En 2001, le label Improvised Music from Japan publiait un coffret monumental de 10 CD qui documentait principalement les nouveaux musiciens de l'improvisation libre et l'émergence depuis quelques années de la scène dite onkyo, une scène proche de ce qu'on appelle réductionnisme en Europe et aux Etats-Unis.C'était la première publication de ce label, et l'aventure a continué jusqu'en 2007 environ, avant que le label ne se scinde en trois sous-labels : Hitorri (qui publie principalement des travaux en solo), Ftarri (pour les duos) et Meenna (pour les groupes), trois labels qui continuent de publier les artistes phares de la scène onkyo, ainsi que de nouvelles figures japonaises.
En décembre 2013, c'est au tour du label Meenna de publier une nouvelle compilation monumentale de 7 CD en 300 exemplaires (200 sont déjà sortis, les 100 prochains sortiront d'ici deux semaines environ - le 25 juin pour être précis), qui s'intitule Ftarri Collection. Ftarri non pas pour le nom du label mais en relation aux festivals Ftarri qui ont eu lieu en 2008 et 2010 à Tokyo et Kyoto, et d'où sont tirés tous les enregistrements présentés sur ce disque. Un coffret vraiment excellent qui présente d'une part de nombreux musiciens japonais, en solo, en duo, en trio, et en groupe, dans des formations inédites ou anciennes, mais avec également de nombreuses rencontres avec des musiciens étrangers. C'est l'occasion d'entendre l'actualité de figures éminentes depuis de nombreuses années telles que Taku Unami, Toshimaru Nakamura, Sachiko M, Tetuzi Akiyama, Ami Yoshida ou Taku Sugimoto mais également des groupes ou des musiciens moins connus tels gnu, Tim Olive (fraichement arrivé du Canada), Chihei Hatakeyama ou Tetragrammaton, ainsi que plusieurs invités européens et coréens de renom : Axel Dörner, Klaus Filip, Ryu Hankil, ou John Butcher par exemple.
J'aurais pu bien évidemment écrire un résumé de cette compilation, ça aurait été certainement moins lourd comme chronique, mais j'ai préféré parler de chaque disque séparément pour deux raisons. La première, c'est que chaque disque contient des pièces longues, travaillées, et surtout très différentes les unes des autres. La deuxième, plus prosaïque, c'est qu'une fois le coffret épuisé, le label publiera un certain nombre de disques individuellement...
Le premier disque début avec une pièce de l'ensemble Opera Southern Cross, avec Taku Sugimoto (composition, images), Katsuaki Iida (mots, lecture), Toshimaru Nakamura (table de mixage bouclée en larsen), et Taku Unami (ordinateur). Le genre d'ensemble que j'aimerais beaucoup voir en concert, avec les images de Sugimoto. La composition est vraiment étrange et particulière : il y a beaucoup de silences, avec des irruptions momentanées de lecture, de larsen, et de montée synthétique un peu niaise demi-ton par demi-ton à l'ordinateur. L'ambiance est vraiment particulière, et me fait penser aux travaux de Marc Baron, on sent la présence de la forme, mais on est incapable de saisir sa logique, sa cohérence. Il s'agit d'une composition qui mélange des matériaux hétéroclites (voix, texte, images, larsen analogique et synthèse numérique) en un système qui paraît très rationnel, mais dont on ne parvient pas à saisir la raison. Le silence est pesant, les interventions sonores, textuelles et musicales paraissent violentes, elles arrivent sans prévenir, à un volume assez élevé. Une pièce vraiment surprenante et particulière en somme, un peu conceptuelle, mais intense aussi, et prenante ; le genre de pièce sur laquelle on a envie de revenir pour mieux la saisir.
