Le label potlatch est connu pour être un des meilleurs labels certainement dans le domaine des musiques improvisées, même si elles tendent aujourd'hui à l'être de moins en moins. Ces derniers temps en tout cas, on a retrouvé de nombreux musiciens axés vers une musique de plus en plus minimalistes et/ou réductionnistes tels Alfredo Costa Monteiro, Sergio Merce, Seijiro Murayama ou même Keith Rowe dans une certaine mesure... C'est avec suprise donc que j'ai écouté Hidden Tapes pour la première puisqu'il s'agit ici d'un solo de Marc Baron consacré à la manipulation de bandes et d'enregistrements dans une veine proche de la musique concrète ou du noise.
Je n'ai pas encore beaucoup parlé de Marc Baron sur cette page qui est pourtant un saxophoniste que j'admire beaucoup. Qui était saxophoniste devrais-je dire par ailleurs puisqu'il a arrêté le saxophone dorénavant. Je l'avais découvert il y a quelques années au sein de son trio plutôt rock OZ, qui ne jouait déjà presque plus de "rock" mais plutôt de longues notes tenues et parfois extrêmes, de la même manière que dans Propagations, paru sur potlatch aussi (quartet "réductionniste" de saxophones avec Stéphane Rives, Guionnet et Bertrand Denzler), puis il s'est lancé dans une musique de plus en plus froide et minimale, une musique faite d'une note proche de la sinusoïde pour sa pureté, une note qui formait des formes qu'on ressent sans les comprendre. Il y a aussi eu cet excellent duo avec Guionnet dont j'ai déjà parlé ici, et Narthex avec Loïc Blairon que je ne connais pas... En tout cas, que Marc Baron soit un musicien apprécié et soutenu par Jacques Oger (potlatch), rien d'étonnant dans la mesure où il fait partie de ces nouvelles générations de saxophonistes hors-norme, mais que Marc Baron pratique la manipulation de bande et que cette sorte de musique concrète soit publiée sur Potlatch, voilà quelque chose que je n'aurais jamais soupçonné...
Mais bref, passons à la musique elle-même, qui est vraiment excellente. C'est un des types de musique que j'affectionne et recherche certainement le plus, et ce disque est du coup un des disques essentiels de l'année pour moi, un disque essentiel tout court d'ailleurs. Comme je l'ai déjà dit, Marc Baron utilise et manipule principalement des enregistrements : il semblerait par ailleurs que la plupart soient des bandes magnétiques, des cassettes et peut-être quelques vinyles... En regardant quels types d'enregistrements sont utilisés et de quelle manière, c'est parfois difficile de ne pas penser au GRM et à Jason Lescalleet. Le GRM car Marc Baron affectionne les modifications de vitesse, et Lescalleet pour les enregistrements familiaux et les morceaux de musiques populaires retravaillés. Ce n'est pas le seul point commun avec ce dernier d'ailleurs, car Marc Baron semble s'approcher de l'audio-vérité en utilisant des enregistrements qui proviennent de sa collection personnelle et intime comme le laissent penser certains titres.En tout cas, ce que je trouve le plus remarquable dans ce disque, outre le travail sur les supports (un travail qui paraît aussi simple que professionnel, rudimentaire et extrêmement précis à la fois), c'est l'équilibre entre les différents types de sources sonores. Marc Baron utilise par moments des sortes de field-recordings quotidiens, puis passe à un travail sur une matière précise comme dans la musique concrète (grincement de porte, marteau, etc.), avant d'entamer un travail sur des dialogues, sur une bribe d'un concert punk, d'une bande originale de film, ou je ne sais quoi encore, quand ce n'est pas la bande, vierge presque, n'utilisant que les parasites.
Marc Baron a ici composé cinq pièces électroacoustiques époustouflantes. On passe de l'abstraction la plus pure et la plus austère à un chaleureuse incursion dans le domaine de la pop, du dialogue ou de la porte concrets aux parasites les plus durs. Tout un travail très précis et équilibré est fait sur les différentes dynamiques de chaque matière sonore, de chaque manipulation, mais aussi sur les couleurs bien sûr. Marc Baron développe une palette extrêmement large et unique de timbres, de textures et d 'atmosphères différentes sur Hidden Tapes. Un travail virtuose, unique, qui se suffit à lui-même, qui n'a pas besoin d'explication. Marc Baron a en effet accompli ici son travail le plus absorbant je trouve : une exploration minutieuse et intime, riche et dense, des bandes sonores. Hautement recommandé.
MARC BARON - Hidden Tapes (CD, Potlatch, 2014) : lien