Il y a deux ans, j'ai été franchement et très agréablement surpris par Searching For Adam, un très grand album de free jazz, qui, s'il ne renouvelait pas le genre, lui redonnait en tout cas un sacré tonus. Cette année, le saxophoniste ténor et baryton Rodrigo Amado revient avec son trio portugais, le Motion Trio, soit Miguel Mira au violoncelle et Gabriel Ferrandini à la batterie, et avec comme invité pour cet enregistrement live, un fidèle compagnon de Ken Vandermark, le tromboniste Jeb Bishop.
Le Motion Trio, on s'en doute, est orienté avant tout par le free jazz, il s'inscrit dans cette démarche et ne semble pas vouloir s'en démarquer. L'instrumentation est assez classique, les formes musicales aussi. Sur les trois improvisations proposées, beaucoup d'improvisations collectives, de crescendo, ça joue fort, vite, avec virtuosité, puissance, et lyrisme. Rien de bien nouveau en somme. Mais, parce qu'il y a bien un mais, le free jazz s'est-il jamais réclamé d'un renouvellement perpétuel? Je ne dis pas, il y a eu renouvellement, il y a bien eu un renversement de la tradition (et je dis bien renversement, et non négation) au début des années 60; mais suite à ce renversement, le free jazz, dans son acceptation noire-américaine, est devenu un code, un langage, avec une forme figée. Une forme héritée de la tradition noire-américaine (blues, ballades, standards bop) sur laquelle un contenu organique et irrécupérable fut plaqué. Rodrigo se place dans cette tradition (même s'il est blanc et européen, n'en déplaise aux puristes), une tradition où maintenant que la forme a été trouvé, il s'agit de faire évoluer le contenu.
Et c'est là où ce quartet est fort. car dans le contenu, nous avons des improvisations collectives incendiaires, puissantes et jouissives. Des improvisations où toute la puissance provient de l’interaction entre les sonorités, les expressions et les modes de jeux de chacun. De l'interaction entre la rythmique dure et rock de Mira, le lyrisme, la joie et la puissance d'Amado, l'étendue de Ferrandini, et la force de Bishop. Une interaction qui ne laisse jamais personne de côté, et où chacun est constamment entendu et pris en compte. Trois improvisations souvent nerveuses et énergiques, avec quelques reliefs tout de même (dont un magnifique duo sax/violoncelle) pour ne pas tomber dans la monotonie d'une suite aussi nerveuse que fatigante comme cela arrive souvent dans le free.
Et nous voici donc face à un énième disque de free jazz puissant et jouissif, nerveux et virtuose. Mais tout le monde n'arrive pas à trouver l'énergie et la puissance de Coltrane ou de Frank Lowe par exemple, et c'est encore un plaisir d'entendre des musiciens actuels y parvenir et nous emmener sur ce terrain de révolte populaire et inépuisable. Un disque fort, plein de violence et de joie, joie d'une musique violente et puissante, joie de jouer ensemble, d'improviser et de partager. Il l'avait déjà prouvé il y a deux ans avec Searching For Adam et il recommence avec ce Burning Live at Jazz ao Centro, Rodrigo Amado est franchement saisissant, un improvisateur organique et mortel. Très bon!