Le disque continue avec un trio d'improvisateurs constitué de John Butcher aux saxophones ténor et soprano, Toshimaru Nakamura à la table de mixage, et Tetuzi Akiyama à la guitare acoustique. Les deux premiers ont déjà publié plusieurs de leurs collaborations, et ce duo a toujours très bien marché. Mais la rencontre avec Tetuzi Akiyama ajoute une nouvelle dimension encore. Car les trois musiciens sont tous des instrumentistes virtuoses, avec chacun un langage unique. Et ces trios langages se complètent très bien. Les multiples techniques étendues de Butcher, son jeu métallique et polyphonique, les explorations soniques des parasites de la table de mixage de Nakamura et les jeu réductionniste de Tetuzi Akiyama forment un univers dense, complexe et extrêmement riche. Un langage constitué de sons acoustiques, électroniques, faibles, forts, doux, extrêmes, d'arpèges simples à la guitare parfois, ou de cordes frottées à d'autres, de phrasés jazz ou de longues harmoniques continues au saxophone, de larsens discrets et proches de l'imperceptible ou d'irruptions violentes et lacérantes à la table de mixage. Et tous ces modes d'expression se mélangent en osmose à certains moments, ou en opposition, seuls ou en groupe, le trio explore toutes les possibilités des trois langages élaborés par chacun, sans concession, en toute liberté, mais en sachant s'écouter.
Ce premier volume s'achève avec une superbe rencontre entre deux pionniers des musiques expérimentales japonaises et un membre phare de la nouvelle scène coréenne. Il s'agit respectivement de Toshimaru Nakamura (table en larsen), Otomo Yoshihide (platines) et Ryu Hankil (pendules ou montres et micro-contacts). Un trio d'improvisateurs avec un langage propre encore. Un langage abrasif et corrosif, basé sur les défaillances, les parasites et les détournements. Le trio propose une longue pièce harsh et minimaliste en même temps. De la harsh noise avec quelques larsens, des buzzs et des micro-contacts sans effets. Toshimaru Nakamura explore toujours le larsen de table en le gérant à travers un set de pédales cheap, auquel répondent Otomo Yoshihide qui explore les vibrations des platines à travers le diamant sans vinyle posé,et Ryu Hankil qui joue sur l'amplification physique de montre. Une forme de noise concret et physique, où les vibrations de l'air les plus petites deviennent des murs de sons. C'est dur, organique, violent, mais surtout hautement créatif. Excellente performance.
Le second volume débute avec un quartet international composé de Noid au violoncelle, Axel Dörner à la trompette, Kai Fagaschinski à la clarinette et Taku Unami à la guitare et à l'ordinateur. Les quatre musiciens proposent une longue improvisation réductionniste en somme, mais avec un côté extrême et radical emmené par Taku Unami. Ce dernier, à l'ordinateur surtout, joue de manière qu'on pourrait qualifier de réductionniste d'une certaine manière, car oui c'est épuré, mais c'est plus qu'épuré et ses interventions ne cherchent même pas à explorer le son. Taku Unami ne joue que sur des sortes de tapotements rapides, des petits clics comme pourrait en faire un métronome, mais des clics qui apportent néanmoins beaucoup à la dynamique de ces improvisations. Et à la guitare, il joue sur des notes simples, pincées, espacées, et épurées aussi, tout comme Noid au violoncelle. Quant aux vents, sans surprise, Axel Dörner joue beaucoup sur les souffles et les techniques étendues tandis que Kai Fagaschinski joue sur de longues notes tenues et sur des harmoniques comme à leur habitude. Mais les apports de Noid et surtout de Taku Unami apportent vraiment quelque chose de singulier et de plus radical à cette improvisation qui navigue entre une sorte de post-réductionnisme et de musique conceptuelle qui aurait pousser à bout le réductionnisme.
Et quand on parle de réductionnisme et d'onkyo, difficile de passer à côté de Sachiko M, qui présente ici une longue pièce de 30 minutes en compagnie d'Eddie Prevost. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment besoin de le préciser, mais au cas où, la première joue avec des sinusoïdes et le second avec des cymbales frottées. Une longue improvisation toute en finesse où dialoguent les harmoniques des cymbales frottées et les sinusoïdes toujours aussi aiguës de Sachiko M. Là encore, c'est extrême, au sens où les fréquences atteignent des hauteurs qui peuvent être douloureuses, mais également dans le sens où les deux musiciens parviennent à créer un monde sonore riche avec des moyens complètement réduits et épurés au strict minimum. Une musique austère et subtile de dialogue entre des fréquences, de hasard laissé à la rencontre entre les fréquences sinusoïdales et les harmoniques générées par l'archet. C'est fin, minimaliste, radical, dur et beau.
