Je ne sais pas à quoi ressemble la partition d'Antoine Beuger, membre fondateur du collectif Wandelweiser, interprétée ici par Ben Owen et Barry Chabala. Est-ce un texte, une partition graphique, un poème, des pages dont seraient extraits les dessins qui ornent la pochette? Quoiqu'il en soit, cette extrait de la partition un lieu pour être deux, joué ici à la guitare par Barry Chabala et aux field-recordings et synthesized tones par Ben Owen, est une réussite.
Je ne connais pas la partition, mais je pense qu'elle est très ouverte, qu'une marge énorme est laissée aux instrumentistes, jusqu'au choix des instruments, ce qui me permet de juger principalement l'interprétation plus que la composition. Et cette interprétation est juste formidable. En premier lieu, il y a les enregistrements de Ben Owen qui parcourent cette unique pièce de 45 minutes dans sa totalité. Des enregistrements urbains surtout, avec de nombreuses bribes de discussions en plusieurs langues, le trafic routier, des klaxons, des autoradios, oiseaux, eau, etc. Mais aussi des enregistrements intimes, qui paraissent tirés d'appartements. Des enregistrements très propres et en même temps très discrets en tout cas, qui demandent à être écoutés au casque pour ne pas confondre son environnement avec celui du disque, ou qui peuvent volontairement être écoutés avec des haut-parleurs pour mélanger les environnements sonores. Le montage des field-recordings est cohérent, sensible, poétique, intime, et limpide, sans retouche ni rupture. Les ruptures sont pourtant présentes, à travers les interventions instrumentales qui empêchent de pénétrer l'univers sonore des field-recordings. Des ruptures de ton et d'intensité, où une corde est brutalement pincée sans prévenir en plein milieu d'une discussion, où une fréquence nasillarde vient faire obstacle à une audition voyeuriste des enregistrements de terrain, parfois trop intimes peut-être.
un lieu pour être deux est une longue pièce, subtile, qui demande beaucoup d'attention et de disponibilité. Une pièce minimaliste où Ben Owen et Barry Chabala dialoguent avec un environnement sonore bruyant et non-musical. Et ce sont ces interventions musicales impromptues qui confèrent une esthétique particulière aux enregistrements bruts sur lesquels jouent les deux musiciens. Ce dialogue tend dès lors à produire une nouvelle intimité, au-delà de celle des enregistrements, entre ces derniers et les musiciens qui semblent extrêmement attentifs à leur environnement sonore. Attentifs à sa poétique inhérente, à ses rythmes, à ses intensités, à sa continuité comme à ses ruptures, à sa structure aléatoire en fait, mais aussi à son atmosphère et à son ambiance. Autant d'éléments que chacun des musiciens parvient à mettre en avant (ou à créer) grâce à de brèves interventions minimalistes.
Quel est l'écart ou la fidélité entre les indications d'Antoine Beuger et l'interprétation de Chabala/Owen? Aucune idée, mais la musique qui en résulte est d'une poétique admirable, d'une sensibilité à l'environnement sonore exceptionnelle (ce qui est certainement caractéristique de tous les membres de Wandelweiser). un lieu pour être deux est très calme et minimaliste, mais paradoxalement intense et envoûtant. Un peu comme dans le dernier Pisaro (fields have ears 6), la musique parvient à conférer un caractère majestueusement poétique et une dignité musicale envoutante à un environnement sonore urbain et austère, gris et minimal, tout étant extrêmement vivant.
Informations et extrait: http://cfyre.co/rds/pgs/cfyr008.html