En 2004, le saxophoniste anglais John Butcher, virtuose des saxophones soprano et ténor, inaugurait son propre label avec un album solo enregistré dans une sorte de caverne japonaise. Pour conclure cet album, JB a invité un des papes du réductionnisme, Toshimaru Nakamura, pour une dernière piste très étonnante de vingt minutes. Huit ans plus tard, le duo réductionniste Nakamura/Butcher (table de mixage bouclée sur elle-même/saxophones soprano et ténor) revient avec Dusted Machinery, publié par le label polonais Monotype.
La première piste de cette suite de quatre pièces donne très bien le ton de ce qui suivra. Un crescendo de dix minutes qui commence par de faibles crépitements, de légers larsens et des souffles liquéfiés. Petit à petit, le ton monte, les harmoniques se font plus denses grâce aux modifications de la colonne d'air parfaitement maîtrisée par JB, aussi bien contrôlée que la table de mixage de TN qui s'est fait depuis une vingtaine la figure emblématique de l'électronique réductionniste. Les défaillances électroniques sont amplifiées, saturées, distordues, en parfaite osmose avec le jeu toujours aussi impressionnant du saxophoniste anglais. Car ce dernier n'en est pas à son premier duo en compagnie de machines, on peut se rappeler par exemple les deux merveilleuses et fameuses collaborations avec Phil Durrant à la fin des années 90 (une des plus grandes découvertes d'eai que j'ai pu faire); et c'est aussi et surtout grâce à cette longue expérience aux côtés de machines que l'interaction entre ces deux grands musiciens paraît si réussie et incroyable.
Plus orientée vers l'eai à proprement parlé telle que l'entendais JB à l'époque de ses collaborations avec Durrant, voire même vers la noise à certains moments, et non vers le minimalisme onkyo tel que le pratiquait TN, Dusted Machinery oriente néanmoins les deux musiciens dans deux directions différentes de leurs habitudes. L'étroite interaction entre chacun amène TN à se désinhiber, à élargir son spectre et à s'engager dans des dynamiques plus véhémentes et plus fracturées que d'habitude: les lignes produites tout au long de ces 45 minutes ont une texture plus dense, elles se fracturent plus facilement, et forment des volumes d'une intensité inhabituelle. Mais l'influence s'exerce dans les deux sens, et le jeu de JB se trouve aussi modifié par la présence de TN, la virtuosité et la créativité du saxophoniste servent des textures plus continues que d'habitude, JB s'oriente plus vers le son à proprement parler que vers les dynamiques, et inversement pour son compagnon de route.
Une place primordiale est de toute manière accordée à ces deux paramètres: le timbre et la dynamique. Quelle est la dynamique d'une texture, quelle est l'énergie d'un son, qu'il soit simple ou composé? Telles semblent être les questions auxquelles répond le duo Nakamura/Butcher durant Dusted Machinery. Et les réponses apportées sont surprenantes, car les textures sont d'une nouveauté et d'une énergie incomparables, la proximité et le talent avec lequel chacun des deux musiciens répond à la ligne tracé par l'un avec une autre ligne en parfaite osmose est vraiment impressionnante, ceci malgré les différences entre ces deux instruments qui peuvent de prime abord paraître inconciliables. Un duo incroyable, puissant, intense, dense, en profonde fusion: hautement recommandé!
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