Le troisième volume de ce coffret commence avec deux pistes vraiment
surprenantes d'un quintet de jazz-fusion que je ne connaissais pas du
tout. Il s'agit de gnu, avec Masahiko Okura (compositions, clarinette basse & saxophone alto), Shinichi Tsukamoto (claviers), Yukiya Taneishi (basse électrique), Tadashi Kumada (batterie) et Itoken (batterie).
Le premier morceau rentre complètement dans les normes : une ligne de
basse qui groove, des improvisations modales, deux batteries qui jouent
sur une sorte de swing binaire, tous les ingrédients sont là pour faire
un mix de jazz et de rock qui groove, et ça marche. La première fois, je
me disais que je trouvais ça vraiment bon et je me demandais pourquoi,
car ça paraît assez traditionnel, voire trop. C'est en découvrant la
deuxième piste que j'ai compris : gnu ne fait pas que groover, il sait
aussi faire attention à l'espace, au silence, à l'originalité des
compositions, et à la forme, tout en groovant bien sûr. Car cette
deuxième piste est déjà plus expérimentale. Le quintet reprend les mêmes
ingrédients, sauf que c'est complètement saccadé et hachuré. Deux trois
notes, et un silence de quelques secondes. On dirait un morceau de
fusion, mais découpé par de longs silences, silences magiques qui
conservent le swing du groupe. Une musique basée sur le swing et les
breaks... Je suis ravi d'avoir découvert ce groupe en tout cas.
La suite n'a plus rien à voir. Un solo d'Ami Yoshida,
vocaliste expérimentale radicale et ahurissante. Sur cette piste de 17
minutes, elle improvise une longue suite de vocalises extrêmes, qu'on a
du mal à imaginer produite par une voix humaine toujours. On reconnaît
une voix certes, mais on dirait qu'elle est complètement saturé, qu'il
n'y a plus que les extrêmes aigus qui ressortent, qui tentent de sortir
d'un système d'amplification pas assez puissant. Une vocalise, une
respiration. Un silence, un bruit. Une forme simple pour une musique
primitive et radicale, qui se suffit à elle-même et qui impressionne
toujours autant pour son extrémisme. Car s'il est une chanteuse qui a su
repousser les limites et les barrières de la voix humaines jusque dans
ses retranchements les plus inattendus, c'est bien Ami Yoshida. Et c'est au trio composé de Tim Olive (guitare), Anthony Guerra (guitare) et Makoto Oshiro (instruments fait-maison) de conclure ce disque avec une longue improvisation de près de 30 minutes. Tim Olive est un musicien canadien installé depuis quelques temps au Japon, pays dont il semble se sentir très proche et au sein duquel il multiplie les collaborations. De la même façon que son collaborateur Anthony Guerra, ils jouent tous les deux de la guitare préparée sur table, en jouant sur les pick-ups surtout, avec également des e-bows. Le trio explore une esthétique post-AMM et proche de Keith Rowe, dans une version plus linéaire et plus proche du drone, avec de nombreux silences ou des bruits au bord de l'imperceptible. Tous les trois explorent des sons abrasifs et minimalistes, des textures parasitaires et fines pour cette longue improvisation électroacoustique lo-fi.
