Au départ, les expérimentations électroniques et numériques de l'avant-garde musicale pouvaient sembler austères, hermétiques, froides, ou même insensées pour certains. Mais après soixante années de recherches et de tentatives parfois réussies, parfois échouées, un véritable langage musical a pu se constituer et se structurer au-delà des concepts et de l'expérimentation. Un langage organique et humain, parfois poétique, plus ressenti à travers les émotions (sans que ce soit nécessairement la douleur comme chez Karkovski par exemple), que compris par la raison. Et c'est bien ce que parvient à nous prouver une fois de plus la collaboration entre ces deux artistes sonores que j'admire: Wade Matthews et Alfredo Costa Monteiro. Oui le langage musical et sonore, qu'il soit numérique, électronique ou électroacoustique, est véritablement arrivé à pleine maturité. Pour Winter, une suite de cinq tableaux structurés et composés avant tout par la sensibilité, le premier utilise des field-recordings manipulés et des synthèses digitales, tandis que son collaborateur jour avec des cordes amplifiées, des moteurs électriques et des radios.
Au regard de ces sources sonores fondamentalement composées d'électricité et de codes informatiques, du titre et de la pochette parsemée de cristaux, on pourrait facilement s'attendre à une musique froide et austère. D'un côté, c'est exact, la plupart des morceaux sont constitués sur de longues basses abyssales, sur des drones sombres qui semblent extirpés des profondeurs de la croûte terrestre, comme si on était plongé à l'intérieur d'une pompe d'extraction de pétrole. Il y a toujours un aspect linéaire et ambient assez marqué à travers ces cinq plages pas si glacées. Car parallèlement à ce drone ambiant et sombre, chaque piste fourmille de bruits parasites, principalement électriques, de larsens et de moteurs, de fréquences radios et de bruits blancs, mais aussi d'enregistrements étranges, d'enregistrements sous-marins aux réverbérations hallucinantes. Et ce sont tous ces bruits, parfois inouïs mais toujours inattendus, qui font de Winter un disque vivant, chaleureux, sensible et organique. Wade Matthews et Alfredo Costa Monteiro produisent des textures continues, corrosives et sombres comme de la lave, mais constamment ponctuées d'éléments inattendus. Ponctuées de parasites organiques qui entraînent fractures et discontinuités tout en révélant la sensibilité et l'inventivité de ce duo, qui révèlent en fait la volonté esthétique ainsi que l'origine humaine et artistique de ce duo formidable qui se cache derrière des câbles, des écrans et des installations qui peuvent paraître hermétiques.
Chaque pièce de Winter constitue en soi un univers surprenant, riche et extrêmement dense. Un univers exceptionnel qui ne ressemble à aucun autre et où se révèlent la sensibilité aussi bien que l'intelligence des deux musiciens en totale osmose. Une intelligence qui se retrouve notamment dans la structure claire et la continuité des pièces, tandis que les ruptures et la fusion des sons pourtant très différents et individualisés révèlent quant à elles la sensibilité et l'humanité de ce duo.
Hautement créatif et inventif, clair et très sensible, Winter rassemble cinq pièces électroacoustiques qui fourmillent de détails et respirent la vie, aussi bien terrestre, qu'humaine ou animale. Des détails que l'on découvre ou redécouvre à chaque écoute, et qui nécessitent une écoute tout de même assez forte. En fait, on ne se lasse pas de Winter et on reste apparemment émerveillé à jamais: vivement recommandé!
Informations et extrait: http://cfyre.co/rds/pgs/cfyr009.html