante selon les mêmes attaques par chaque musicien), de motifs harmoniques ou rythmiques, et de couleurs, toutes ces répétitions étirent la durée de cette pièce déjà quelque peu linéaire. Comme chez Feldman, la répétition intervient pour modifier la perception du temps, pour faire agir souvenirs, mémoire, ennui, et intellection. La durée déjà considérable de Ist gefallen in den Schnee se trouve dilatée par le caractère répétitif de l’œuvre, mais c'est ce même caractère qui permet d'envoûter et d'absorber l'auditeur pour un long et magnifique voyage hivernal et nordique, froid et coloré.
Je me réfère encore à l'interview de Granberg que je l'ai lu en diagonale, mais il semblerait que tout ne soit pas écrit: si le compositeur a noté des indications de hauteurs, de rythmes, de couleurs, une marge d'improvisation est tout de même laissé aux instrumentistes. Mais à vrai dire, je ne veux pas savoir dans quelle mesure Ist gefallen in den Schnee est écrit ou composé, le processus de création semblant quelque peu ridicule devant la beauté de cette longue fresque. Car cette pièce est un mélange étonnant de simplicité tonale et de complexité rythmique, d'une beauté saisissante; et qu'importe si cette beauté hors du commun et cet étrange mélange soient l’œuvre de l'intelligence compositionnelle ou du talent de chaque musicien. Ils viennent forcément de ces deux paramètres, et l'important est la force avec laquelle cette oeuvre peut faire voyager l'auditeur à travers un voyage inouï, inédit, chargé d'une multitude de couleurs, de tonalités, d'intensités, à travers une linéarité mouvante. Bienvenue sur les collines enneigés de Suède, avec sa lumière et ses couleurs incroyables, son froid surprenant sans être repoussant; laissez-vous emmener à travers ce voyage intimiste, sensible et nouveau. Car l'écoute entre les musiciens est extrêmement proche et attentive, la moindre intervention est prise avec un sérieux et écoutée avec une attention percutante, ce qui n'est pas sans renforcée la force de chaque son et la poésie qui se dégage immédiatement de chaque intervention, ainsi que de l'ensemble de cette pièce.
On pourrait certainement dire encore beaucoup de choses sur Ist gefallen in den Schnee, car chaque écoute découvre de nouveaux paramètres et de nouvelles composantes de cette pièce très riche. Je finirai seulement et simplement par dire qu'elle est juste magnifique, et par remercier Simon Reynell, Magnus Granberg, et l'ensemble des musiciens, pour cette expérience musicale inespérée.
Informations, interview et extrait: http://www.anothertimbre.com/page129.html