Au fil des volumes, les esthétiques ne cessent de changer, et le quatrième n'a encore rien à voir avec les précédents. Ce disque commence par une très belle pièce de Los Glissandinos, un duo réductionniste européen composé de Klaus Filip au lloopp et de Kai Fagschinski à la clarinette. Le lloopp ici n'est rien d'autre qu'une suite de sine waves les plus proches possibles des fréquences de la clarinette. Un souffle, et une ou deux sinusoïdes interfèrent et dialoguent ensemble durant près de vingt minutes et produisent des territoires sonores aux couleurs et aux dynamiques très variable. Je ne connais pas très bien Klaus Filip, et je n'ai pas encore été très enthousiasmé par le travail de Kai Fagaschinski, mais là, cette espèce de duo pour notes continues à la clarinette et sine waves, je dois dire que j'aime beaucoup. Le dialogue entre les deux langages produit un univers sonore riche et unique, simple et beau, très efficace en somme, et je serais bien curieux d'entendre d'autres travaux de ce duo.
Ce disque est aussi l'occasion de retrouver le guitariste canadien Tim Olive en compagnie de Haco (électronique & voix) et de Bunsho Nishikawa (guitare aussi). Un trio que je qualifierais volontiers de musique improvisée post-eai (OK, après j'arrête de qualifier chaque disque de Tim Olive de post-machin, il a seulement son style, un style influencé par beaucoup de musiques improvisées et expérimentales, mais il possède aussi un langage propre). Bref, les trois musiciens évoluent sur un territoires électrique et proche du drone, mais un drone avec des soubresauts constants, avec des ruptures spontanées assez régulières. C'est atonal, il n'y a souvent aucun note, mais parfois, des sortes de riffs surgissent avant d'être déconstruits. Les trois musiciens jouent chacun de manière différente, ils forment trois strates distinctes qui se complètent néanmoins très bien, comme si le trio avait voulu produire une musique composée de drone, d'improvisation libre électroacoustique, et de noise. Là aussi, je serais curieux d'en entendre plus de cette formation, car elle possède un langage singulier, puissant et dynamique sans jouer fort.
Un volume qui se termine également en puissance avec le trio Katsura Yamauchi (saxophone alto), Ko Ishikawa (sho), Tetsu Saitoh (contrebasse). Sauf qu'ici ça joue plus fort de manière générale. L'instrumentation du trio est variée : un bois, une anche libre, des cordes. Et les techniques étendues abondent. Oui c'est un trio d'improvisation libre qui a conservé l'énergie et la puissance du free jazz. Un trio qui joue sur la spontanéité, l'interaction, la liberté, la recherche, et l'énergie. Même si certains ont déjà joué aux côtés d'Ernesto Rodrigues ou au sein de Skogen, on est ici assez loin du réductionnisme et du minimalisme. C'est plutôt maximale comme musique à vrai, le trio propose une improvisation urgente, puissante, et instantanée. Bien sûr, par moments, ça se calme, mais de manière générale, le trio joue fort, ou quand c'est plus calme, de manière tout de même dure, brute, bruitiste même. C'est très bien joué, les musiciens font preuve de créativité et de virtuosité, mais pas trop ma tasse de thé quand même...
Quant au cinquième volume c'est loin d'être mon préféré pour être honnête. Il débute avec un solo de Naoaki Miyamoto à la guitare. Là encore ça me va, même très bien. Il s'agit d'une longue pièce de vingt minutes très épurée. Une pièce où on ne sait pas trop si ce n'est que du larsen très simple, ou une suite pour ebow avec un peu de distorsion. En tout cas, Naoaki Miyamoto utilise sa guitare de manière linéaire et très austère, mais aussi avec une couleur unique. Souvent, on a plus l'impression d'entendre des cymbales frottées à l'archet (genre Eddie Prevost) qu'un solo de guitare. Et c'est cette similitude entre des instruments presque opposés que je trouve assez fascinante sur ce solo. La construction est simple bien évidemment, c'est continu et sans rupture, mais je ne vois pas trop comment ce genre de travail sur l'instrument pourrait être présenté autrement. Une belle pièce, mais qui ne rattrape pas vraiment celle qui suit malheureusement. Ce disque se termine avec une collaboration entre Chie Mukai (erhu, voix, percussion, danse) et le trio Tetragrammaton : TOMO à la vielle à la roue & saxophone soprano, Cal Lyall au synthétiseur analogique, gongs et cymbales, Nobunaga Ken à la batterie, gongs et percussions. D'un côté l'instrumentation fait rêver, sachant que le synthé analo, le soprano et la vielle comptent parmi mes instruments favoris, mais de l'autre côté, l'instrumentation ne fait pas tout malheureusement. Le quartet propose une longue improvisation libre de près de quarante minutes. Une improvisation qui fait parfois penser à l'Art Ensemble pour la liberté, l'énergie et les nombreuses percussions, mais sans le lyrisme de ces derniers, ni leur passion et leur créativité. C'est juste une longue plage chaotique de d'improvisation libre collective et non-idiomatique, avec quelques influences du free par moments pour l'aspect cri et la teinte lyrique de certains phrasés. Voici typiquement le genre d'improvisation qui m'ennuie : une improvisation qui se veut forte mais qui manque d'intensité, une improvisation qui part dans de multiples directions mais de manière trop velléitaire, une improvisation tape-à-l'œil en quelque sorte, qui, si elle ne manque pas de virtuosité souvent, manque tout de même de fond ou d'idée à mon avis.
