Bruno Tocanne & Henri Roger - Remedios la belle (Petit Label, 2011)
Voici un duo de musiciens français que j'entends pour la première fois: Henri Roger au piano et à la guitare, sur qui je n'ai trouvé que peu d'informations, en compagnie du batteur Bruno Tocanne, musicien qu'on a déjà pu entendre sur disque en compagnie de Paul Rogers, Lionel Martin, ou encore Sophia Domancich. Et pour une première rencontre, autant dire que j'ai plutôt apprécié, sans pour autant être totalement convaincu. La formule piano/batterie marche très bien, le dialogue entre les deux musiciens est précis, interactif, puissant et énergique. Du free jazz volubile avec des teintes RIO pour les longs développements très intenses, teintes qui rappellent parfois le duo Satoko Fuji/Tatsuya Yoshida. Ceci-dit, une fois que Henri Roger prend sa guitare, le dialogue devient plus lent, sans que l'on sache vraiment où les deux improvisateurs tentent de nous amener; plus méditatives, ces improvisations n'explorent apparemment aucun paramètre précis, ni véritablement la mélodie, ni l'intensité, ni le dynamisme, ni le timbre, à moins que ce soit un peu de chacun en même temps et indistinctement. Mais lorsque le dialogue se fait plus nerveux, l'énergie véhiculée et ressentie est primitive, brute, forte: l'improvisation qui suit a priori un fil narratif inspiré du roman de Gabriel García Márquez, Cent ans de solitude, semble plutôt suivre le fil spontané d'un dialogue instinctif et corporel, d'une interaction où seule la dynamique semble préméditée, et qui laisse libre cours à une multitude de possibles. Ceci-dit, ne venez pas chercher une formule vraiment neuve du duo piano/batterie, il s'agit de formules souvent déjà entendues, certes réappropriées, mais qui n'offrent pas d'intérêt pour leur nouveauté. Car avant d'histoire de la musique, il s'agit de musique et de sentiments, et la musique comme les sensations présentes durant Remedios la belle sont souvent fortes, à condition que la guitare laisse place au puissant piano de Henri Roger, et qu'un dialogue équilibré puisse avoir lieu avec le batteur créatif et sensible, Bruno Tocanne. En somme, 14 improvisations pas forcément surprenantes, mais tout de même fraîches et fortes pour la plupart, malgré quelques lenteurs par moment.
Quelques extraits peuvent être écoutés sur le site du Petit Label: http://www.petitlabel.com/pl/disque.php?ref=PL%20kraft%20031
Donkey Monkey - Hanakana (Umlaut, 2011)
Autre duo piano/batterie publié cette fois par le label Umlaut. Il y a quelque chose de très free dans ce duo, mais un free beaucoup moins orthodoxe que le duo Roger/Tocanne. Donkey Monkey, c'est la (deuxième) réunion de la pianiste française Eve Risser (piano, piano préparé, voix) et de la percussionniste japonaise Yuko Oshima (batterie, voix, sampler); mais c'est avant d'être une rencontre franco-japonaise, une rencontre surtout entre une multitude d'influences et de formes. Il n'y a qu'à regarder les titres pour s'en apercevoir, références directes ou reprises de blues, de boogie woogie, de Conlon Nancarrow, Ligeti, ou encore Carla Bley. Et pourtant, la musique de ce duo est facile, à écouter en tout cas, et non pas à écrire, car l'écriture est souvent assez complexe. Le dialogue établi entre ces deux musiciennes qui collaborent depuis presque dix ans maintenant est intime, précis, interactif, la hiérarchie instrumentale est abolie au profit d'un son collectif puissant et hors-norme. Car Donkey Monkey sort des sentiers battus tout en s'immergeant dans les convenances: la musique est souvent mélodique, Yuko ne recule pas devant des rythmiques primitivement binaires, et Eve n'est absolument pas effrayée par l'échelle harmonique. Toutes s'approprient les matériaux musicaux pour les mélanger en une mixture personnelle et puissante, teintée d'énergie rock, de polyrythmies entêtantes, de chants naïfs, de timbres forts, dans une dynamique toujours accessible sans pour autant faire dans le cliché. Le cliché est au contraire aboli dans une expropriation fraîche et très singulière. Comme si le boogie woogie s'était transformé en free jazz, ou Ligeti en rock, tandis que l'hommage à Nancarrow semble être un hommage à un Nancarrow ivre et vertigineux tant les superpositions sont déstructurées, alors que les préparations cagiennes du piano servent une dynamique proche du blues à certains moments.
Une musique en constant décalage, nerveuse et impulsive, puissante et originale, pour une écoute agréable servie dans un cocktail étonnant et explosif de formules musicales singulièrement réappropriées.
Extraits ici: http://www.umlautrecords.com/album/hanakana