nouvelles du front nantais

Voici un petit message concernant deux labels nantais: Drone Sweet Drone qui, en à peine un an d'existence seulement, a déjà produit sept références, autour de musiciens nantais ou d'ailleurs. Sept références sur les musiques expérimentales, savantes et électroacoustiques. L'autre label Fibrrr, est en lien étroit avec l'association apo33 et se concentre sur les musiques électroniques, noise, expérimentales; la dernière référence est justement une compilation qui propose un tour d'horizon des musiciens nantais (ou résidant à Nantes).

d'incise - Akènes (Drone Sweet Drone/Bruit Clair, 2012)

Deux labels nantais se sont associés pour produire ce nouveau disque de d'incise, le musicien électroacoustique suisse: Drone Sweet Drone et Bruit Clair (qui a déjà sorti de nombreux disques de Delplanque, ce qui laisse soupçonner qu'il gère lui-même ce label...).

Bref, sur Akènes, d'incise propose une musique qui tend beaucoup moins vers l'abstraction que d'habitude. Une suite de dix pièces electronica/ambient originales et personnelles. d'incise oriente ici sa musique sur l'atmosphère et l'ambiance à partir de quelques field-recordings, de processus analogiques, d'objets, mais surtout d'instruments. On retrouve de nombreuses cordes et percussions qui ne sont pas filtrés par des techniques étendues, d'incise semble retourner ici à une musique plus accessible orientée vers l'acoustique et les instruments, sans pour autant abandonner l'électronique non plus. Car les nappes synthétiques et analogiques sont nombreuses tout au long de ces 10 pièces, et leur importance n'est franchement pas négligeable par rapport à la création d'atmosphère et d'ambiance. On croirait parfois entendre les interludes ambient du monumental Drukqs d'Aphex Twin, mais il s'agit d'une ambiance plus posée, peut-être moins sombre, mais surtout plus influencée par de nombreuses expérimentations antérieures. Car même si d'incise offre ici une musique moins axée sur l'abstraction, il pousse l'expérimentation assez loin en explorant divers matériaux sonores de manière assez profonde et claire pour un album très proche de l'electronica. Minimaliste, ambient, singulier et sombre, Akènes peut constituer une très bonne œuvre pour découvrir d'incise. Non pas qu'elle soit représentative, mais plutôt parce qu'elle est plus accessible et facile à écouter, tout en restant de qualité et aussi singulière que n'importe laquelle de ses autres projets.

(écoute: http://dronesweetdrone.bandcamp.com/album/ak-nes)

Catherine Brisset-Cristal Baschet et ensemble - Skylamp (Drone Sweet Drone, 2012)

Dans un tout autre domaine, voici un recueil de huit pièces ayant pour point commun l'utilisation du Cristal Baschet. C'est donc la musicienne Catherine Brisset qui interprète ici les pièces pour cet instrument de nouvelle lutherie créé au début du 20e siècle, aux côtés d'une formation variable, comprenant flûte, clarinette, violon, violoncelle, clavecin, bande et électronique. Chaque pièce est écrite par un compositeur différent, parmi lesquels on peut trouver Sébastien Béranger, Florence Baschet, I-Chun Lee, Thierry Alla, Claudio Jara, Jean-Christophe Adam-Walrand, Jean-Yves Bosseur et Eryck Abecassis. Tous ces compositeurs sont, me semble-t-il, français, et ont étudié la musique dans les milieux institutionnels de la musique contemporaine (aux côtés, pour certains, de Michaël Levinas, Karlheinz Stockhausen ou Luigi Nono). L'intérêt de touutes ces pièces est principalement concentré sur le timbre du Cristal Baschet d'un côté, mais on retrouve également des intérêts différents selon les pièces, pour la musique concrète et électroacoustique, sur les mélanges de bandes ou d'instruments électroniques avec des instruments traditionnels, ainsi qu'un intérêt ou des influences provenant des musiques du début et du milieu du vingtième siècle - de Webern à Grisey. On retrouve des couleurs parfois étonnantes tout en étant un peu trop ancré dans une musique contemporaine institutionnelle. Le poids d'un Varèse, des formes libres atonales, de l'école spectrale ou de Stockhausen se fait souvent trop ressentir, malgré une volonté certaine de créer de nouvelles formes et d'explorer de nouveaux timbres, notamment celui du Cristal Baschet, accompagné d'instruments anciens ou nouveaux allant du clavecin aux bandes... Une compilation assez inégale en somme, mais plutôt originale et intéressante pour l'utilisation de cet instrument peu commun.

(écoute: http://dronesweetdrone.bandcamp.com/album/skylamp-2)

 v/a - Nantes is Noise (Fibrr, 2012)

Le label nantais Fibrr (dirigé par Julien Ottavi) n'avait pas sorti de disque depuis de nombreuses années et il revient en cette fin 2012 avec une compilation d'artistes ligériens pour la plupart assez proches de l'association Apo33. J'en fais ici la liste: Keith Rowe, Formanex, Wehwalt, Jérôme Joy, Anthony Taillard, Jenny Pickett, Clinch, Luc Kerléo, Semantik, Mathias Delplanque, Julien Ottavi, Thomas Tilly, Morosphynx, Dominique Leroy.

Ce n'est pas évident d'écrire à propos d'une compilation, car les approches, les matériaux et les esthétiques sont très variables. Quelques points communs tout de même réunissent ces artistes: une approche plutôt bruitiste de la musique, où le son comme phénomène physique est considéré comme une matière musicale, voire comme la forme même de la musique; une utilisation massive de l'électronique et des ordinateurs, avec quelques instruments traités également comme de la matière sonore plus que comme un instrument; et l'origine géographique bien sûr: le but de cette compilation étant de promouvoir la scène musicale et expérimentale nantaise. Ceci-dit, les pièces présentées ici sont plutôt éclectiques: des instruments préparés et/ou motorisés de Keith Rowe (avec une pièce étonnamment calme, aérée et abrasive) et Anthony Taillard (avec son drone pour orgue), à un extrait de Treatise par Formanex (Anthony Taillard encore, Julien Ottavi et Emmanuel Leduc), en passant par les expérimentations sur la voix de Luc Kerléo ou encore le synthétiseur halluciné de Clinch, des œuvres électroacoustiques, de la musique concrète pour bande, du harsh noise, des field-recordings, etc. Des esthétiques et des pratiques diverses et dans l'ensemble plutôt réussies. La longueur des pièces (4-5 minutes chacune) permet à chaque musicien de développer son discours en un temps raisonnable tout en laissant pas mal de place à de nombreuses démarches (il y a tout de même 14 pistes au total), juste le temps qu'il faut à l'auditeur pour pénétrer chaque univers sonore et esthétique.