Le sixième volume de cette compilation est certainement le plus singulier et le moins attendu de tous. Deux pièces inouïes, qui durent toutes les deux autour de 35 minutes. La première est un duo composé de Chihei Hatakeyama à l'ordinateur et de Kiyoshi Mizutani à l'électronique. Les lecteurs de cette page connaissent déjà les scènes onkyo et réductionnistes, et de loin ou de près, la scène psychédélique anglaise ou américaine des années 60 et 70. Imaginez-vous alors les deux réunis ensemble, genre Soft Machine passé au ralenti avec un fort accent sur la linéarité et l'exploration du timbre, ou les Pink Floyd passés au crible d'un Revox, ralentis et réverbéré un maximum. C'est à peu près ce à quoi ce duo pourrait être comparé, même s'il ne ressemble qu'à lui-même. Des nappes électroniques avec beaucoup d'écho et de réverb, un peu de flanger aussi certainement, le tout accompagné de vieux enregistrements détournés et parasités, et aussi, surtout, de beaucoup de silence. Une pièce vraiment étrange qui se baigne dans atmosphère froide, nocturne, liquide, hallucinée, comme une sorte de tourbillon au ralenti... Je ne sais pas vraiment si j'aime bien, ce n'est pas vraiment le genre de pièce que j'aurai envie de réécouter prochainement, mais en tout cas, elle laisse une impression unique, car elle évolue sur des paysages et des couleurs qui ne ressemblent à rien d'autre.
Et ça continue avec Hello, un trio encore plus étrange composé de Takahiro Kawaguchi (composition et guitare basse), Shinjiro Yamaguchi (guitare) et Satoshi Kanda (guitare basse). Avec Taku Unami, Takahiro Kawaguchi fait certainement parti des compositeurs les plus radicaux que le Japon connaisse. Et ce n'est pas cette pièce qui démontrera le contraire. Pour ce trio, Kawaguchi a écrit une pièce où chaque musicien ne joue qu'un son ou une note. Une basse bourdonne dans un coin, une note (qui ressemble à une note désaccordée de Jandek sur un disque rayé) suivie d'un larsen (ou pas) est répétée à la guitare, et une autre basse complètement saturée et distordue intervient aussi régulièrement. C'est à peu près tout ce qu'on entendre, les variations étant très minimales. Chaque élément est dispersé dans le temps de manière discontinue et apparemment irrationnelle. On ne sait pas trop pourquoi à certains moments il n'y qu'une seule personne, parfois deux, parfois trois, et parfois aucune. Bien sûr, chaque participation instrumentale modifie l'environnement et l'espace sonore, mais la forme reste très opaque. En tout cas, avec ce matériau très réduit et cette forme obscure, Hello parvient à faire évoluer la palette sonore d'un côté, mais également à déployer une sorte de narration abstraite. Hello suit un fil invisible qui nous amène toujours sur des territoires connus par la répétition, mais qui savent toujours surprendre, attirer et retenir l'attention. Et c'est là que je trouve cette pièce très forte. Une pièce ultra minimale et répétitive, du rock complètement déconstruit et réduit à presque rien. Comme pour le duo précédent, on dirait une sorte de rock old school, ou de drone, joué à la manière onkyo : une tentative louable et réussie pour du pur rock radical et minimal.
Quant au dernier disque ce coffret, c'est sans aucun doute un de mes préférés. Il commence avec un duo d'improvisation libre assez calme mais pas silencieux non plus. Il s'agit de Seiichi Yamamoto au yang chin, percussion, et guitare et Umeda Tetsuya au "fan" (électronique). Des cordes grattées, de longs larsens, des phrases atonales et des percussions frottées ou arythmiques et chaotiques, du bruit, des parasites, tous les ingrédients sont là pour faire de l'improvisation libre non-idiomatique en bonne et due forme. C'est un peu plus bruitiste que d'habitude ici, et surtout moins énergique, avec plus d'espace, et le yang chin apporte une petite touche asiatique qui change un peu. Une improvisation libre, spontanée et bruitiste réussie en somme. Autre duo pour continuer, avec Voima, soit Yasufumi Suzuki & Tetsuro Yasunaga, tous les deux à l'ordinateur. Ici, il s'agit d'une musique typique de la scène dite onkyo avec une longue pièce extrême pour fréquences sinusoïdales ultra aiguës. Ultra ultra, au bord de l'écoutable, au bord du supportable, les deux artistes avancent sur un terrain extrême mais pas très fort d'ondes proches de l'inaudible avec un fonds plus musical. Un des deux produit une sorte de boucle électronique plus proche de l'électro, un pattern synthétique en fonds sonore, par-dessus lequel on a du mal à se concentrer sur autre chose que sur les fréquences sur-aiguës. Une sorte de pop extrême, comme si Sachiko M avait collaboré avec un membre de Radiohead pour un duo inattendu d'electro-onkyo-pop, qui tend de plus en plus vers le noise minimaliste au fur et à mesure de ces 25 minutes.
Puis, pour finir, c'est à un des meilleurs trio de cette compilation de conclure le coffret : Tetuzi Akiyama à la guitare acoustique, Utah Kawasaki au synthétiseur analogique, et Katsura Yamauchi au saxophone alto. 25 minutes d'improvisation minimale, spacieuse, silencieuse, fine et sensible. Au premier plan, Akiyama délivre quelques arpèges et accords tonaux et atonaux de manière parcimonieuse et sensible. Et un peu derrière, du bruit parasitaire souvent proche du bruit blanc avec une fréquence dominante de manière déchirée et éclatée au synthé, et des notes médiums de saxophone à faible volume (il est clairement derrière). Cette improvisation joue beaucoup sur les espaces entre les notes, entre les bruits, entre les silences, et entre les musiciens. Le trio produit un espace sonore très singulier qui n'est jamais complètement silencieux, jamais complètement tonal, jamais complètement bruitiste, mais toujours un peu des trois. Une improvisation très équilibrée où chaque musicien joue précisément ce qu'il doit jouer au bon moment, et de manière très précise. Un haut moment de musique en somme, exécuté avec une précision, une virtuosité et une sensibilité peu communes.
Voilà en gros à quoi ressemble cet énorme coffret de sept disques qui compte des musiciens parfois extrêmes et radicaux, d'autres plus abordables, mais qui comptent surtout des personnalités hautement créatives et qui ont su développer un langage sonore unique, ou des formes très personnelles. Qu'elles soient instrumentales, acoustiques, électroniques, ou digitales,improvisées ou composées, la plupart de ces musiques s'intéressent au son, à sa réalité physique toujours, parfois aussi psychologique, et s'intéressent surtout aux innovations et aux explorations possibles. Mais en plus de s'y intéresser, ce qu'il faut noter avant tout, c'est qu'elles parviennent généralement, et c'est le plus important, à intéresser l'auditeur, pour leur modernité, leur singularité, et leur force.
compilation Ftarri Collection (coffret 7 CD, Meenna, 2013)